10 juin 2013 par: Romain Mielcarek – ActuDéfense
Tout au long de la visite de François Hollande, la semaine dernière, les médias japonais sont revenus sur l’affaire des grilles d’appontage pour hélicoptères de DCNS livrées à Pékin. Ils accusent la France de ne pas respecter l’embargo sur les livraisons d’armes à la Chine. Retour sur le difficile commerce militaire avec Pékin.
C’est un Arnaud Montebourg gêné, que décrit l’ancien correspondant à Paris de l’Asahi Shimbun, Norito Kunisue. Le 22 avril 2013, le ministre du Redressement a du faire face à un afflux plus important qu’à l’accoutumée de journalistes japonais lors d’une conférence de presse à l’ambassade de France de Tokyo. Les médias nippons s’inquiètent alors depuis un mois de la livraison de grilles d’appontage pour hélicoptères à Pékin par le constructeur tricolore DCNS. De simples équipements à usage civil, assure le ministre, qui jure que le contrat n’enfreint pas l’embargo européen sur les armes à destination de la Chine.
Les grilles en question, au nombre de deux, viendront s’ajouter à onze autres qui équipent déjà des navires appartenant à la Zhōngguó Hǎijiǎn. La Surveillance maritime chinoise – littéralement – est effectivement une agence civile, sous tutelle du ministère de la Sécurité publique. Au moins neuf de ses bâtiments ont pourtant fait l’objet de signalements par les autorités japonaises au cours des deux derniers mois.
La semaine dernière, le sujet est revenu sur la table au cours du dialogue Shangri-La, sommet régional sur la sécurité en Asie. Le ministre de la Défense japonais, Itsunori Onodera, a exprimé son inquiétude à son homologue français en marge de la rencontre, comme le rapporte l’Asahi Shimbun : «Si cet équipement est installé sur les Haijan [les navires de surveillance côtière chinois], cela ne fera que nourrir les tensions en mer de Chine», assure-t-il. Réponse de Jean-Yves Le Drian : la vente ne peut pas être empêchée car il s’agit d’une application civile… qui n’est pas soumise à l’embargo européen.
Un respect de l’embargo tout en hypocrisie
Des équipements destinés au marché civil relevant d’autorisations propres à l’industrie de l’armement, on en compte 180 rien qu’en 2011. La commission chargée d’autoriser les exportations de «matériels de guerre, assimilés ou liés à la défense» a ainsi accordé aux producteurs de technologies militaires de signer pour 283,6 millions d’euros de contrats cette année là. En tout, entre 2007 et 2012, cela représente, selon le ministère de la Défense, un chiffre d’affaire de 466 millions d’euros.
La moitié de ce volume concerne des équipements relevant de l’aéronautique (150 millions), des radars de surveillance aérienne et des moteurs d’hélicoptères, par exemple. Viennent ensuite des équipements d’imagerie ou de capteurs (66,6 millions) et des pièces de fonderie (51,8 millions). Enfin, et dans une moindre mesure, différents contrats ont été autorisés concernant des systèmes d’alerte, des savoirs technologiques ou encore des produits chimiques de type anti-émeute.
La France, comme le reste de l’Europe, respecte pourtant un embargo sur les livraisons d’armes à destination de la Chine. Adopté suite à une déclaration du Conseil européen le 27 juin 1989, il visait à sanctionner le régime chinois après le drame de Tian’anmen, le 4 juin de la même année. Depuis, Paris demande à Pékin de mieux respecter les droits de l’homme et de garantir que ses moyens militaires ne puissent jamais être utilisés contre des populations civiles ou contre des alliés ou amis de la France et de l’Europe.
Au ministère de la Défense, on nous assure que «la France n’est pas favorable à une levée de l’embargo». Pourtant, «nous sommes parjures», analyse Daniel Schaeffer, ancien attaché de défense dans plusieurs pays asiatiques et membre du groupe de réflexion Asie21. «Nous respectons l’embargo, admet-t-il, mais en trouvant des moyens d’exporter malgré tout: nous aidons ici la Chine à poursuivre ses revendications» sur les îles Senkaku.
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C’est dans le secteur de l’aéronautique qu’il y a le plus d’autorisations d’exportations de matériels sensibles (150 millions d’euros en 2011). ©DR
Contourner l’embargo, un sujet «délicat»
Les industriels sont en effet bien obligés de respecter l’interdiction de vendre de l’armement à la Chine. Ils peuvent par contre proposer des technologies duales, à savoir des éléments qui puissent servir aussi bien à une application civile que militaire. C’est le cas par exemple d’un moteur d’hélicoptère qui reste très semblable selon la version militarisée ou non de l’appareil. Les Chinois disposent de compétences techniques pour adapter ce type de matériels.
Une autre solution consiste à vendre des pièces détachées. C’est le cas de la grille d’appontage de DCNS : le fabricant ne pourrait pas vendre un navire de surveillance maritime complet, il peut cependant livrer différents sous-ensembles qui permettront de moderniser les bâtiments chinois.
Enfin, des matériels livrés à un pays tiers moins regardant sur le respect des droits de l’homme peuvent servir à fournir, in fine, la Chine. «Une fois que les matériels sont sur place, difficile de surveiller», souligne un fin connaisseur des fonctionnements de l’industrie de défense. «Il y a une vraie hypocrisie, admet un cadre d’un grand groupe français, mais si l’on s’interdit ce type de livraisons, on ne peut plus rien vendre.»
L’embargo européen reste principalement défendu par les pays du Nord. La France, la Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Italie ou encore l’Espagne militent pour sa révision : ces Etats disposent d’industries militaires fortes qui craignent de voir échapper des contrats alors que la Chine investit massivement dans l’armement.