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24 mai 2014 6 24 /05 /mai /2014 19:55
Jean-François Fiorina avec le Général Hingray

Jean-François Fiorina avec le Général Hingray

 

22.05.2014 Jean-François Fiorina  - notes-geopolitiques.com

 

Le général Frédéric Hingray commande la discrète mais puissante brigade de renseignement (BR) de l’armée de Terre. La géopolitique, il la pratique très concrètement au quotidien. Car la connaissance du terrain est indispensable à la bonne compréhension des situations et de l’environnement dans lequel agit la force.

 

Pour lui, il existe d’ailleurs des analogies entre guerre et guerre économique. Dans les deux cas, il faut trouver la bonne information au bon moment, la vérifier et l’exploiter au mieux pour prendre la bonne décision, rapide et pertinente, en toute confidentialité. Un entretien rare sur cette unité peu connue mais hautement spécialisée, qui intervient sur tous les théâtres d’opération où sont déployés nos soldats.

 

Le renseignement est sans doute aussi ancien que l’art de la guerre. En quoi est-il aujourd’hui indispensable à la conduite des opérations militaires ?

 

L’enjeu aujourd’hui comme hier est inchangé : il s’agit toujours de savoir pour comprendre les situations, l’environnement, et agir à bon escient, souvent dans l’urgence, afin de prévenir les menaces, les désamorcer, les contrer, les neutraliser. Bref, il s’agit toujours de dominer l’adversaire (supériorité opérationnelle), un adversaire qui a beaucoup changé de nature depuis la fin de la guerre froide et des grands conflits classiques du type « guerre du Golfe ».

 

Aujourd’hui, les opérations militaires sont d’abord confrontées à l’individualisation de la menace : un ou des terroristes ou un ou des petits groupes d’assaillants, un EEI – engin explosif improvisé – posé sur le passage d’un convoi, un tir de roquette soudain contre une emprise militaire, etc.

 

Ensuite, il y a l’aspect asymétrique à prendre en compte : ce ne sont pas forcément des troupes organisées et identifiables, en uniforme, qui s’opposent à nous, mais des groupes armés hétérogènes, à l’exemple des réseaux et groupes extrémistes ou djihadistes immergés le plus souvent dans la population.

 

La seconde caractéristique des conflits modernes est l’environnement humain permanent dans lequel se déroulent les opérations militaires, populations victimes directes ou collatérales des actes de violence perpétrés par nos adversaires, qu’il convient d’épargner et de protéger tout en ayant conscience qu’en leur sein se cachent facilement ces mêmes adversaires.

 

Dans ce contexte, le renseignement doit être beaucoup plus précis, exhaustif et réactif pour permettre l’action efficace, tout en s’appuyant sur des informations beaucoup plus fugaces et morcelées que par le passé, dont il convient de s’assurer de la pertinence et de la robustesse dans des délais contraints.

 

Quelles analogies voyez-vous avec les systèmes d’intelligence économique (IE) mis en oeuvre par les entreprises pour anticiper et gérer les risques liés à une implantation à l’étranger, a fortiori en zone instable ?

 

L’analogie réside, je crois, dans la capacité à saisir la bonne information au bon moment, à s’assurer de sa validité, et à l’exploiter dans un cycle décisionnel approprié pour obtenir une appréciation de situation consolidée et partagée, propice à la prise de décision rapide et pertinente, tout en garantissant en permanence la confidentialité de l’information et de son traitement.

 

Évidemment, l’IE s’exerce sur un autre théâtre que celui des opérations militaires et les enjeux sont plus économiques et liés aux risques, avec des enjeux sécuritaires en principe moins prononcés mais qu’il convient aussi de bien prendre en considération.

 

Vous commandez la brigade de renseignement de l’armée de Terre depuis bientôt deux ans. Le grand public connaît peu cette unité très spécialisée, qui intervient pourtant sur tous les théâtres d’opération où sont déployés nos soldats. Pouvez-vous nous en dire davantage ? Quelles sont ses principales missions ?

 

La BRENS est une grande unité spécialisée des forces terrestres. Elle appartient à l’armée de Terre. Il convient de la distinguer des « services de renseignement » nationaux qui relèvent du ministre de la Défense avec lesquels existent bien sûr des synergies, notamment avec la DRM (direction du renseignement militaire), qui est un employeur de nos capacités.

 

La brigade est constituée de 5 régiments spécialisés dans le renseignement d’origine humaine (ROHUM), image (ROIM), électromagnétique (ROEM), géographique (GEO) et d’un petit état-major (60 personnes), soit au total environ 3600 personnes. Son centre de gravité est situé en Alsace.

 

Ma mission est de former les hommes et les femmes du renseignement terrestre dans ces 4 spécialités, les entraîner à la maîtrise des moyens et des procédures associées et à opérer ensemble, les intégrer dans des structures « multicapteurs » réunissant tout ou partie de ces différentes spécialités, sous un commandement unique, afin de conduire des opérations de recherche en appui et au rythme d’une force aéroterrestre déployée sur un théâtre d’opération.

 

Comment s’organisent concrètement le recueil et le traitement du renseignement sur un théâtre d’opération ? Quelle est l’importance donnée à la connaissance du terrain, au sens géographique et humain du terme, et plus largement à l’analyse géopolitique dans le traitement des informations recueillies ?

 

Pour ce qui est de l’organisation et du traitement, les unités de recherche mettent en oeuvre leurs capacités (capteurs spécialisés) pour obtenir, chacun dans leur domaine, des informations sur un certain nombre de cibles, d’objectifs ou de thématiques, dans l’espace et dans le temps.

 

Ces informations correspondent à un besoin précis, établi par l’état-major opérationnel qu’elles sont chargées d’appuyer, selon un ordre de priorité bien défini. Une fois acquises, ces informations sont exploitées, c’est-à-dire mises en forme, analysées, capitalisées en bases de données, croisées, etc. puis synthétisées sous forme de productions selon des formats et un timing normés, afin d’être utiles à la décision du commandant d’opérations et de son état-major dans les délais prescrits.

 

La géopolitique, nous la mettons en pratique tous les jours. Car la connaissance du terrain (au sens physique et humain) est absolument indispensable à la bonne compréhension des situations et de l’environnement dans lequel agit la force.

 

Sinon, on risque par exemple de commettre de graves impairs vis-à-vis des acteurs locaux (par exemple, méconnaissance des traditions locales et des réalités ethniques et confessionnelles) ou encore de mettre la force en difficulté sur un terrain défavorable à la manoeuvre.

 

Plus généralement, le géo-référencement des informations de toute nature (imagerie, activité humaine et incidente, points déterminants du terrain, etc.) ainsi que leur datation le cas échéant ajoutent à la compréhension fine d’une réalité de terrain qu’il convient de restituer le plus fidèlement aux décideurs, de densifier dans le temps et de conserver en mémoire, notamment avec l’aide d’outils d’information géographiques puissants.

 

L’analyse géopolitique est évidemment essentielle à la décision de niveau stratégique et opérative (niveau du théâtre d’opération considéré) et le renseignement acquis sur le terrain, comme la bonne connaissance des réalités de la géographie physique et humaine, y contribuent mais pas uniquement.

 

En effet, des aspects historiques, sociaux, ethnoculturels, confessionnels et politiques interviennent dans cette analyse, aspects qui complètent et expliquent parfois l’apport en informations permis par la mise en oeuvre des capacités et compétences tactiques fournies par les seules unités de renseignement.

 

C’est pour cela qu’il est important que nos unités soient « acculturées », familiarisées, à un théâtre d’opérations avant de s’y déployer et de remplir leurs missions sur le terrain. Cette immersion est réalisée au cours de ce qu’on appelle la « mise en condition avant projection », grâce à l’intervention d’organismes spécialisés et d’experts de ces sujets.

 

Quel rôle jouent les nouvelles technologies, Internet et les réseaux sociaux dans la collecte et le traitement du renseignement ? Compliquent-ils la donne ou au contraire sont-ils pour vous des sources intéressantes ?

 

Les nouvelles technologies, Internet (et plus généralement les réseaux) jouent bien sûr un rôle croissant car des échanges d’informations denses s’opèrent par cette voie. Le nombre accru des communications par satellites en est l’exemple le plus illustratif. Et Internet recèle des informations accessibles en « sources ouvertes » dont beaucoup présentent un intérêt incontestable.

 

Encore faut-il pouvoir trier le « bon grain de l’ivraie ». Les réseaux (au sens Internet), plus précisément, peuvent le cas échéant faire partie de l’environnement des forces en fonction du théâtre des opérations, en plus des moyens de communication plus traditionnels (radios de différentes fréquences, téléphonie mobile, etc.). Il y a de plus des passerelles entre ces deux mondes, réseaux et moyens de communication classiques, ce qui rend le spectre électromagnétique encore plus complexe à appréhender.

 

C’est évidemment un des défis à relever pour nous dans le proche avenir, y compris dans le cadre de la cyberdéfense qui fait l’objet d’une priorité stratégique dans le Livre blanc.

 

En quoi consiste plus particulièrement le renseignement d’origine électromagnétique ? La France est-elle à niveau dans ce domaine – au regard en particulier des moyens des États- Unis par exemple ?

 

Le renseignement d’origine électromagnétique couvre l’ensemble des renseignements de nature opérationnelle ou technique issus d’une interception « non coopérative » dans le spectre électromagnétique. Il a pour but de recueillir soit de l’information tirée de l’interception ou de l’écoute des télécommunications (contenu), soit de décrire l’émission électromagnétique elle-même (contenant, comme par exemple les fréquences ou autres informations techniques).

 

De plus, les moyens ROEM ont également une capacité d’attaque par la mise en oeuvre de mesures de guerre électronique, au premier sens du terme, c’est-à-dire de brouillage, de déception ou d’agression électromagnétique. La France a consenti des investissements réguliers et adaptés au besoin dans ce domaine.

 

Nous avons des capacités performantes et tout à fait compétitives par rapport à celles de nos principaux partenaires, avec plusieurs desquels nous coopérons d’ailleurs dans ce domaine au sein de l’OTAN.

 

Des entreprises françaises sont parfois implantées depuis longtemps dans les régions où vous êtes conduits à vous déployer, notamment en Afrique. Utilisez-vous leur connaissance des réalités locales et leurs réseaux dans le cadre de vos missions ? Plus généralement, ne serait-il pas utile de mieux faire collaborer – sur le modèle anglo-saxon – les entreprises privées avec les armées lorsque les intérêts de la Nation sont en jeu ?

 

Les acteurs économiques nationaux implantés à l’étranger sont évidemment des interlocuteurs de premier plan qui connaissent bien les réalités des territoires où ils sont implantés de longue date. Ils sont d’ailleurs régulièrement associés aux échanges qui s’opèrent, sous l’égide de nos représentations diplomatiques (ambassadeurs, attachés de défense), sur les questions de sécurité, ne serait-ce que dans le cadre de la veille sécuritaire classique et de la mise à jour des mesures de protection, de regroupement ou d’évacuation en cas de situation dégradée.

 

Si des entreprises françaises étaient stationnées dans un pays faisant l’objet d’une intervention militaire de la France, il est évident que les militaires entreraient en contact avec leurs représentants, d’abord et surtout pour s’assurer de leur sécurité et, le cas échéant, recueillir leurs témoignages avertis.

 

Mieux faire collaborer les entreprises privées avec la défense est une démarche qui existe déjà dans le cadre de certains marchés d’externalisation. Je pense ici à des aspects logistiques, maintenance d’équipements ou appui au stationnement des forces. D’autres prestations sont possibles, comme la fourniture de services liés à l’information ou à l’imagerie aérienne. D’autres pistes encore sont explorées.

 

Il existe par exemple des besoins de protection du trafic maritime privé (contre la piraterie) qui ne peuvent être entièrement satisfaits par les États. C’est un sujet connu qui fait l’objet d’une réflexion partagée, alors que les armées sont appelées à réduire leurs effectifs conformément aux nouveaux contrats opérationnels qui leurs sont fixés par le Livre blanc.

 

Compte tenu du format de la Défense nationale, les armées utilisent proportionnellement toujours davantage de réservistes. De jeunes diplômés d’écoles de management comme celle de Grenoble, dont l’une des spécificités tient à l’enseignement de la géopolitique, peuvent-ils constituer des recrues de choix pour vous ? Et qu’apprendraient ces réservistes en servant au sein de la brigade de renseignement pour gagner en performance dans leurs fonctions de management, notamment à l’international ?

 

Oui sans aucun doute, les jeunes diplômés d’écoles de management comme celle de Grenoble peuvent constituer des recrues de choix pour notre brigade et plus généralement pour la fonction renseignement de l’armée de Terre et des armées dont la mission est de rechercher et d’exploiter des informations variées pour mieux appréhender et comprendre en profondeur des situations géopolitiques ou militaires complexes.

 

L’exemple de nos homologues britanniques est d’ailleurs intéressant à observer et peut servir de modèle à certains égards. En effet, ils recrutent beaucoup plus de réservistes que nous dans leurs unités spécialisées (Intelligence Battalions). Ceux-ci se consacrent à l’analyse et à l’exploitation d’informations opérationnelles et d’environnement, et fournissent un appui important au commandement sous forme de conseils et d’assistance, du fait de leur connaissance approfondie de certains domaines utiles à la compréhension intelligente des situations conflictuelles (ethnologie, histoire, géographie physique et humaine, etc.).

 

En servant comme réservistes au sein de la brigade de renseignement, de jeunes cadres d’entreprise acquerront une connaissance très concrète des opérations de recherche du renseignement et du processus d’aide à la décision appuyé par le renseignement.

 

Cette expérience pourra leur être utile également à l’international car ce sujet est partagé entre les forces armées des pays alliés et nous avons des échanges fréquents sur nos manières d’opérer entre partenaires, dans le cadre de la communauté « ISTAR » (Intelligence, Surveillance, Target Acquisition and Reconnaissance).

 

Beaucoup de capacités mises en oeuvre par les forces armées aujourd’hui, dont certaines élaborées en synergie avec nos alliés, anglo-saxons notamment, ont été développées à partir d’une réflexion conceptuelle approfondie sur cette compétence centrale qu’est la maîtrise du renseignement opérationnel, nécessaire à tout décideur pour savoir et agir rapidement et à bon escient, qu’il soit civil ou militaire.

 

Par ailleurs, l’art du commandement est toujours une valeur centrale dans les armées, objet d’un enseignement continu et de pratiques éprouvées dans le cadre d’un exercice à la fois hiérarchique et transverse de l’autorité.

 

La qualité des relations humaines et du travail en réseau constitue un des leviers essentiels de ce que l’on appelle le « dialogue de commandement », qui conditionne pour une large part la performance collective. J’imagine que c’est exactement la même chose dans le management d’une entreprise.

 

En matière de commandement (management) et de renseignement, faire un peu de benchmark sur la manière de faire des militaires est donc toujours pertinent pour l’entreprise en 2014 !

 

 

La brigade de renseignement de l’armée de Terre vient de publier le 1er numéro de CODEX – De l’information à l’action. Consacrée à l’actualité du renseignement et des enjeux de l’information décisionnelle, cette newsletter mensuelle entend bâtir des ponts entre décideurs politiques, militaires et économiques conscients de la nécessité de « connaître » et « anticiper » pour conduire leur stratégie. Pour s’inscrire à la liste de diffusion, adresser une demande à : offcom.brens@gmail.com

 

 

Géopolitique du renseignement militaire

 

A propos de Frédéric Hingray

 

Frédéric HingrayFrédéric Hingray intègre l’Ecole spéciale militaire de Saint-Cyr Coëtquidan en 1982, puis choisit les Troupes de marine. Après une année de formation à l’Ecole d’application de l’infanterie à Montpellier (1985-1986), il sert comme lieutenant au 8ème régiment parachutiste d’infanterie de marine à Castres. Il est engagé successivement au Gabon puis en Nouvelle-Calédonie.

 

En 1989, promu capitaine, il est désigné pour servir au 2ème régiment parachutiste d’infanterie de marine (RPIMa) à Saint-Pierre (La Réunion) comme chef de section. Il est également engagé aux Comores. Muté au 1er régiment parachutiste d’infanterie de marine de 1991 à 1994 à Bayonne, il y commande la 3ème compagnie. Il est ainsi engagé en Somalie et en République Centrafricaine.

 

En 1994, promu chef de bataillon, il est affecté à l’Ecole d’application de l’infanterie au sein du groupement d’application des officiers. Il y occupe les fonctions de commandant de brigade puis de commandant de groupe.

 

Après sa réussite au concours de l’enseignement militaire supérieur scientifique et technique en 1996, il suit l’enseignement de l’Ecole des mines à Nancy puis de la 25e promotion du Cours supérieur d’état-major canadien à Toronto. Il est promu lieutenant-colonel en 1998.

 

A son retour en 1999, il rejoint l’encadrement du Collège interarmées de défense à Paris, en charge du projet « simulation interarmées ». En 2001, il est affecté comme adjoint « opérations » au sein du Commandement des opérations spéciales (COS). Il est de nouveau engagé au Kosovo, en Côte d’Ivoire et en Afghanistan, et est promu colonel en 2003.

 

Il commande le 6e bataillon d’infanterie de marine et les Troupes françaises à Libreville au Gabon de juillet 2005 à juillet 2007. Affecté en septembre 2007 à l’Etat-major de l’armée de Terre, il y occupe la fonction de chef de section au sein du bureau « prospective études synthèse ».

 

De 2009 à 2010, il est auditeur de la 59e session du Centre des hautes études militaires (CHEM) et de la 62e session de l’Institut des hautes études de la défense nationale (IHEDN), puis jusqu’en juillet 2012, il est le chef du bureau réservé du cabinet du ministre de la défense.En août 2012, il est nommé général et commandant de la brigade de renseignement à Haguenau à la même date.

 

Le général HINGRAY est officier de la Légion d’Honneur, il est titulaire de la croix de la valeur militaire avec trois citations.

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19 septembre 2013 4 19 /09 /septembre /2013 17:00
Géopolitique du Kidnapping

 

L’économie de la rançon en plein essor
 

Avec 20000 enlèvements par an en moyenne, le marché du kidnapping se porte bien. Longtemps associé à un acte terroriste, l’enlèvement tend depuis les années 1990 à devenir une véritable industrie, aux revenus (très) lucratifs. Certes, il reste une « arme » dans de nombreux conflits, comme en témoignent les otages kurdes en Syrie, mais de plus en plus de ravisseurs ne sont motivés que par l’appât du gain. Il est vrai que les montants négociés peuvent atteindre plusieurs millions d’euros, pour peu que l’événement concerne des Occidentaux et qu’il soit médiatisé.

Le plus souvent cependant, on assiste à une imbrication de motivations où il n’est pas aisé de distinguer les finalités poursuivies. « Les deux sortes d’enlèvements, criminels et politico- criminels, ont dorénavant des rapports solides », analyse Pierre Conesa, chercheur associé à l’IRIS et ex-adjoint au directeur de la Délégation aux affaires stratégiques (DAS). Une complexité face à laquelle les réponses étatiques ne sont pas évidentes et qui favorise l’offre des sociétés de sécurité privées.

Le phénomène n’est pas nouveau, loin s’en faut. Il a néanmoins évolué au cours de l’histoire. Dans l’Antiquité, l’otage est une « institution » qui vise à garantir l’exécu- tion des traités militaires ou politiques. « À la différence de ce qui se passe aujourd’hui, il n’y avait pas prise, mais remise d’otages. Ainsi, il n’y avait rien de plus normal ni de mieux admis, dans la pratique des rapports internationaux de l’époque, que le recours aux otages » rappelle le recteur et professeur d’histoire Saliou Ndiaye. L’otage est un échange consentant entre puissances. Ainsi, il n’est pas un prisonnier, mais un captif qui ne doit pas être maltraité. Il n’est pas rare qu’il jouisse même d’une certaine liberté de mouvement, lui permettant selon ses moyens de mener une vie sociale. Cette situation va perdurer au Moyen âge et à l’époque moderne. On assiste ce-pendant, notamment au cours de la Guerre de Cent ans, à des prises d’otages par la force afin de monnayer un avantage politique sur l’adversaire ou un gain financier important. Le kidnapping peut déjà s’avérer crapuleux et fondé sur des considérations purement mercantiles.

 

Suite de l'article

 

Géopolitique du Kidnapping

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11 juillet 2013 4 11 /07 /juillet /2013 16:55
Le général de Saint Chamas, commandant la Légion étrangère

Le général de Saint Chamas, commandant la Légion étrangère

11 juil 2013 par Jean-François Fiorina - Les Entretiens du Directeur

 

Jean-François Fiorina s’entretient avec le Général de Saint Chamas

 

Chaque année, la Légion étrangère clôt le défilé du 14 juillet, remportant un franc succès à l’applaudimètre. Créée en 1831, cette institution hors du commun constitue un formidable exemple de réussite, en termes de savoir-faire militaire et humain, pédagogie, management, tradition, recrutement, diversité sociale, mixage des cultures…

 

Pour bien comprendre les ressorts de la Légion, qui fête cette année le 150e anniversaire du combat de Camerone, Jean-François Fiorina a été reçu à Aubagne, la maison-mère de la Légion, par le Général Christophe de Saint Chamas, commandant la Légion étrangère.

 

La Légion étrangère est une institution unique en son genre à travers le monde. En ce sens, quelle est votre vision de la géopolitique ?

 

La géopolitique de la Légion, c’est d’abord la géopolitique des hommes. Les 7 000 hommes qui la composent sont issus des 5 continents. Les recrutements de la Légion évoluent au fil des ans, en fonction des bouleversements géopolitiques. Ainsi, depuis l’effondrement du « rideau de fer », on enregistre ces dernières années une proportion importante des candidats des pays de l’Est, tendance qui ne se dément pas, malgré l’émergence du recrutement asiatique et américain du Sud. Ainsi, le re- crutement provient aujourd’hui d’abord du monde slave, suivi du monde occidental (Amérique du nord, Europe de l’ouest, Australie et Nouvelle-Zélande), puis de l’Europe centrale et balkanique. Viennent ensuite les zones France, Asie, Afrique noire, Amérique latine, et enfin le monde arabe. 85 % des engagés sont non-francophones.

 

Cette dimension internationale est inscrite dans les gènes mêmes de la Légion étrangère. Lorsqu’il fonde la Légion en 1831, le roi Louis-Philippe précise bien : « Il sera formé une légion composée d’étrangers. Cette légion prendra la dénomination de Légion étrangère. Mais elle ne pourra être employée que hors du territoire continental du Royaume. » L’unique spécificité de la Légion étrangère repose sur sa capacité à recruter, dès le temps de paix, des étrangers à qui l’on va confier les armes de la France (mission régalienne). Le statut à titre étranger a pour unique objet d’encadrer cette extraordinaire capacité résultant d’un véritable choix politique, expression de la volonté nationale.

La Légion est un mythe qui contribue au brassage géographique, mais également à la mixité sociale. Pour preuve, au-delà des anonymes, la Légion a su attirer à elle nombre d’intellectuels, écrivains et artistes, et a constitué un objet de fascination pour le cinéma…

 

C’est le cas du jeune écrivain allemand Ernst Jünger, qui vient s’engager adolescent à la Légion avant la guerre de 1914-1918 et qui livrera ses mémoires dans Jeux africains. Avant lui, Chartrand des Ecorres, d’origine canadienne, avait publié en 1892 Au pays des étapes, notes d’un légionnaire. Blaise Cendrars avec La main coupée et le poète américain Alan Seeger s’imposent comme de magnifiques témoins légion- naires de la Première Guerre mondiale. De même des artistes peintres ont servi comme engagés volontaires pour la durée de la guerre : Moïse Kisling et Ossip Zadkine entre 1914 et 1918 ou Hans Hartung pendant la Seconde Guerre mondiale.

 

Au cinéma, il en va de même. Le premier film tourné en France en 1906, La Légion, est dû à Ferdinand Zecca. Les Américains lui emboîtent le pas : en 1912 Under Two Flags (Sous deux drapeaux) contribue à la naissance du mythe dans l’univers cinématographique. L’âge d’or du cinéma muet est aussi celui de la vogue des thèmes légionnaires qui fascine le public d’outre-Atlantique. L’entre-deux-guerres confirme le succès grandissant des films sur la Légion : en 1929 The Desert Song (Le chant du désert), voit John Wayne et Gary Cooper incarner à l’écran le légionnaire de l’épopée marocaine. Les diverses versions du fameux film Beau geste (de 1926 à 1977…) confirmeront cet intérêt du cinéma américain pour la Légion. Avec la célébration du Centenaire de l’Algérie française (1930) et l’Exposition coloniale (1931), le public français découvre la Légion dans une série de films à succès : Le grand jeu de Jacques Feyder (1933), La Bandera de Julien Duvivier (1935) sans oublier Un de la Légion de Christian-Jaque (1936) avec Fernandel dans le rôle principal…

 

Suite de l'entretien : Géopolitique de la Légion étrangère

 

Pour en savoir plus :

 

www.legion-etrangere.com et aussi La Légion étrangère – Histoire et dictionnaire, sous la direction d’André-Paul Comor, maître de conférences à l’institut d’études politiques d’Aix-en-Provence, collection Bouquins, Robert Laffont (1152 p., 32€).

 

A propos du Général Christophe de Saint Chamas

 

C’est à la maison-mère de la Légion étrangère à Aubagne, dans les Bouches-du-Rhône, que le général de Saint Chamas et son chef d’état-major, le colonel Cyrille Youchtchenko, ont reçu fin juin MM. Thierrry Grange et Jean-François Fiorina, de Grenoble Ecole de Management.

 

Depuis septembre 2011, le général de division Christophe de Saint Chamas est le COMLE, c’est-à-dire le général commandant la Légion étrangère, également appelé le « Père Légion ». Créée en 1831 par le roi Louis-Philippe, la Légion étrangère est une force combattante composée d’étrangers sous commandement français. Elle fait partie intégrante de l’armée de terre et représente 7 % de son effectif, soit 7 200 hommes. Elle se compose de onze régiments : huit en métropole, trois outre-mer. La moyenne d’âge des engagés est de 23 ans et 85 % d’entre eux sont d’origine étrangère. La Légion compte aujourd’hui près de 150 nationalités. Elle recrute environ 1 000 hommes par an pour 10 000 candidats. C’est cette magnifique phalange, dont la renommée s’étend à travers le monde entier, que commande aujourd’hui le général de Saint Chamas.

 

Né en 1959, saint-cyrien de la promotion Général Rollet (1978- 1980), officier de cavalerie, le général de Saint Chamas est breveté du Cours supérieur d’état-major et du Collège interarmées de défense (aujourd’hui Ecole de guerre). Il a également été auditeur du Centre des hautes études militaires et de l’Institut des hautes études de défense nationale. Il a été affecté à trois reprises à la Légion étrangère. D’abord en 1984, comme chef de peloton puis capitaine au 1er régiment étranger de cavalerie à Orange, avec des missions extérieures à Mayotte, au Tchad et en République de Centrafrique. Ensuite en 1995, comme lieutenant-colonel et chef du bureau opérations instruction au 1er régiment étranger de cavalerie, où il retrouve le Tchad à deux reprises et participe à l’évacuation des ressortissants français du Congo Brazzaville en 1997. Enfin, comme chef de corps du 1er régiment étranger de cavalerie de 2003 à 2005, et commandant d’un groupement tactique interarmes (GTIA) au sein de l’opération Licorne en République de Côte d’Ivoire, de juin à octobre 2004.

 

Il a également participé à la pre- mière guerre du golfe en 1991 (opération Daguet). Puis de 1997 à 2000, il prend part aux travaux de planification et de conduite des opérations me- nées en Bosnie Herzégovine, au Kosovo et en Macédoine. Il rejoint ensuite le cabinet du ministre de la défense. En 2006, il sert au Centre interarmées de concepts de doctrines et d’ex- périmentations, puis au Centre de planification et de conduite des opérations en juin 2007. Nommé général de brigade en 2009, il est envoyé en Afghanistan comme chef du bureau Plans et stratégie de l’état-major de la force internationale d’assistance et de sécurité (FIAS) à Kaboul de février 2010 à mars 2011, pour retrouver la Légion étrangère en septembre 2011.

 

Pour en savoir plus : www.legion-etrangere.com

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27 juin 2013 4 27 /06 /juin /2013 17:50
interfacebaltique crédits Europe Médiane, cartes et outils, Clés Atlandes, 1997

interfacebaltique crédits Europe Médiane, cartes et outils, Clés Atlandes, 1997

27 juin 2013 - par Jean-François Fiorina - notes-geopolitiques.com

 

Le 1er juillet prochain, c’est à la Lituanie de prendre la présidence tournante de l’Union européenne. À la même date, la Croatie en deviendra le 28e État membre. Symboliquement, ce moment consacre la réunion de l’Europe baltique et de l’Europe méditerranéenne dans un même espace économique et politique. La fin de la Guerre froide et l’indépendance des pays baltes ont contribué à faire évoluer la Baltique d’un monde en marge à celui d’une frontière entre mondes russe et européen. Espace à la fois maritime et politique multiséculaire, c’est en effet un lieu de compétition et de coopération entre puissances aux intérêts parfois divergents. À l’heure où l’Union s’agrandit, tandis que se pose toujours la question de son identité et de ses frontières, le médecin et historien Philippe Meyer revient dans son dernier ouvrage sur l’héritage légué par la Baltique. Il nous invite à nous interroger sur le modèle d’intégration régionale qu’elle propose. Un aspect essentiel et méconnu de la construction européenne et des enjeux géostratégiques qui lient le Vieux Continent à la Russie.

 

La Baltique tient son appellation de la mer du même nom. Elle devrait dès lors correspondre à un espace maritime semi-fermé qui engloberait les différents territoires riverains, qu’ils soient européens (les États baltes que sont la Lituanie, la Lettonie et l’Estonie ; la Finlande, la Suède, le Danemark, l’Allemagne et la Pologne) ou russes (l’enclave de Kaliningrad et la région de Saint-Pétersbourg). Mais force est de constater que la Baltique demeure un objet d’étude à la définition variable qui renvoie tantôt à une réalité géographique maritime ou politique large (le monde Baltique), tantôt aux seuls États baltes, adjoints ou non de la Russie et de la Finlande. Bref, la notion de Baltique fait la part belle au jeu des représentations géopolitiques.

 

Un enjeu stratégique pour la Russie

Géopolitique de la Baltique

 

La Russie bénéficie d’un double accès à la Baltique: au nord avec la région de Saint-Pétersbourg et ses terminaux portuaires (Primorsk, Vysotsk, Vyborg, etc.), au sud-est avec l’enclave de Kaliningrad. « La région baltique revêt pour la Russie une importance toute particulière, dans la mesure où elle a constitué à partir du début du XVIIIe siècle la façade maritime qui, comme l’avait souhaité Pierre Le Grand, l’ouvrait sur l’Europe », résume Arnaud Leclercq dans un livre remarquable consacré à la Russie aux éditions Ellipses. La zone est d’importance stratégique, tant d’un point de vue économique, politique que militaire.

Baltic 2013 Contrôles d’aéronefs russes. De haut en bas Mirage F1 CR, Sukhoi-27 Flanker et Sukhoi-24 Fencer au-dessus de la mer Baltique. Crédits photo EMA armée de l’Air.

Baltic 2013 Contrôles d’aéronefs russes. De haut en bas Mirage F1 CR, Sukhoi-27 Flanker et Sukhoi-24 Fencer au-dessus de la mer Baltique. Crédits photo EMA armée de l’Air.

Ancienne partie de la province allemande de Prusse-Orientale, la région (oblast en russe) de Kaliningrad fut octroyée à l’URSS en 1945. Elle a des frontières terrestres avec la Lituanie et la Pologne. L’enclave de Kaliningrad « occupe deux fonctions d’une importance majeure pour la Russie : une fonction économique puisque le territoire fournit 90 % de la production mondiale d’ambre et que Moscou nourrit à son sujet l’ambition d’en faire le Hong-Kong de la Baltique; une fonction de base russe sur la Baltique dont l’importance stratégique s’est accrue depuis la perte par Moscou des pays Baltes, perte qui a entraîné pour la flotte russe de la Baltique la fermeture de six bases militaires », décrypte Aymeric Chauprade, ancien directeur des études à l’École de Guerre.

 

La situation économique de Kaliningrad reste pourtant chaotique. La région est concurrencée par la politique portuaire de ses voisins et pâtit surtout de son exclusion de l’espace économique européen. Si de récents assouplissements en matière douanière et de circulation des travailleurs transfrontaliers ont été négociés avec l’Union européenne, ils ne concernent qu’une zone géographiquement réduite. Pour le Kremlin, Kaliningrad reste avant tout son poste le plus avancé à l’ouest, susceptible d’être remilitarisé si nécessaire. Plus au nord, la Russie ambitionne de faire de l’embouchure de la Neva un « Rotterdam de la Patrie ». Avec l’indépendance des États baltes, elle a en effet perdu ses meilleures installations portuaires et par là même une partie essentielle de son interface avec le monde extérieur. « La reconstruction d’un appareil portuaire national est donc une priorité à l’heure où les différents acteurs économiques tentent de promouvoir l’idée d’une Russie ‘pont’ entre l’Europe et l’Asie orientale », explique Pascal Marchand, professeur à l’Université Lyon II. Cinq nouveaux ports sont ainsi construits parallèlement à la modernisation des anciens.

 

La progression des frontières de l’UE et de l’OTAN en Baltique fait aussi de la région un sujet particulièrement sensible pour Moscou, ce qui se traduit notamment par des relations tendues avec les États baltes. La Russie a ainsi obtenu de l’OTAN que ses troupes n’y stationnent pas et de Bruxelles qu’elle leur impose de reconnaître les minorités russophones précédemment privées de la pleine citoyenneté.

 

Une simple région périphérique pour l’Union européenne ?

 

Face aux intérêts russes, les autres pays riverains de la Baltique semblent agir en ordre dispersé, et l’Union européenne ne pas percevoir cet espace comme stratégique. Il est vrai que si l’UE partage 2 244 km de frontières communes avec la Russie depuis l’adhésion de la Finlande (1995) et des États baltes (2004), elle ne constitue que le 3e partenaire commercial de l’Union, après les États-Unis et la Chine, avec lequel elle réalise 9 % de ses importations et 5 % de ses exportations. En revanche, l’UE est le principal partenaire commercial de la Russie. Cette dissymétrie, associée à l’importance des débouchés maritimes qu’offre la région à Moscou, explique pour partie la différence de représentation des enjeux géopolitiques baltiques.

 

Pour autant, l’Europe n’est pas inactive. « La Baltique a été la première macrorégion à faire l’objet d’une stratégie globale de l’UE. Lancée en 2009 par la Commission européenne, elle concerne les huit riverains ainsi que la Norvège, la Russie et la Biélorussie dans un but de clarification des coopérations locales », précise le Dictionnaire de géopolitique et de géoéconomie (Puf, 2011). Les priorités sont aujourd’hui articulées autour de trois axes majeurs: « sauver la mer Baltique », « désenclaver la région » et « accroître sa prospérité ».

 

En matière environnementale, qui concerne il est vrai tous les acteurs, la politique menée a permis d’obtenir des résultats encoura- geants. Outre la croissance exponentielle du transport maritime, l’objectif de prospérité économique et de désenclavement passe par des travaux d’infrastructures. La connexion terrestre de la Baltique repose ainsi sur « les projets Via Baltica (axe routier raccordant les États baltes à l’Europe centrale via la Pologne), Rail Baltica (liaison à grande vitesse entre Varsovie et les capitales baltes, voire Helsinki via un tunnel sous- marin) et Triangle nordique (ponts de l’Øresund depuis 2000 et du détroit de Fehmarn prévu en 2018) ». Quant à la question de l’approvisionnement énergétique, l’UE ne réserve pas à la Baltique un traitement spécifique. Il est vrai qu’elle pâtit dans ce domaine pourtant stratégique d’une absence de politique globale.

 

 

Géopolitique de la Baltique

Ainsi, les échanges d’hydrocarbures avec la Russie sont régis le plus souvent sur un mode interétatique. L’Allemagne s’est assurée de contourner à la fois les voies terrestre et maritime avec son projet de Nord Stream, gazoduc sous-marin reliant Greifswald et Vyborg, qui lui permet de sécuriser ses approvisionnements en provenance de Russie. Dans les États baltes, « l’hostilité à la Russie persiste et la présence de minorités russes importantes en Estonie et en Lettonie, tout comme le chantage énergétique dont peut jouer Moscou ne peuvent qu’attiser les tensions, ainsi lors du déplacement d’une statue commémorative des victoires de l’Armée rouge en Estonie ou lors de la cyber attaque qui a suivi contre ce pays », remarque Arnaud Leclercq. Le souvenir de la Seconde Guerre mondiale et surtout de l’occupation soviétique reste à bien des égards très présent dans les représentations politiques régionales.

 

La Ligue hanséatique, un modèle retrouvé pour l’Europe ?

 

Géopolitique de la Baltique

L’Union européenne manifeste un intérêt réel pour le modèle de gouvernance régionale. La bonne réalisation des programmes de coopération et l’intensité des échanges (de personnes et de marchandises) fait en effet de la Baltique une référence en comparaison d’autres espaces régionaux, à commencer par la Méditerranée ou le bassin du Danube. Les racines de cette « bonne gouvernance » sont-elles à rechercher dans le modèle de la Ligue hanséatique? Apparue au XIIe siècle, la Hanse était une puissante association marchande qui compta jusqu’à 200 villes, fondée sur la réciprocité des échanges. En exerçant un monopole sur le commerce maritime en mer Baltique, elle a pu jouer un rôle politique certain, qui n’a été contesté qu’à partir du XVe siècle, avec l’affirmation de la Russie continentale et de la Suède, et surtout après 1648 et la signature des traités de Westphalie. Pour Philippe Meyer, « la communauté hanséatique a été exemplaire par son esprit d’entreprise, son indifférence aux préoccupations nationales et aux divergences religieuses, et son pacifisme. [...] L’arbitrage et la négociation ont eu une priorité incontestable sur la guerre ». Et ce modèle hanséatique a survécu symboliquement à travers les centaines d’organisations régionales qui structurent l’espace politique de la Baltique avec un relatif succès.

 

« L’Union européenne s’est constituée sur la base de plusieurs fondamentaux qui sont communs avec ceux de l’Union du Nord. Elle est pacifiste, démocratique et sociale, mais sa mutation n’a pas été aussi profonde que celle du Nord », écrit encore Philippe Meyer. Le mode de relations développé au cours de la longue histoire baltique est fondé sur la recherche du consensus, essentielle pour assurer « une paix sociale solide ». Si la prise en compte par l’Europe de cette riche expérience a d’ores et déjà commencé, elle est cependant très récente. Ce n’est que depuis les années 2000 que la Commission européenne ou encore le Comité économique et social européen y font explicitement référence. La « redécouverte » de la Hanse est tout sauf anodine. Elle correspond aux velléités d’avènement d’un ordre « post-westphalien », promettant un « paradis post-historique » de paix et de relative prospérité. Une promesse au cœur du projet européen.

 

Pour aller plus loin

 

    Baltiques.Histoire d’une mer d’ambre, par Philippe Meyer,Perrin, 502 p., 26 €  ;

    La Russie, puissance d’Eurasie, par Arnaud Leclerq, Ellipses, 408 p., 24,40 €

    Atlas géopolitique de la Russie, par Pascal Marchand, Éditions Autrement, 88 p., 17 €.

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