L'opération en Somalie a été menée par les «Navy Seals», l’élite de la marine américaine
08 octobre 2013 Par Caroline Paré - RFI
Une capture « justifiée, légale », c’est le secrétaire d’Etat américain John Kerry qui juge ainsi l’arrestation d’un chef présumé d’al-Qaïda par les forces spéciales américaines il y a plus de 24 heures en Libye. « Légale » quand de son côté Tripoli dénonce un « enlèvement ». Un raid donc en Libye, apparemment l’objectif a été atteint. Ce qui n’est pas le cas pour l’autre attaque menée toujours samedi par les Etats-Unis, cette fois en Somalie avec les shebabs visés. Alain Rodier, directeur de recherche pour le Centre français de recherche sur le renseignement, répond aux questions de RFI.
RFI : Comment interpréter ces deux opérations américaines. Est-ce que Washington a voulu lancer un avertissement ?
Alain Rodier : Ces opérations rentrent dans la continuité des « covert operations », c’est-à-dire des opérations secrètes que l’administration Obama mène depuis qu’elle est en place. Généralement, ces opérations c’est plutôt via des drones que ça se passe, mais là ils voulaient prendre les cibles vivantes et causer un minimum de pertes collatérales. Donc ils s’y sont pris autrement par des raids humains, avec des gens sur le terrain.
Est-ce que cela signifie qu’il y a une double préoccupation de la part de Washington, c’est-à-dire maintenir ce que le ministre de la Défense décrivait comme une pression constante sur les groupes terroristes. Mais aussi, comme cela a été le cas au Pakistan, éviter le développement de sentiments anti-américains quand des drones frappent des villages ?
Oui, cette deuxième raison est tout à fait valable. J’en rajouterais une troisième : l’image de marque des Etats-Unis dans la région, en Afrique et au Proche-Orient, est très détériorée depuis les révolutions arabes parce que leur action a été un petit peu incompréhensible pour les gouvernants et pour les populations. Leur retrait de l’optique d’attaquer la Syrie, par exemple, a porté préjudice à leur image. Donc deux actions offensives coup sur coup, ça permet d’affirmer qu’ils sont encore présents et qu’ils sont capables de frapper leurs ennemis où qu’ils se trouvent.
On peut justement s’interroger sur l’impact en termes d’images en Libye puisqu’on a vu la réaction pour le moins embarrassée des autorités de Tripoli ?
Les autorités de Tripoli, c’est dommage pour elles, mais elles ne gouvernent que Tripoli. Pour le reste, on connaît l’état du pays qui est complètement compartimenté entre tribus et différentes factions, donc en réalité ça ne représente pas grand-chose aux yeux des Américains. Par contre en Somalie, ils ont reçu l’accord du gouvernement provisoire. Donc ça pose moins de problèmes. Je tiens aussi à souligner que ce sont des opérations secrètes et très généralement dans ce genre de choses, on ne demande pas l’autorisation au pays où ça a lieu.
Pour le cas somalien, cette mission est secrète. D’ailleurs depuis bientôt 48 heures, très peu d’informations ont filtré sur le résultat ou peut-être même l’absence de résultats de cette opération.
Oui, il semble qu’en fin de compte ils aient rencontré une défense acharnée. Les Navy Seals ont débarqué depuis des embarcations rapides et sans doute aidés par au moins un hélicoptère. D’ailleurs, quand on connaît un petit peu le coin, on sait que les défenseurs bénéficiaient de positions favorables. Et sous le feu de la garde rapprochée de ce responsable kényan qui se surnomme « Ikrima » et qui était recherché. Pour éviter les pertes inutiles, les Américains se sont repliés prudemment.
Parce que vous disiez Navy Seals, commando de marine, parce que c’était une attaque par la côte ?
Dans ce cas-là, ce sont des distinctions d’experts. Effectivement, ce sont vraiment les forces spéciales. C’est une « covert operation » mais pas vraiment une opération secrète. Ce qui n’était pas le cas en Libye où, là, c’est vraiment la CIA, éventuellement appuyée par le commando Delta, qui dépend de l’armée de Terre, qui serait intervenue. Mais là ils sont intervenus en civils, dans des voitures civiles. C’est une opération totalement secrète. Alors que les Navy Seals intervenaient en uniforme avec le drapeau américain sur la manche.
Dans le cas somalien justement, il y a des interrogations par rapport au calendrier, la proximité avec l’attaque du centre commercial de Nairobi ?
Des rumeurs courent mais la valeur accordée est balancée. Des interceptions téléphoniques auraient laissé à penser que les preneurs d’otages au Kenya avaient communiqué avec cette ville en Somalie. Les Américains auraient peut-être pensé que les ordres venaient de ce responsable qu’ils visaient. Cela dit, ça permet également de justifier un petit peu les manœuvres d’espionnage que mènent les Etats-Unis pour montrer qu’en fin de compte, leurs écoutes sont tout de même utiles pour leur sécurité nationale.
A lire : La face cachée des révolutions arabes, Editions Ellipses en 2012, avec le Centre français de recherche sur le renseignement.
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