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06/02/2013 Samantha Lille - International
Après avoir pris ses fonctions le 28 septembre 2012 à Norfolk, aux Etats-Unis, le général Jean-Paul Paloméros, Commandant Suprême Allié Transformation, nous fait part de ses premières impressions mais aussi de ses ambitions à court et long termes. Rencontre.
Quatre mois après avoir été nommé Commandant Suprême Allié Transformation, quel est votre sentiment?
C’est un poste passionnant que j’occupe maintenant depuis 4 mois à la tête de ce commandement stratégique, créé il y a tout juste dix ans afin de répondre à la nécessite pour l’OTAN de disposer d’un cadre pour préparer l’avenir. Aujourd’hui, ce besoin est plus présent que jamais. Nous sommes face à un environnement qui est très changeant, que ce soit au plan stratégique, avec de fortes contraintes financières, ou opérationnel et cela implique une évolution permanente non seulement des organisations, mais aussi des capacités, et finalement des esprits. Et c’est là que réside l’enjeu du Commandement Allié pour la Transformation (ACT - Allied Command Transformation) : Comment faire évoluer l’Alliance dans ses capacités militaires pour qu’elle soit toujours pertinente dans les années à venir, à court, moyen et long terme ? Comment inciter les pays à encore mieux travailler ensemble ? Comment développer les capacités dont nous aurons besoin demain, comment favoriser l’entraînement en commun qui est la garantie de l’efficacité de nos forces ? Comment améliorer les liens avec l’industrie, intégrer de nouvelles technologies ? Comment travailler en partenariat avec d’autres pays ?
Je constate que ce commandement est aujourd’hui au cœur des attentions de l’Alliance parce qu’elle se concentre sur son avenir.
Vous avez repris les chantiers ouverts par votre prédécesseur, notamment celui de la « Smart Defence », où en est-on ?
Cette initiative de défense intelligente ou « Smart Defence » a été lancée en février 2011 par le Secrétaire Général de l’Otan, Anders FoghRasmussen. Cette démarche pour une défense que je qualifierais d’optimisée a pour but de stimuler la coopération des pays pour répondre à des besoins capacitaires. Cette approche tend à susciter des synergies entre les nations pour qu’elles s’organisent et génèrent des capacités multinationales. L’intérêt est de lancer des projets dès maintenant pour éviter une perte de capacité plus tard. Cette démarche fonctionne en parallèle avec son équivalent européen, le « Pooling and Sharing ». En collaboration avec l’Agence Européenne de Défense (AED), nous veillons à ce que ces initiatives convergent, de manière à créer une complémentarité et éviter les duplications inutiles. Car, rappelons-le, parmi les 28 pays composant l’Otan, 21 sont membres de l’Union européenne. La nomination d’un général européen à la tête d’ACT depuis plus de trois ans est d’ailleurs un signe manifeste de la volonté de voir les Européens participer pleinement aux projets capacitaires de l’Alliance.
Avez-vous défini des domaines prioritaires en particulier ?
Nous devons fixer nos priorités de manière à ce que la « Smart Defence » s’intègre bien dans une vision à long terme de la préparation de l’avenir de notre outil de Défense. Il faut aussi tenir compte des leçons tirées des engagements récents, comme l’Afghanistan et la Libye, ou plus anciens comme le Kosovo, voire de la Guerre Froide.
A titre d’exemple, le renseignement, la surveillance et l’échange d’informations sont des capacités dont l’Alliance a un besoin crucial. Car avant d’agir, il faut savoir. Puis ensuite il est indispensable de partager l’information. C’est à partir de là que sont prises les décisions politiques et militaires. Dans cette optique, le projet mené par la France en coopération avec les Etats-Unis sur le renseignement et l’acquisition, le JISR – Joint intelligence, Surveillance and Reconnaissance- est essentiel.
La France participe largement à cette « Smart Defence », elle est présente dans 25 projets sur presque 150 et a pris entre autres la direction de deux d’entre eux : le soutien médical et le soutien en carburant.
Le Secrétaire Général de l'Otan a récemment exprimé son inquiétude face à la baisse généralisée des budgets de Défense des pays membres, dans ce contexte économique difficile, comment arrive-t-on à mener ces projets ?
On essaie déjà de faire mieux avec ce que l’on a ! Il est clair qu’avec des réductions sensibles et continues des budgets de Défense, l’Alliance et les pays contributeurs sont amenés à faire des choix. Notre objectif est de faire en sorte que ces choix soient opérés de manière cohérente pour éviter que les réductions nationales ne génèrent des déficits capacitaires collectifs. Ceci implique bien sûr, que les budgets se stabilisent à un niveau décent et suffisant pour atteindre nos ambitions mais aussi de travailler en amont, avec les industriels, pour faire émerger des solutions innovantes et crédibles qui nous procurent le meilleur rapport qualité/prix.
Nous suivons aussi avec attention l’évolution du budget des Etats-Unis qui est un grand contributeur, de la même manière que nous attendons avec impatience la sortie du Livre Blanc pour en tirer les conséquences sur la contribution de la France (comme c’est le cas pour les autres pays lorsqu’ils révisent leur stratégie). L’objectif, est que lorsque les pays construisent leur stratégie pour l’avenir, ils prennent en compte leur engagement au sein de l’Alliance.
Maintenir l’interopérabilité des Alliés après le désengagement d’Afghanistan, c’est aussi un de vos principaux objectifs ?
C’est même ma priorité à court terme à la tête d’ACT : garder les forces connectées, préserver le savoir-faire acquis ensemble en Afghanistan, en Libye ou dans d’autres cadres. La Connected Forces Initiative (CFI) vise à promouvoir l’interopérabilité au travers de l’éducation, l’entraînement, les exercices et l’intégration de nouvelles technologies. C’est un vaste ensemble qui s’inscrit dans ce que j’ai décrit précédemment.
Depuis l’automne dernier, ACT s’est vu confier la responsabilité de l’entrainement collectif et des exercices de l’Otan. Nous les concevons en fonction des besoins opérationnels, en nous appuyant sur des activités nationales ou multinationales, tout cela en intégrant bien sûr les leçons tirées des opérations passées mais aussi et surtout une vision de l’avenir. Il nous faut dans cette nouvelle approche avoir une vision la plus globale possible et essayer d’entraîner tous les niveaux, du politique en passant par le commandement militaire des opérations jusqu’aux forces. Le tempo des opérations de l’Otan va se réduire au moins momentanément, L’avenir nous le dira. Mais c’est sans aucun doute le moment de reprendre un peu son souffle et de relancer notre entrainement.
Qu’est-ce qu’a changé la nouvelle stratégie américaine et notamment leur volonté de mettre l’accent sur l’Asie-Pacifique?
Nous sommes très attentifs aux choix des Américains, surtout quand cela peut influer sur leur contribution ou leur rôle dans l’Otan. La présence d’ACT aux Etats-Unis me permet d’entretenir des liens étroits avec l’administration américaine et de mieux évaluer enjeux et perspectives. Les Américains sont très attachés à l’Alliance, ils l’ont répété et le montrent concrètement. Ils continueront à être présents en Europe même avec le rééquilibrage vers l’Asie qu’ils ont annoncé. Une réduction du budget de Défense les affectera sûrement mais ils conserveront tout de même une large puissance globale. Néanmoins, cela les pousse à mettre les pays européens devant leurs responsabilités en leur demandant de mieux contribuer au partage des tâches au sein de l’Alliance.
Selon vous, quels sont les prochains grands rendez-vous pour ACT ?
La transformation est permanente. Durant ces 10 dernières années, l’attention a été portée sur les opérations et notamment sur l’Afghanistan. Actuellement, il y a une sorte de bascule qui est entrain de s’opérer. La prochaine étape pourrait alors être fixée de manière un peu artificielle à 2014 : ce sera la fin de la mission de combat de l’Otan sur le théâtre afghan et cela correspondra aussi à la pleine montée en puissance d’ACT dans son rôle de coordinateur des exercices et des entrainements de l’Alliance.
Vous suivez bien évidemment l’actualité, quel regard portez-vous sur l’engagement de la France au Mali ?
C’est une grande fierté pour un commandeur de l’Otan de voir son pays engagé dans la lutte contre le terrorisme et capable de projeter des forces cohérentes. Je crois que c’est un bel exemple de compétence, de travail interarmées et de planification. C’est aussi la confirmation de besoins anciens, je pense notamment aux capacités de projection et de ravitaillement en vol, mais aussi aux drones.
Le succès que l’on voit se dessiner ne m’étonne absolument pas. Je sais que les hommes et femmes que j’ai connus en tant que chef d’état-major de l’Armée de l’air sont capables d’exploits au quotidien.