04/03/2014 Jean Guisnel - Défense ouverte / Le Point.fr
Les essais du premier des deux navires commandés par la Russie commencent mercredi sur le chantier STX de Saint-Nazaire, en Loire-Atlantique.
Pendant la crise, les affaires continuent... Premier des deux gros navires de guerre achetés en 2011 par la Russie à la France, le porte-hélicoptères Vladivostok est en pleine forme. Si tout se passe comme prévu, une démonstration symbolique mais puissante de la solidarité militaire entre Paris et Moscou sera donnée mercredi 5 mars à 18 h 30, lorsque le porte-hélicoptères flambant neuf quittera la forme Joubert du port de Saint-Nazaire pour filer tout droit vers la pleine mer. Il s'agira de sa sortie inaugurale, du premier essai en vraie grandeur de ce que les marins appellent le "flotteur", c'est-à-dire la coque et son système de propulsion. Au menu de cette sortie - avec retour prévu samedi 8 mars à 7 h 30 -, des petites pointes de vitesse, des "girations" (virages les plus serrés possible), des "crash stops" avec la machine "battant en arrière". La routine en fait, si ce n'est que cette activité technique va revêtir une forte dimension diplomatique alors que la crise autour de la Crimée et de l'Ukraine prend de l'ampleur. Car on n'aurait garde d'oublier que, si le Vladivostok commence ses essais pour une livraison à la marine russe en octobre 2014, un second navire identique est en construction, lui aussi aux chantiers navals STX de Saint-Nazaire. Il est déjà bien avancé, mais sa livraison n'est pas attendue avant octobre 2015. Précisons qu'il a été baptisé Sébastopol par les Russes, du nom de leur immense base navale de Crimée ! Concrètement, la moitié avant du navire est déjà terminée à Saint-Nazaire. La partie arrière fabriquée à Saint-Pétersbourg, selon le même processus que pour le Vladivostok, sera livrée en juin prochain.
400 marins russes attendus
À ce stade, aucun marin russe n'est encore installé à Saint-Nazaire. Les essais de mercredi seront conduits par le chantier STX, toujours propriétaire du navire, sous sa seule autorité. Les chantiers ont recruté un équipage temporaire, composé d'un capitaine au long cours et d'officiers de la marine marchande. Le gouvernement français n'a pour l'instant annoncé aucune décision sur la poursuite de ces essais, qui devraient donc se dérouler comme prévu. Les choses vont cependant s'accélérer dans les jours qui viennent, avec l'arrivée de tout ou partie des futurs équipages des deux navires - 400 hommes au total - qui ne seront pas hébergés dans les hôtels de la région, mais à bord du bâtiment-école Smolny, attendu incessamment à Saint-Nazaire.
Après de très longues hésitations, le gouvernement français a accepté de livrer aux Russes Le Mistral équipé de son système de combat Senit 9 (Système d'exploitation navale des informations tactiques), qui fédère toutes les informations numérisées - navigation, transmissions, opérations, veille radar air et surface et situation tactique en temps réel. Moscou avait fait de la livraison de ce système de combat une condition sine qua non de l'achat de ces deux navires, et le gouvernement de François Fillon avait longtemps hésité. Finalement, le Senit 9 qui équivaut à celui qui équipe les navires français du même type (Mistral, Tonnerre, Dixmude) a bien été installé à bord, mais avec une particularité qui en dégrade fortement les performances : il ne permet pas la mise en oeuvre directe des armes depuis le bord et une adaptation devra être faite par les Russes eux-mêmes, notamment pour diriger les canons sextuples de 30 mm AK-630 et les missiles surface-air SA-8. Les aménagements nécessaires devraient être terminés au bout de quelques mois. La construction d'un prolongement du quai de 1,6 km, porté à 2,7 km, devant accueillir les deux navires à Vladivostok a commencé en février dernier.
Particularité franco-française
Selon l'expert incontournable Bernard Prézelin, auteur de la bible internationale Flottes de combat et connaisseur de tous les navires de guerre au monde, le Vladivostok a été équipé voici deux semaines de la plus avancée des technologies navales françaises de pointe : le radar MRR-3D-NG de Thales. Sa vente avait longtemps été différée, sans que l'on sache à ce stade qui a décidé, de Nicolas Sarkozy ou de François Hollande, de le livrer aux Russes. En revanche, les Français n'ont pas cédé sur le SIC-21 réclamé par la marine russe : ce système numérisé de planification tactique et de renseignement a été jugé non exportable par Paris.
Nos requêtes pour connaître la position officielle de Paris sur le dossier de ces deux navires n'ont pas été couronnées de succès. Le ministre des Affaires étrangères Laurent Fabius a dit, en début de semaine, à propos d'une éventuelle révision de la coopération militaire franco-russe : "Nous n'en sommes pas là." Au ministère de la Défense, on indique que la situation est "à l'étude". Mais Moscou a quelques éléments pour faire réfléchir les Français, notamment la commande éventuelle de deux nouveaux bâtiments du même type. À 600 millions d'euros, le navire, cela fait réfléchir ! Pour l'instant, Paris ne dit rien. Quelle est la formule, déjà ? Ah, oui... Le client est roi.