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2 février 2012 4 02 /02 /février /2012 13:15

le-rafale photo LesEchos.fr

02/02/2012 Alain Ruello - journaliste chargé des questions de défense aux « Echos »

Enfin ! Après des années de défaites - sur le tapis aux Pays-Bas ou en Suisse, politiques en Corée du Sud ou à Singapour, humiliante au Maroc -, l'heure de la consécration a sonné pour le Rafale. En remportant l'appel d'offres lancé par l'armée de l'air indienne et portant sur l'achat de 126 appareils de dernière génération, l'avion de combat de Dassault vient non seulement de réaliser sa première percée à l'export ; mais il vient surtout de prendre une option sur l'un des marchés les plus convoités de la profession : lors de son lancement en 2007, les commentateurs l'avaient désigné comme le « père de tous les appels d'offres ». Son montant estimé, proche de 10 milliards d'euros, devrait faire de lui le plus gros contrat d'armement de tous les temps du sous-continent.

Passé l'euphorie des premières heures, la prudence s'impose évidemment, car il va falloir encore plusieurs mois d'une négociation difficile avec l'Inde pour transformer cette excellente nouvelle en contrat définitif. L'exemple des Emirats arabes unis, qui discutent de l'achat de 60 Rafale depuis trois ans, est là pour le rappeler. On se souvient aussi que, au Brésil, l'ex-président Lula avait promis une commande à son ami Nicolas Sarkozy... qui se fait toujours attendre.

Il n'empêche. Au moment où l'industrie française « se vide de son sang » (comme le dit le chef de l'Etat français), et même si New Delhi a exigé dès le départ la moitié de la valeur du contrat en retombées économiques locales, c'est une victoire indiscutable pour Dassault (et ses partenaires industriels). Et même une triple victoire.

La première est d'avoir fait mentir tous ses détracteurs. Le succès remporté en Inde le prouve : le Rafale est bien l'un des tout meilleurs avions de combat au monde. Etant donné l'importance du marché en jeu, le gratin du secteur avait répondu présent : F16 de Lockheed Martin, F18 de Boeing, Mig35 du constructeur éponyme, Gripen du suédois Saab, Eurofighter du trio BAE-EADS-Finmeccanica, et, bien sûr, Rafale. Dans cette affaire, n'a manqué que le F22, l'avion de supériorité aérienne américain, mais tellement avancé que Washington refuse de l'exporter. Egalement absent, le F35, le futur avion multirôle, américain également, dont les coûts ne cessent d'exploser. Tous les avions en compétition ont dû faire leurs preuves durant des tests très poussés qui les ont amenés à essuyer les températures extrêmes du désert ou de l'Himalaya. Seuls l'Eurofighter et le Rafale s'en sont sortis. Il se murmure notamment que le F18 n'a pas réussi à redécoller rapidement après avoir atterri sur une piste très haut perchée dans les montagnes.

Au cours de cette longue période d'essais, les aviateurs indiens auront poussé les différents appareils dans leurs derniers retranchements. Ils en ont conclu non seulement que le Rafale était à la pointe de la technologie, mais qu'il était en outre moins cher sur la durée que son rival européen arrivé en finale. C'est la deuxième victoire de Dassault.

Le Rafale est un avion coûteux, c'est vrai. Il l'est parce que la France a délibérément opté, dans les années 1980, pour un avion au top de la technologie. Il est cher aussi car la France, depuis de Gaulle, et sans qu'aucun gouvernement de droite ou de gauche n'y trouve à redire, a fait le choix de l'indépendance nationale. En clair : pas question d'acheter sur étagère un armement aussi stratégique, qui permet d'intervenir en premier dans un conflit, en courant le risque de devoir demander l'autorisation à qui que soit pour s'en servir. Le revers de la médaille est que, à l'inverse des Etats-Unis, qui achètent des milliers d'avions de combat (et en exportent autant), la France doit amortir les 41 milliards du coût du programme sur les seuls 286 exemplaires de série prévus. D'où un prix unitaire élevé.

Dès le départ, les politiques français comme le ministère de la Défense savaient donc que les pays capables d'acheter le Rafale seraient limités à ceux qui ont les moyens de se payer une aviation de combat de pointe et qui ne veulent pas se lier les mains avec Washington ou Moscou.

Et l'Eurofighter dans tout cela ? Même combat. En principe, l'avion doit être construit à plus de 600 exemplaires par le Royaume-Uni, l'Allemagne, l'Italie et l'Espagne. Sauf que l'organisation industrielle d'un programme en coopération n'aide pas à faire baisser les prix. C'est même tout le contraire. Il suffit pour s'en convaincre de lire le rapport de la Cour des comptes anglaise à ce sujet.

Depuis des lustres, on assiste donc à une bataille de propagande entre le Rafale et l'Eurofighter, chacun affirmant qu'il est le moins cher. Sans chercher à décrypter les calculs extraordinairement compliqués qui ont permis à New Delhi de comparer les coûts d'usage sur quarante ans, Dassault peut désormais se prévaloir d'un avantage compétitif majeur face à son concurrent.

La troisième victoire est plus symbolique. Le Rafale n'est certes pas encore vendu formellement. Mais il peut au moins en finir avec cette étiquette « d'avion dont personne ne veut » qui lui collait à la peau. Il va falloir pour cela éviter tout faux pas dans la négociation qui s'ouvre avec New Delhi. Le climat est plutôt porteur car l'avionneur bénéficie d'une excellente réputation auprès de l'armée de l'air indienne, qu'il équipe depuis 1953. C'est loin d'être le cas en France, où abondent les témoignages sur l'arrogance de la « maison Dassault », convaincue d'être la seule -en dehors des Américains -à savoir construire de « vrais » avions de combat et toujours prompte à faire jouer ses connexions avec l'Elysée... A l'étranger ce n'est pas forcément mieux. Quand, mi-novembre, Abu Dhabi a critiqué vertement la proposition commerciale qui lui était faite, les commentaires des médias étrangers étaient truffés de témoignages peu flatteurs sur la rigidité de Dassault. Pour renverser la vapeur, il faudra sans doute plus d'un contrat Rafale. La quatrième victoire sera peut-être la plus dure à remporter.

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