source Ministère de la Défense
02.02.2012 Vincent Lamigeon, grand reporter à Challenges
Dassault a-t-il vendu son âme en obtenant d’entrer en négociations exclusives avec l’Inde ? C’est la critique qui s’est fait jour dès l’annonce de la sélection du Rafale par l’Inde pour le monumental contrat dit MMRCA, de 128 appareils. Qu’entend-on au juste ? Que Dassault est en train de créer sa propre concurrence. Que ce contrat, s’il est signé, ne va vraiment bénéficier qu’aux salariés indiens. D’aucuns assurent même qu’il eût été préférable de passer son tour, et de rester dans le splendide isolement d’un Rafale seulement vendu à l’armée française.
Revenons donc aux basiques. Sur le papier, les conditions du contrat pourraient effectivement faire peur : 108 des 126 avions assemblés en Inde sous licence par le champion national HAL
(Hindustan Aeronautics Ltd), soit près de 90% du total. En gros, un transfert de technologies maximal exigé par l’Inde, et une part de charge en France finalement limitée à 18 avions. Une source
au ministère de la défense indien a assuré au Times of India que le pays récupèrerait in fine 85% des technologies. « Ce transfert de technologie entraîne [la création] de concurrents
dans un pays qui n'est plus du tiers-monde, qui est un pays émergent considérable », estimait ainsi l'ancien ministre socialiste de la Défense, Paul Quilès.
Dans les faits, la probable vente du Rafale en Inde reste pourtant une excellente affaire pour l’industrie française. D’abord parce que l’essentiel du réseau de sous-traitance de l’appareil va
rester en France : les 500 PME et 7000 salariés que fait vivre le programme travailleront toujours pour fournir les pièces. L’avionique et l’électronique embarquée conçues par les sites Thales
(Le Haillan, Etrelles ou Pessac) ne vont pas se retrouver du jour au lendemain à Bangalore. Idem pour les moteurs M88 de Safran, assemblés à Villaroche (Seine-et-Marne), et les éventuels missiles
de MBDA. « Tous les pays peuvent assembler des avions livrés en kits, pointe l’analyste américain Richard Aboulafia, vice-président du cabinet Teal Group. Concevoir un appareil, avec
les bureaux d’études, la R&D, les tests, la formation des personnels, c’est une autre histoire. »
Bien sûr, il y aura des « offsets », c’est-à-dire des transferts de charges à des sous-traitants indiens, mais il est assez vain de s’en offusquer. Un, c’est la loi des contrats militaires
modernes, à laquelle même les Américains sont désormais prêts à se plier : leur offre de F-18 au Brésil est assortie d’une clause de transferts de technologies, Boeing promettant un assemblage
total des appareils au Brésil. Deux, tout transfert de ce type est, par essence, progressif. On ne crée par une chaîne de fournisseurs compétents du jour au lendemain : la vente d’hélicoptères
EC225 et de sous-marins de type Scorpène au Brésil, malgré les transferts de technologie, bénéficie encore largement à la balance commerciale française.
Il y a toujours, évidemment, une part de pari à accepter de transférer des technologies à un pays aussi ambitieux que l’Inde. Mais un contrat de ce type, qu’on ne reverra pas de sitôt dans le
monde de la défense, valait certainement de consentir quelques efforts. Une absence totale de vente à l’export du Rafale aboutirait de toute façon à une situation où Dassault n’aurait plus de
technologie à transférer, puisqu’il les aurait perdues avec la fin de la production de l’appareil.
Reste à signer le contrat définitif, ce qui sera loin d’être une sinécure, l'Inde étant un client complexe et parfois perméable aux pressions diplomatiques extérieures. Et à tenter de confirmer
le renouveau du Rafale aux Emirats Arabes Unis, un contrat qui serait le parfait complément du deal indien : l’exigence technique du client émirati contribuerait probablement à améliorer encore
les performances du Rafale.
Actualisé à 19h03 : la Tribune affirme qu'un accord avec les Emirats serait proche. La France serait d'accord pour reprendre les Mirage 2000-9 émirati pour en revendre une partie aux force libyennes. La période fin mars-début avril est évoquée pour une éventuelle signature.