Le MQ-9 Predator est conçu pour la reconnaissance,
mais peut aussi être armé de bombes.
12 Mai 2011 - Jean-Michel Berthoud, swissinfo.ch
(Traduction de l'allemand: Xavier Pellegrini)
Le fabricant d’armes suisse et le groupe d’armement américain General Atomics s’apprêtent à vendre conjointement des drones à l’armée de l’air allemande. Des avions, utilisés pour des vols de
reconnaissance sans pilote, mais aussi pour des éliminations humaines ciblées en temps de guerre.
L’entreprise Ruag, propriété de la Confédération, veut participer avec le fabricant américain des drones Predator à l’appel d’offres de l’armée allemande. «En cas de vente d’avions de ce type,
Ruag prendrait en charge la maintenance, l’entretien, la réparation et la révision des drones», a expliqué à la Radio suisse alémanique Christiane Schneider, directrice de communication de Ruag.
Ruag attend depuis plus de quarante ans d’avoir l’occasion de vendre des dispositifs militaires à l’armée allemande, par l’intermédiaire d’une filiale à Oberpfaffenhofen, en Bavière.
Intervention possible en Afghanistan
Le modèle concerné serait conçu pour la surveillance aérienne allemande. L’engin volant télécommandé, qui peut transporter une charge utile de 1,7 tonnes, peut aussi être équipé d’un large
spectre d’armes, comme des missiles air-sol ou des bombes guidées. Les drones de ce type, désignés actuellement par le terme MQ-9 Reaper, sont engagés en Afghanistan et dans la zone limitrophe
pakistanaise par les forces aériennes américaines dans le cadre de la guerre contre les Talibans et Al-Qaïda.
Christiane Schneider ajoute que «nous partons du principe qu’il s’agit de drones de reconnaissance. Fondamentalement, tout drone peut être armé, comme c’est le cas pour les voitures. Car on peut
aussi faire de chaque voiture une arme.»
Le fait est que les drones pourraient aussi être un jour utilisés en Afghanistan, l’armée allemande étant engagée dans ce conflit.
Le mandat décisif de l’ONU
Une telle joint-venture est-elle légale en regard de la législation suisse? swissinfo.ch a posé la question à Simon Plüss, responsable des exportations suisses de matériel de guerre au sein du
Secrétariat d’État à l’économie (seco). Selon lui, il s’agit d’abord de déterminer s’il s’agit de matériel de guerre ou non.
«A ma connaissance, il s’agit de travaux d’entretien que Ruag devrait effectuer sur des drones livrés à l’armée allemande par les États-Unis, explique-t-il. Ces travaux pourraient entrer dans la
catégorie du matériel de guerre, car certains services sont aussi visés par la loi. Autre question: certains travaux seront-ils faits en Suisse et les drones ensuite renvoyés en Allemagne?»
Mais Simon Plüss estime que ces questions restent encore du domaine de la spéculation. «Je ne sais pas exactement comment se déroulera la transaction, avoue-t-il. Le moment venu, s’il s’avère
qu’il s’agit bien de matériel de guerre, il faudra examiner si les critères de la loi concernant le matériel de guerre en cas d’exportation sont bien remplis.»
En ce qui concerne les conflits civils ou internationaux, le gouvernement suisse a développé une pratique permettant l’exportation de matériel de guerre si le pays acheteur participe à une
intervention reposant sur un mandat de l’ONU ou si un accord intervient entre la Suisse et le pays destinataire sur l’utilisation du matériel. Pour Simon Plüss, l’autorisation pourrait être
accordée dans ce cas si l’utilisation en Afghanistan se fait dans le cadre du mandat de l’ONU.
«Une politique de neutralité douteuse»
Mais l’expert en droit international Rainer J. Schweizer, de l’université de St-Gall, exprime des doutes, notamment en raison du fait que Ruag appartient à 100% à la Confédération. Répondant aux
questions de la Radio suisse alémanique, il estime que des travaux de maintenance de Ruag sur les drones «pourraient finalement conduire à un soutien logistique dans un conflit armé comme celui
qui se déroule en Afghanistan. Or, si l’OTAN a reçu un mandat de l’ONU pour de telles actions, ce n’est pas le cas de la Suisse, qui a choisi une voie de prudence conforme à sa politique de
neutralité et qui se concentre sur des actions de maintien de la paix.»
Au seco, Simon Plüss estime que la compatibilité avec la neutralité devra être jugée dans le cas concret de l’entretien des drones. Mais il estime que «la transaction n’est pas exclue. On saura
si elle respecte toutes les conditions pour être autorisée seulement lorsqu’une demande concrète nous est adressée. Pour le moment, nous n’en savons rien.»
Le Vert Josef Lang, spécialiste des questions de sécurité, souligne pour sa part que «la transaction est politiquement très risquée. Ruag est une entreprise fédérale. La Suisse serait de ce fait
au moins indirectement impliquée dans la guerre en Afghanistan. Ce serait une erreur d’autant plus grave que la Suisse pourrait prochainement jouer un rôle dans la pacification de l’Afghanistan.»
«S’il était dans l’intention de la Suisse de jouer un tel rôle, il faudra probablement la prendre en compte lors de la décision, admet Simon Plüss. Mais je n’ai aucune indication que quelque
chose de tel soit prévu.»
«Dans le cadre légal»
Chez Ruag, on est bien conscient qu’un contrat concernant les drones pose des questions. «Mais nous agissons strictement dans le cadre légal». Jusqu’à l’appel d’offre du gouvernement allemand, il
pourrait s’écouler encore une période de jusqu’à deux ans, selon l’entreprise fédérale.
Parlant des troubles en Afrique du Nord et des conflits au Proche-Orient, le patron de l’entreprise Lukas Braunschweiler avait dit fin mars, lors de la dernière conférence de presse annuelle à
Zurich-Oerlikon, que Ruag s’en tenait toujours au «sévère régime d’exportation dicté par le droit suisse». Il a affirmé que son entreprise était «consciente de ses responsabilités». La part de
marché de Ruag dans les régions d’Amérique du Sud, du Proche-Orient et d’Afrique ne serait que de 2%. Aucun «projet critique» n’a dû être retiré jusqu’à maintenant.