02 juin 2013 Alexandre Duyck, envoyé spécial à Norfolk (Virginie, États-Unis) - Le Journal du Dimanche
PORTRAIT-Il aurait pu devenir chef d’état-major des armées françaises, il est le cerveau qui pense l’avenir de l’Otan. Cet enfant de gardien de la paix a deux passions : la République et l’aviation.
Ses mains parlent pour lui. Elles se tendent puis se mettent à vriller pour décrire le vol d’un avion de combat, partent à la chasse d’un objet imaginaire, d’un ennemi invisible. Ses doigts comptent, tapent, désignent… Le général cinq étoiles n’est pas à l’aise installé dans un canapé trop mou pour lui, on se dit que cet homme préfère la position debout et que, s’il faut vraiment s’asseoir, autant prendre place dans l’exigu cockpit du Fouga Magister de ses débuts ou du Rafale qu’il pilota encore l’an passé.
Pas de photo de famille, pas d’arme ancienne dont aiment à s’entourer les chefs militaires, pas même un drapeau ou un ballon ovale qui rappelleraient son soutien indéfectible à l’Usap, le club de rugby de Perpignan. Nommé en septembre 2012 à la tête de l’ACT (Commandement allié Transformation), l’un des deux états-majors suprêmes de l’Otan, Jean-Paul Paloméros a dépersonnalisé son bureau au possible. Le chef est ici pour bosser, pas pour décorer une pièce située au cœur de la base navale de Norfolk, la plus grande du monde, où mouillent en permanence quatre, voire cinq porte avions de l’US Navy.
Une mère bretonne, un père catalan
Toute sa vie, il a rêvé d’être un fils de l’air. Ses parents avaient pourtant les pieds bien sur terre. Une mère bretonne employée mutualiste; un père catalan gardien de la paix, "fier de son métier, fier de servir, qui nous a inculqué une discipline morale et intellectuelle". Enfance parisienne modeste et heureuse, très vite bercée par les bandes dessinées anglaises et françaises, Les Aventures de Tanguy et Laverdure. Ses lectures, bientôt complétées par les récits d’Antoine de Saint-Exupéry, décideront du sens de sa vie : Jean-Paul Paloméros sera pilote de chasse.
Enfant de troupe à 16 ans, à Autun, il rejoint le lycée militaire de La Flèche. Maths sup, maths spé, École de l’air de Salon-de-Provence qu’il intègre en 1973. Le jeune officier y évolue comme un poisson dans l’eau, découvrant peu à peu l’art du commandement, décidant d’une philosophie de vie qui ne le quittera plus : "Agir du mieux possible sans arrière-pensées, sans calcul. Prendre les risques nécessaires et suffisants. Assumer ses responsabilités." Suivre les règles que l’on demande aux autres de respecter. "Le commandant doit être tout sauf brutal et autoritaire. Je peux être dur mais un chef n’a pas le droit aux jugements péremptoires." De son visage se dégage un air de douceur étonnant chez un chef militaire de ce rang.
Pressenti pour l’Élysée
Il garde une reconnaissance sans faille à l’école de la République française, "ce pays où l’école donne sa chance au plus grand nombre." Ne dit-on pas plutôt des États-Unis, le pays où il travaille et vit désormais, qu’il est celui de tous les possibles? "Certes mais la compétition y est plus rude. Les plus faibles n’y résistent pas." Pilote, lieutenant à 22 ans, commandant d’une patrouille à 27 ans, il apprend à repérer les bâtiments soviétiques qui croisent en Méditerranée et apprécie, plus encore que les autres, les vols de nuit à basse altitude. Il monte en grade jusqu’à être nommé général de brigade aérienne il y a douze ans. Chef d’état-major de l’armée de l’air en 2009, il est pressenti pour devenir chef d’état-major des armées après la victoire de François Hollande. Il n’en sera rien. "Son nom a été cité à plusieurs reprises, confirme un haut gradé. Mais il aurait fallu que le président se sépare tout de suite de l’amiral Guillaud, nommé sous Sarkozy, ce qu’il n’a pas souhaité faire. Une fois la guerre au Mali déclenchée, ça n’était plus possible d’autant que Guillaud n’a pas démérité."
«Le commandant doit être tout sauf brutal et autoritaire. Je peux être dur mais un chef n’a pas le droit aux jugements péremptoires»
Plutôt que les somptueux bureaux du centre historique de Paris, Paloméros s’installe dans un bâtiment sans âme du centre de la base de Norfolk où il succède à un autre Français, le général Abrial, au poste de commandant suprême allié Transformation, laboratoire pour l’avenir de l’Otan. Avant cela, il était à la tête de l’aviation française qui a attaqué Kadhafi.
"Le général est quelqu’un que j’ai toujours apprécié pour la clarté de son langage, confie Patricia Adam, députée (PS, Finistère) et vice-présidente de la commission de la Défense de l’Assemblée nationale. Il a su mettre en place les mesures d’économie nécessaires avec intelligence et respect des troupes. Le succès de l’opération Serval au Mali lui est également en grande partie dû. Certes, il était déjà en poste aux États-Unis mais l’opération n’aurait pas été une telle réussite si l’armée de l’air n’avait pas été aussi bien préparée sous son commandement."
"L’histoire est en train de s’écrire en Afghanistan"
Fort de deux victoires militaires et d’un passé qui l’a notamment conduit au Tchad et en Bosnie, Paloméros a débarqué en Virginie pour prendre la tête d’une équipe de 600 militaires issus des 28 pays membres de l’Otan. Sa mission : concevoir l’Alliance Atlantique des vingt ou trente prochaines années. Quels risques et menaces imaginer? Cyberattaques, nouveaux missiles, formes d’actions terroristes inconnues à ce jour, nouveaux champs de bataille… Comment les affronter? Avec quelles armes, quelles technologies, quelles techniques d’entraînement et de renseignement… Avec quels moyens quand tous les gouvernements réduisent leurs dépenses militaires? Il y a moins de deux ans, Paloméros avait réclamé vingt drones en 2020 pour l’armée de l’air française. Qui vient d’en acheter deux aux Américains…
Carol Pottenger, vice-amiral en retraite, observe : "C’est une mission très compliquée, réfléchir à l’avenir de l’Otan en faisant travailler ensemble 28 nations… Mais le général est à l’écoute et réticent à toute prise de décision hâtive. Rapide sur le champ de bataille, il est posé et réfléchi ici." L’ambassadeur américain Ravic Huso, qui fut le conseiller du commandant suprême : "Paloméros a toutes les capacités requises pour cette mission : l’expérience du terrain, le sens de l’anticipation, la compréhension des enjeux politiques… Le monde est tellement imprévisible que la tâche qui lui incombe est d’une importance capitale."
Dans la salle voisine, cinq horloges donnent l’heure à Norfolk, Zulu (GMT), Bruxelles, Kaboul et Bagdad. Dans les deux dernières villes, malgré l’intervention massive de l’Otan, les civils meurent chaque semaine par dizaines dans des attentats. En Afghanistan, les talibans attendent le départ des dernières troupes combattantes pour mieux asseoir leur pouvoir. "L’histoire est en train de s’écrire en Afghanistan, veut croire le général. Repensons à l’état de ce pays il y a seulement cinq ou six ans…"
Et la Syrie? Le massacre impuni d’un peuple par son dictateur? "L’Otan ne peut pas s’autosaisir. Nous dépendons d’une résolution de l’ONU. Or je ne vois pas venir de texte jusqu’à présent." Pris sous le feu des dirigeants politiques, des opinions publiques et des chefs militaires du monde entier, Paloméros s’en extirpe rarement, parvenant tout de même à consacrer du temps à sa famille. Souvent, il s’en va courir. Parfois, il écrit des poèmes dont la lecture relève du secret-défense. Seule son épouse est habilitée à les lire.