05/06 Par Patrick de Jacquelot* - Les Echos
New Delhi vient d'édicter de nouvelles règles d'appel d'offres censées favoriser l'émergence d'industriels privés.
Favoriser le développement d'une industrie d'armement sophistiquée, c'est l'obsession de l'Inde, qui ne se satisfait pas de la situation actuelle : celle d'un pays aux énormes besoins, mais qui, faute de joueurs nationaux, est devenu le plus gros importateur d'armes de la planète.
Actuellement, la production militaire en Inde est confinée au sein de quelques entreprises publiques, dont les capacités techniques vont du médiocre au très correct, mais qui sont démunies dans les technologies de pointe et la recherche et le développement. Des grands groupes privés comme le conglomérat Tata ou le groupe d'ingénierie Larsen & Toubro ne demandent qu'à se lancer dans la défense, mais les militaires indiens, toujours désireux d'avoir ce qui se fait de mieux, ont tendance à favoriser les fournisseurs internationaux.
C'est dans ce contexte que New Delhi publie chaque année de nouvelles règles encadrant les achats d'armes. Celles qui sont entrées en vigueur ce 1 er juin se caractérisent par la volonté de privilégier systématiquement les producteurs privés indiens. Pour résumer, l'armée devra justifier pour chaque acquisition prévue à l'étranger pourquoi il n'est pas possible de trouver un fabricant indien ou de favoriser la mise en place d'une production locale. Une démarche saluée par les professionnels, avec quelques réserves : « L'intention est bonne, il reste à voir les modalités d'application », estime Neelu Khatri, responsable du secteur défense chez KPMG.
Car, dans la pratique, les règles sans cesse changeantes semblent susciter des difficultés croissantes, comme l'illustrent trois très gros contrats. Celui portant sur la modernisation des Mirage par Thales et Dassault, signé en 2011 et en cours d'exécution, prévoit une répartition claire des rôles entre les Français et Hindustan Aeronautics Ltd. (HAL), le spécialiste public de l'aéronautique. Thales est responsable de la modernisation des quatre premiers avions. Le groupe livrera ensuite à HAL des kits et le groupe indien sera responsable de leur installation sur les suivants.
Dans le cas des Rafale, le processus prévoit à l'inverse que, après la livraison en Inde des premiers appareils fabriqués en France, Dassault restera responsable du montage des appareils suivants réalisé par HAL. Cette disposition semble à l'origine du retard pris par la négociation. Enfin, le nouvel appel d'offres pour l'achat de 56 avions de transport est encore différent : les 16 premiers seront fournis par le vainqueur tandis que les 40 suivants devront être fabriqués par un groupe privé indien partenaire. « C'est absurde, avance un professionnel, aucun groupe privé ne va créer une chaîne de montage pour 40appareils seulement. »
Elaborée par tâtonnements successifs, la politique d'acquisitions militaires se cherche. Le gouvernement dit depuis longtemps vouloir publier la liste de ses besoins à long terme, pour que l'industrie puisse s'y préparer. Les intéressés attendent toujours. Neelu Khatri pointe une contradiction dans la politique affichée : « D'un côté, nous n'avons pas les compétences dans certains domaines, de l'autre, nous limitons les investissements étrangers dans les entreprises indiennes de défense à 26 %. »
* Patrick de Jacquelot, Correspondant en Inde - Son blog : www.frenchjournalist.com
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