14.04.2011 par Vincent Lamigeon – Challenges.fr
Le spécialiste de la sécurisation de réseaux informatiques vise la haute rentabilité grâce à des marchés de niche et à des partenariats avec les géants du secteur.
C'est un étrange boîtier kaki aux allures de vieille radio des années 1950. Gare aux apparences : derrière sa coque renforcée, Shadow est un redoutable concentré de technologies. Ce système de brouillage, lancé mi-mars par Bull, annule le signal radio entre un engin explosif et la télécommande qui l'actionne, permettant de sécuriser les convois civils ou militaires dans les zones à risques, type Irak ou Afghanistan. « Là où les produits concurrents exposent les passagers à des ondes dangereuses et coupent toutes les communications, y compris celles d'urgence, Shadow n'entre en action qu'en cas de danger, précise Philippe Vannier, PDG du groupe informatique. Les Israéliens, les Américains ou les Britanniques ont tenté de développer des brouilleurs du même type, sans succès. »
Taille moyenne avantageuse
Un symbole : Bull, dont le nom fleure bon les vieux ordinateurs des années 1980, aujourd'hui spécialisé dans les supercalculateurs ou la sécurisation de réseaux informatiques, est bien décidé à s'imposer dans la défense. Le groupe (1,2 milliard d'euros de chiffre d'affaires en 2010, pour 6,5 millions de bénéfices et 8 600 salariés) compte faire passer la part du secteur dans ses ventes de 10 à 20 % en trois ans, soit 250 à 300 millions d'euros en 2013. « C'est un secteur rémunérateur quand on maîtrise des technologies uniques, justifie Philippe Vannier. Un marché de ruptures technologiques qui favorise les acteurs de taille moyenne, comme Bull, plus réactifs que des géants comme Thales, BAe, Raytheon ou Elbit. » Le français peut s'appuyer sur sa filiale Amesys, rachetée fin 2009, un spécialiste reconnu du traitement de signal radio (100 millions d'euros de chiffre d'affaires, 850 salariés). Dixhuit mois après l'opération, c'est même la proie - qui affichait 25 % de croissance annuelle et 10 % de rentabilité depuis 2004 - qui semble avoir pris le contrôle de son prédateur : en mai dernier, Philippe Vannier, actionnaire et patron d' Amesys, a remplacé l'ex-PDG Didier Lamouche, artisan du redressement de Bull. « Un putsch », dit-on en interne. « Une nouvelle phase de développement », corrige Vannier.
Concurrent et fournisseur
Pour muscler son équipe, Vannier a débauché à Thales Pierre-Yves Chaltiel, patron de la division systèmes aéroportés (radars, équipements de guerre électronique du Rafale...), nommé directeur international. De quoi mieux affronter les leaders du secteur ? Bull vise avant tout des marchés de niche type Shadow. « Mais on peut se retrouver face à Thales ou Cassidian (EADS) sur des produits complexes, comme le système de combat des frégates ou des sous-marins, explique Philippe Vannier. On peut aussi être leurs sous-traitants avec des équipements spécifiques, comme des systèmes de commande de tir de missiles ou de torpilles. » Un acteur de taille moyenne, à la fois partenaire et concurrent des « gros » : la stratégie a fait ses preuves. « Le britannique Ultra Electronics a un positionnement comparable, et affiche une forte marge, de l'ordre de 15 %, souligne Christophe Ménard, analyste à Kepler Capital Markets. Etre un fournisseur unique sur des niches très technologiques permet une rentabilité parfois supérieure à celle des donneurs d'ordre. » Bull n'en attend pas moins : il compte doubler son résultat opérationnel (35 millions en 2010) d'ici à 2013.
