23 octobre 2012 Par Hassan Meddah –USINE NOUVELLE
EXCLUSIF Le 10 octobre 2012, le projet de fusion entre les deux groupes de défense et d'aéronautique EADS-BAE Systems est abandonné. Plusieurs jours après, des éléments pour comprendre remontent à la surface. Dans les hautes instances de la défense française, on est conscient que le groupe aéronautique tricolore porte une lourde responsabilité dans l’échec de la fusion.
Maintenant que l'annonce de l’abandon du projet de fusion entre EADS et BAE Systems a été "digérée", les langues se délient. Si la responsabilité de l’échec incombe principalement à la chancelière allemande Angela Merkel, comme s’en est fait largement écho la presse outre-Rhin, "EADS et BAE ont multiplié les erreurs tactiques ", affirme une source proche du ministère de la défense français.
La première : le choix d’un mauvais timing. EADS et BAE n’aurait pas pu choisir un plus mauvais calendrier ! Les deux entreprises n’ont pas tenu compte des élections en cours dans deux des pays concernés par la fusion, l’Allemagne et les Etats-Unis.
Outre-Rhin, à l’occasion des élections en Bavière, Angela Merkel devait faire face à la surenchère politique organisée par ses partenaires de la CSU pour le maintien des emplois industriels. Or les opposants politiques à la fusion jouaient sur du velours avec les possibles restructurations de Cassidian, la branche défense d’EADS qui emploie 12000 salariés en Allemagne.
Preuve de leur influence, ces derniers ont même réussi à bloquer le paiement par l’Allemagne d'une aide de 600 millions d’euros à Airbus pour son programme A350 XWB au motif que le partage industriel est défavorable à leur pays. Les élections présidentielles en cours aux Etats-Unis n’étaient pas propices non plus à la bonne conduite des négociations.
"L’administration Obama et l’équipe de Mitt Romney nous ont dit : "Revenez dans six mois. Nous sommes très occupés pour l’instant", indique en France une source proche du ministère de la Défense. Rien ne garantissait donc que cette fusion passe comme une lettre à la poste auprès de l’administration américaine comme certains le laissaient entendre…
Tom Enders, président d’EADS, a également manqué de sens politique. Côté français, on admet que le gouvernement n’aurait jamais pu se contenter d’une action spéciale en lieu et place d’une vraie participation au capital. "C’était donner l’image d’un pays qui brade ses joyaux industriels. A l’heure où le gouvernement fait du redressement productif l’une des priorités du pays, le message n’aurait pas été audible pour l’opinion publique", indique un proche des négociations.
Une fuite fatale
Et contrairement à ce qui a été largement relayé la presse, le gouvernement était loin de s’interdire la possibilité de racheter les parts du groupe Lagardère. La France et l’Allemagne ont par ailleurs clairement déploré le manque de diplomatie de Tom Enders, président d’EADS. Ses "oukases" n’ont guère été appréciés au ministère de la défense à Paris comme à Berlin.
Enfin, la fuite de l’annonce de la fusion en septembre a été fatale. "Ceux qui l’ont organisée sont responsables de l’échec des négociations", indique un négociateur français. Une manière de critiquer le manque de précautions prises pour garder le secret sur les tractations en cours. "Nous étions 500 personnes dans la confidence !", ironise-t-on dans l’entourage du ministre de la défense, Jean Yves Le Drian.
Dès lors, la fuite était inéluctable. "Paradoxalement, l’effet a pu être bénéfique, réplique-t-on du côté d’EADS. Avant la fuite, chaque partie se regardait sans prendre d’initiative. Après la fuite, tout le monde était dos au mur. Les négociations se sont accélérées ". Hélas, la course contre la montre pour boucler les négociations en un petit mois tenait toutefois de l’impossible.
"La première leçon c’est que pour conclure un tel accord, il faut du temps. Cela ne peut pas se faire dans la précipitation", ont laissé entendre les négociateurs. A eux seuls, les sujets d’inquiétude français étaient déjà lourds.
La France voulait avoir des garanties sur trois points : la protection de ses actifs liés à la dissuasion nucléaire, la garantie que le fabricant de missiles MBDA continue d’armer l’avion Rafale et pas uniquement l’Eurofighter (où EADS et BAE sont majoritaires dans le capital) et enfin le maintien des 46% d’EADS dans le capital de Dassault. La France s’inquiétait pour sa base industrielle craignant que Dassault ou Thales puissent à leur tour devenir des cibles du nouveau géant EADS/BAE.
Le mardi 9 octobre, soit un jour avant la date butoir imposé par la réglementation des marchés boursiers britanniques imposant de présenter ou d’abandonner le projet de fusion, la France y croyait toujours. "Le jour de l’appel d’Angela Merkel au président François Hollande pour signifier son refus, le ministre de la défense, Jean-Yves Le Drian, et son homologue britannique, Philip Hamond, étaient encore en séance de travail. Nous y avons travaillé jusqu’à la dernière heure. Nous étions en passe d’obtenir toutes les garanties que nous souhaitions", rappelle un négociateur du côté français.
Les réticences allemandes doublées d’une négociation mal menée auront eu finalement raison du plus grand projet de fusion européen en matière d’aéronautique et de défense.