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23 janvier 2017 1 23 /01 /janvier /2017 16:55
ITW SDBR : général Vincent Desportes, Professeur des Universités associé à Sciences Po Paris, Ancien directeur de l’Ecole de Guerre

 

23.01.2017 par Alain Establier - SECURITY DEFENSE Business Review N°164

 

SDBR : Quel regard portez-vous sur la Défense de la France ?

Vincent Desportes* : A l'issue de cette mandature, nous voyons un empilement d'actions réactives, à vocations plus politiciennes que politiques, une usure certaine de nos forces armées, mais nous ne voyons pas émerger de stratégie générale. Nous avons globalement une Défense qui vit sur sa lancée sans qu’une direction forte ne lui ait été donnée. C’est vrai avec les différentes interventions extérieures, c’est vrai aussi dans le rapport à l’OTAN et à l’Europe. Sur ce point, la France vit avec son héritage « sarkozien » qui lui a fait grand mal en statuant la perte de son autonomie stratégique sans bénéfice retour au niveau européen. Tout cela mériterait d’être ordonné autour d’une vision claire, absente aujourd’hui. Nous avons une Défense en déshérence en termes de cohérence générale, avec des discours de gestionnaire à tous les niveaux mais aucun souffle sur ce qu’est la France, sur ce que doit être sa défense, ses principes fondateurs, son autonomie.

 

Et concernant les forces armées ?

En ce qui concerne les forces armées, comme tous les connaisseurs lucides, je suis critique : aucun gouvernement de la Vème République n’aura laissé la Défense dans un tel état ! Au-delà des discours convenus, l’héritage sera désastreux ; en effet, durant les cinq dernières années, même si toutes les interventions extérieures n’ont pas été inutiles, le capital militaire aura été usé sans être restauré. Initiée avant même l’effondrement du pacte de Varsovie, vite aggravée par la LOLF et la RGPP, la dégradation des armées s’est accélérée en 2008 sous la présidence Sarkozy qui a planifié la suppression de 57.000 postes, où les réorganisations ont été faites avec un esprit gestionnaire contraire à la rationalité opérationnelle ; elle s’est poursuivie avec le Livre Blanc 2014 puis la « nouvelle gouvernance » voulue par Jean-Yves Le Drian. Ce qui a accéléré le phénomène avec la Présidence Hollande, c’est que les forces armées ont été engagées très au-delà de leurs capacités : le futur a été sacrifié au présent. S’il y a pourtant un domaine où il est irresponsable de le faire, c’est bien celui de la défense ! Le CEMA Pierre de Villiers le dit de façon plus voilée, mais il répète depuis 2014 que l’application de la Loi de Programmation Militaire (LPM) dans le contexte des opérations actuelles représente un effort dangereux pour les armées, « dont le costume est déjà taillé au plus juste » et que « l’armée française se dégrade plus rapidement qu’elle ne peut se reconstituer ».

 

Comment expliquez-vous cette dégradation accélérée ?

Cela vient de la distorsion initiale entre les missions théoriques prévues dans la LPM et les moyens accordés par cette même loi. Cette distorsion s’est accrue avec la multiplication des opérations extérieures, le suremploi des forces n’étant plus du tout en adéquation avec leurs moyens réels. Cela se traduit par exemple par le sous-entraînement des armées : un pilote d’hélicoptère vole 150 heures par mois alors qu’il devrait voler 180 heures (-20%), les soldats de l’armée de Terre devraient sortir 90 jours par an alors qu’ils ne sortent que 64 jours (-40%), les pilotes de Transall devrait voler 240 heures par mois alors qu’ils volent 180 heures (-33%), donc les parachutistes sautent moins, etc. La France a aujourd’hui une armée globalement sous-entraînée, sous-équipée, avec un taux de disponibilité des équipements dangereusement bas, des trous capacitaires de plus en plus béants, à l’encontre d’un de nos principes fondateurs depuis plus d’un demi-siècle, celui de l’autonomie stratégique. Pour conduire une opération, nous avons besoin du ravitaillement en vol américain, du lift américain, du renseignement américain, nos drones Reaper ne volent que si les Américains le veulent bien, etc. Ainsi, notre autonomie stratégique s’est très fortement dégradée sans qu’aucune mesure forte n’ait été prise pour la restaurer ! La faute est de ne pas avoir maintenu l’indispensable cohérence entre les finalités et les moyens de la Défense.

 

Pourtant le ministre de la Défense Le Drian (MINDEF) est très populaire auprès des militaires et des industriels…

Vous savez, chacun se réjouit de l’accroissement de nos exportations de matériels militaires, qui implique d’ailleurs un lourd accompagnement de la part de nos forces armées, mais il n’a aucune retombée immédiate sur l’impératif redressement de ces dernières ! Jean-Yves Le Drian a exécuté les missions qui lui sont confiées par le PR - c’est bien sa première légitimité - mais il aurait dû exiger en retour la mise en place des moyens de ces missions. Le chef d’état-major des armées l’a redit récemment de manière claire : à la guerre doit correspondre l’effort de guerre ! Or, c’est à l’inverse auquel nous avons assisté. Le militaire agit en militaire, donc il se tait et remplit sa mission mais, au bout de cette éthique, ce sont les Français et leur défense qui pâtissent, car l’armée française est aujourd’hui dans un état qui ne correspond plus aux nécessités de défense et se trouve face à une pente qui sera très longue à remonter. Les Français doivent le savoir : l’outil brillant qu’on présente chaque 14 juillet est en réalité rongé de l’intérieur pour rester brillant à l’extérieur. Il faut y ajouter un moral en berne chez nos militaires, affectés personnellement par les tensions sur les effectifs. Malgré cette situation, nos militaires sont trop silencieux : sur-interprétant leur devoir de réserve, ils se méprennent le plus souvent sur le loyalisme et la neutralité qu’on attend d’eux. Ce qui est inquiétant dans la période électorale actuelle, c’est que même un candidat comme François Fillon hésite devant l’indispensable réinvestissement militaire… Les politiques savent que c’est nécessaire mais, oubliant que la défense est la première mission de l’Etat, comme ils ont de multiples urgences à rattraper, ils tergiversent sur la Défense et bottent au mieux à l’horizon 2025, ce qui est beaucoup trop tard. Ou pourquoi pas ! Mais alors il faut diminuer les déploiements internes et externes, et n’engager plus les armées qu’à la hauteur des moyens qu’on lui consent. Malgré tout d’ailleurs, compte tenu des renouvellements de matériels nécessaires et en réduisant les engagements actuels, il faudrait tout de même porter le budget de la Défense à 2% du PIB, uniquement pour rétablir les capacités minimales de défense. Quand le chef d’état-major des armées demande 2% du PIB, ce n’est pas pour aller sur la lune, c’est juste pour pouvoir faire rouler les chars, voler les avions et naviguer nos vaisseaux de guerre !

 

Ne pensez-vous pas qu’actuellement certains politiques ou hauts fonctionnaires utilisent ce chiffre de 2% comme écran de fumée ?

Absolument, car c’est un fourre-tout que l’on conserve dans le brouillard de l’ambiguïté : on y mélange hardiment vie courante, investissements, solde des militaires, pensions des retraités etc., ce qui permet de noyer le poisson. Mais ce n’est pas le problème. La question pour le PR est : « je dois avoir une armée qui a les moyens des missions que je lui donne ». Si nous voulons poursuivre sur le rythme actuel notre politique extérieure d’interventions réactives, ce n’est pas 2% qui sont nécessaires, mais 3%. Vous voyez bien qu’on prend le problème à l’envers ! Il faut, je le redis, mettre en adéquation les moyens et les missions sinon vous cassez l’outil : c’est cela l’objectif. D’ailleurs, si l’OTAN considère que la norme est 2% pour les pays européens isolationnistes et ne possédant pas l’arme nucléaire (Allemagne, Pays-Bas, Danemark et les autres !), c’est bien plus que la France doit viser, elle qui est interventionniste et dépense un tiers de son budget d’investissement pour sa dissuasion nucléaire ! Il est ridicule de dire aujourd’hui « nous avons gagné la guerre » car la guerre ne va pas s’arrêter miraculeusement : nous sommes entrés dans un temps de guerre permanente de basse intensité. Donc l’important ce n’est pas de se battre sur 2%, l’important est de vérifier si nous sommes capables de remplir dans la durée les missions que la France confie à ses armées ? La réponse est « non avec les moyens actuels ».

 

Vous parliez du moral des armées ?

Le moral des armées est bas pour de nombreuses raisons ; nous en avons abordé certaines. Il faut ajouter que les conditions de vie du soldat se dégradent du fait de l’état déplorable des casernements : le coût normal d’entretien d’un bâtiment public est de l’ordre de 11€/m² par an, les armées accordent 6€/m² par an au budget et les dépenses effectives sont descendues à 2€/m² par an ! Les armées sont incapables d’empêcher la dégradation de leur patrimoine immobilier ; il y aura aussi dans ce domaine un effort considérable à consentir.

 

Quel jugement portez-vous sur l’actuel CEMA Pierre de Villiers ?

C’est un homme courageux, malgré le contexte et les difficultés de la fonction. Tous les militaires apprécient qu’il tienne un discours fort, un discours de vérité. Le général Georgelin, avant lui, a été un très grand CEMA qui a fait entendre la voix des armées, les a fait respecter du politique et sans cesse insisté sur la spécificité militaire et l’importance pour une nation de disposer de forces armées solides.

 

Dans quelques semaines, la France va voter pour un nouveau chef des Armées. Que devrait-il faire de mieux selon vous ?

La première chose à faire, immédiatement, c’est extraire les armées des enjeux politiciens, ce qui passe en premier lieu par la réalisation d’un audit fait par un organisme indépendant et non politicien, qui pourrait être aidé par une commission de parlementaires spécialistes et neutres : il s’agit de voir exactement où en sont les armées aujourd’hui pour pouvoir lancer la reconstruction. Ce doit être une opération vérité pour pouvoir repartir d’un vrai état des lieux. Nous sommes descendus à un niveau qui nécessite un vrai bilan apolitique. Il ne s’agit pas de définir ce qu’il faudra faire, car c’est par essence politique, mais le bilan peut être apolitique. Ensuite, il y a deux armées à construire : l’armée des nécessités et l’armée des choix. L’armée des nécessités (et des nécessiteux), c’est de boucher les trous et de réparer les matériels : voila ce qu’il faut faire pour que les soldats soient entrainés, que les avions volent, que les bateaux soient opérationnels, que les casernements soient entretenus, etc. Autre nécessité, les trous capacitaires. L’armée a pudiquement inventé le concept d’abandon temporaire de capacité ; il est temps d’ôter le « temporaire », qui dure depuis des années pour ne pas dire plus : nous ne patrouillons plus notre zone économique exclusive, nous ne disposons pas d’armes pour détruire les missiles adverses, nous ne maitrisons plus notre propre ravitaillement en vol, nous n’avons pas d’hélicoptères lourds, etc. On ne peut revendiquer l’autonomie stratégique avec autant de vides capacitaires. La troisième forme de nécessité concerne la menace actuelle, le premier rôle de l’Etat consistant à être capable de défendre le territoire et de protéger les citoyens : la France est aujourd’hui attaquée, elle doit avoir les moyens de contre-attaquer.

 

Parfait pour l’armée des nécessités. Qu’entendez-vous par l’armée des choix ?

La question à se poser par le PR est : « suis-je capable de continuer à m’engager en Afrique, au Moyen-Orient, dans les pays Baltes, etc. ? ». Pour répondre à cette question, il faut avoir une vision pour la France, son rôle, sa place dans le monde, ses valeurs intangibles… et décider. Quel choix politique fort fera le nouveau PR et quel rôle veut-il pour la France dans le monde ? A titre personnel, je pense que la France devrait protéger en permanence sa zone économique exclusive (200 milles marins des côtes). Elle doit aussi se réengager en Afrique francophone, car c’est notre profondeur stratégique et ce serait le moyen d’éviter une immigration bien plus massive encore qu’aujourd’hui en participant au développement de la sécurité et des économies de ces pays.

 

Que faut-il faire avec les OPEX actuelles ?

C’est la réponse à la vision stratégique de la France qui donnera une réponse à la question des OPEX. Le PR doit dire clairement que la sécurité du Sahel et de l’Afrique noire est le problème de la France. Ceci n’est pas dit clairement aujourd’hui. S’il y a nécessité, parce que nous sommes attaqués, il faut s’engager de manière plus convaincante : ainsi nous devrions être plus engagés dans Chammal, mais nous ne le pouvons pas faute de moyens. Par contre, nous sommes devenus otages de l’OTAN et des perceptions stratégiques américaines dans les opérations en Europe du Nord et de l’Est : ce n’est pas raisonnable. Autre opération bien inutile : Sentinelle ! Si les 10.000 soldats étaient sur les OPEX, la tension diminuerait et tout le monde s’en porterait mieux, sans que la situation intérieure n’en soit affectée, car Sentinelle est une gabegie capacitaire et budgétaire.

 

Le nouveau Président de la République devra t-il revoir la LPM ?

Ce qu’il ne faut pas, c’est recommencer l’opération Livre Blanc. Le Livre Blanc est devenu un exercice purement politicien, qui ne vise qu’à donner de l’argumentation pour diminuer les budgets de Défense. Les deux derniers ont été conçus et écrits comme cela. Ce qu’il faut faire, après le bilan dont nous avons parlé, c’est une revue stratégique du monde, confiée à des non politiques, qu’il ne faut pas lier au budget de la Défense. C’est une façon de prendre en compte la menace dans le monde. Ensuite, le PR doit choisir dans cette revue stratégique les zones et les sujets où il souhaite faire porter notre action de défense en fonction de sa Vision. Faut-il une LPM par la suite ? Ce n’est pas certain, puisqu’au-delà des discours convenus, ces lois ont beaucoup moins protégé la Défense que ne l’auraient fait de solides visions présidentielles de la France. Le minimum est de modifier immédiatement la trajectoire de l’actuelle LPM. Ce qu’il faut, c’est une politique de Défense claire, dépolitisée, car s’il y a bien un domaine qui devrait être apolitique, c’est bien la Défense du pays et de ses citoyens. Lors de son discours d’entrée à l’Académie française le 5 février 1920, le maréchal Foch déclara : « … de même qu’un gouvernement ne peut avoir dans la paix que la politique de son état militaire, de même une armée, quand elle entre en campagne, ne peut avoir qu’une attitude et une tactique : celles correspondant à la politique jusqu’alors pratiquée par l’État ». Aujourd’hui, la politique extérieure de la France a été déconnectée de sa politique de Défense. Rappelons que ce fut la première cause de la défaite de 1940…

 

* auteur de « La dernière bataille de France », Gallimard – Grand Prix 2016 de l’Académie française

http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Le-Debat/La-derniere-bataille-de-France

** PR : Président de la République

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17 décembre 2015 4 17 /12 /décembre /2015 08:55
Général Desportes : “Les bons sentiments ne suffisent pas à notre protection”

 

15 Décembre 2015 par Frederic Pons – V.A.

 

L'Incorrect. Parti de l’armée après avoir été sanctionné pour son franc-parler, le général Vincent Desportes enseigne à Sciences Po et à HEC et vient de publier un livre prémonitoire: “la Dernière Bataille de France”. Il dénonce le délitement de la Défense française et appelle à un sursaut.

 

Avez-vous été surpris par les attaques du 13 novembre ?

Les attentats n’ont surpris que ceux, hélas majoritaires, qui refusaient de voir la réalité du monde et de comprendre que la guerre resserrait son étreinte autour de l’Europe. Les bons sentiments ne suffisent pas à notre protection. La guerre n’est pas un phénomène “hors-sol”, réservé aux autres : elle vient frapper tous ceux qui refusent de la regarder en face. La sécurité n’existe que pour qui s’en donne les moyens : en ce sens, le désarmement militaire, policier et moral de la France devait immanquablement se traduire, un jour, par une catastrophe sécuritaire. Quelle pitié qu’il ait fallu le bain de sang du Bataclan pour sortir de l’innocence. Que de temps perdu, par illusion, démissions politiciennes successives et dilution du sens de l’intérêt supérieur de la nation.

 

Qu’espérez-vous ?

Que l’après-Bataclan ne soit pas raté comme l’après-Charlie et l’après-Merah !

 

La France est-elle vraiment, comme l’affirme le chef de l’État, “en guerre” ?

Bien sûr. Nous sommes en guerre parce qu’une entité politique, le soi-disant État islamique, entend étendre son empire — le califat — par la destruction et la mort. Parce qu’il veut détruire nos croyances, nos valeurs, nos façons de vivre, notre liberté d’aller et venir, notre liberté d’être ce que nous voulons être. Nous sommes plus que dans une guerre : dans une guerre absolue qui verra la destruction absolue de l’une ou l’autre des parties. Puisque nous sommes en guerre, il faut consentir à l’effort de guerre, s’en donner résolument les moyens, afficher des priorités et s’y tenir. Ce vocable guerrier, on l’entend depuis longtemps sans que rien ne change hors la gestuelle des discours. Il est temps de passer aux actes.

 

Que voulez-vous dire ?

Les Français ont d’abord besoin du courage politique. Il faut à la France un langage de vérité et de responsabilité. La sécurité n’est pas un acquis social : tout ne viendra pas de l’État. Nous sommes entrés dans un temps long de risque et de douleur, un temps de sacrifices individuels envers la communauté. En termes de liberté, à court terme, si les Français veulent, un jour, retrouver leur totale capacité à vivre debout. En termes de commodités de vie aussi.

 

Au détriment de nos habitudes de confort ?

Depuis des décennies, l’État providence dévore l’État régalien, qui n’a plus les moyens des missions qui constituent sa raison d’être : défense, sécurité, justice et diplomatie. Les budgets consacrés à ces fonctions se sont réduits jusqu’à ne plus représenter que 2,8 % du PIB quand la dépense publique en dévore 57 % ! Ce sont, chaque année, 30 milliards d’euros de moins qu’il y a vingt-cinq ans. Des transferts budgétaires doivent être décidés. Les Français sont prêts à entendre un discours fort.

 

Comme celui de François Hollande à Versailles, après les attentats ?

Les mesures réactives étaient nécessaires, mais elles sont très insuffisantes. La communication ne suffit pas : l’État doit se fixer des objectifs à la hauteur des manquements et des défis, puis construire la stratégie volontariste qui permettra de les atteindre dans la persévérance et la durée. Les files d’attente devant les postes de recrutement nous montrent qu’il existe encore des Français pour se lever et défendre la France. Ils semblent en avance sur leurs politiques.

 

Que faut-il dire aux jeunes générations ?

Il faut les mettre devant leurs responsabilités. Par le sacrifice et l’effort, la génération de leurs grands-parents est venue à bout de la barbarie hitlérienne. Celle de leurs parents a vaincu l’obscurantisme soviétique. Cette génération a un défi immense à relever par l’engagement et l’effort : vaincre et éliminer la barbarie terroriste et djihadiste. Nos jeunes y parviendront parce qu’ils sont les fils d’une grande nation, une nation combattante.

 

Suite de l'entretien

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3 novembre 2015 2 03 /11 /novembre /2015 17:55
La dernière bataille de France (éd. Gallimard)

La dernière bataille de France (éd. Gallimard)

 

0311.2015 par Michel Goya – La Voie de l’Epée

 

Dans 50 ou 100 ans, des historiens se demanderont comment les gouvernements successifs de la France ont pu accepter de mettre le pays dans un tel état de vulnérabilité quelques années seulement après la fin de la guerre froide. La lecture d’un (vieux) manuel d’histoire suffisait pourtant à apprendre qu’à long terme des menaces majeures finissent toujours par apparaître et convaincre du caractère suicidaire d’une telle politique, si tant est que cette longue suite de lâchetés et d’abandons puisse être considérée comme une politique.

Ces historiens découvriront aussi rapidement que ce désarmement était sous les yeux de tous, à condition bien sûr de s’extraire des discours officiels sur la « juste suffisance », la « sanctuarisation », le format « plus réduit pour être plus réactif » ou des déclarations de généraux annonçant  fièrement devant l’IHEDN que « la France disposait de tous les moyens pour faire aux enjeux internationaux », toutes déclarations, au mieux myopes et au pire hypocrites.

Ces historiens découvriront qu'il suffisait de lire, hors du cercle des « responsables », quelques citoyens intéressés par la défense de leur pays et stigmatisés officiellement comme « pseudo-expert auto-proclamés » (expression utilisée la première fois à la fin de 2013 pour disqualifier ceux qui estimaient que l’opération Sangaris, toujours en cours en Centrafrique, durerait certainement plus longtemps que les six mois annoncés officiellement).

Pour comprendre ce plan incliné de la défaite, il suffisait en fait simplement de lire le livre du général Desportes justement titré La dernière bataille de France. Tout y est, expliqué, démontré et démonté, le plus clair et le plus implacable éclairage sur ce désarmement rampant, cet affaiblissement accepté des défenses immunitaires de la France. Cette « obsolescence programmée » de LPM en LPM qui est ainsi décrite est d’autant folle que l’outil militaire français, tellement facile à utiliser pour ceux qui veulent se donner une posture d’hommes d’Etat, est actuellement le plus employé au monde. Elle est d’autant plus stupide que ce désarmement, à but d'économies budgétaires, a également des conséquences désastreuses pour notre industrie (et donc aussi en retour pour les recettes budgétaires).

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1 novembre 2015 7 01 /11 /novembre /2015 12:55
La dernière bataille de France (éd. Gallimard).

La dernière bataille de France (éd. Gallimard).

 

26 oct. 2015 Vincent Lamigeon - Supersonique

 

Un brûlot, doublé d’un cri d’alarme. Vincent Desportes, général de division de l’armée de terre et indéfectible libre-penseur de la chose militaire, publie ce jeudi 29 octobre un livre au titre éloquent : La dernière bataille de France (éd. Gallimard). Tout part d’un constat : jamais l’armée française n’a été mobilisée sur autant de fronts, y compris sur le territoire national avec l’opération Sentinelle ; pourtant,  les moyens qui lui sont alloués sont en constante diminution depuis 25 ans : 3% du PIB en 1982, 1,7% en 2011, 1,44% en 2015. « Réveillons-nous, écrit Vincent Desportes. Ce n’est pas parce que l’Europe est en paix depuis 70 ans que cela durera ».

 

Face à la multiplication des menaces (en Afrique, au Moyen-Orient, mais aussi sur le territoire national), la France et l’Europe continuent de désarmer, déplore l’auteur. Qui qualifie même les lois de programmation militaire successives (LPM) de « lois de déprogrammation militaire » : « De 1982 à 2014, le PIB a crû annuellement de 1,8% en moyenne, contre 0,15% pour le budget de défense, écrit le général Desportes. Il s’agit donc bien d’un redéploiement de la dépense publique au détriment de l’effort de défense. »

 

Vincent Desportes frappe tout aussi fort sur le « mépris » des politiques vis-à-vis des armées, symbolisé par la suppression de 63 000 postes entre 2009 et 2019 malgré la légère inflexion de l’actualisation de la LPM, que l’auteur salue comme un premier pas. « Aucune autre administration n’a connu depuis vingt-cinq ans une telle diminution de crédits, aucune n’a subi autant de réformes au détriment de l’efficacité : tout cela sans manifester bruyamment, sans bloquer le pays, et en poursuivant au mieux les missions de défense. »

 

La France ne doit pas compter sur le soutien américain pour pallier ses lacunes militaires, estime Vincent Desportes, pour qui « le soldat Ryan ne viendra plus ». Les Etats-Unis, au « leadership de plus en plus vacillant », se détournent de l’Atlantique pour se réorienter vers le Pacifique.  L’OTAN ? Elle n’est « pas inutile », mais « elle donne aux Européens un faux sentiment de sécurité, une bonne excuse pour renoncer à leurs propres moyens de défense ». La défense européenne ? Elle est aujourd’hui « dans le coma », plombée par l’hétérogénéité  politique, économique, géostratégique des Etats. « La démarche des petits pas ne fonctionne pas », estime Vincent Desportes, pour qui « l’addition des faiblesses n’a jamais créé la force ».

 

La conclusion du général Desportes est terrible : « La France doit le savoir : elle n’est plus défendue ». La France doit donc réinvestir dans sa défense, et d’urgence, estime l’auteur, qui fait sien l’adage bismarckien, pour qui « la diplomatie sans les armes, c’est la musique sans les instruments ». Pas de soft power sans hard power. Pas de place au conseil de sécurité pour la France, qui « ne va pas de soi aujourd’hui », sans puissance militaire affirmée.

 

Que faire ? Remonter à un niveau de dépenses militaires de 3% en 2025, écrit Vincent Desportes. En finir avec l’illusion du « technologisme », qui aboutit à des armements ultrasophistiqués, ruineux et à l’efficacité contestable face aux menaces asymétriques actuelles. Et revenir sur la sanctuarisation de la dissuasion nucléaire (3,5 milliards d’euros par an environ), qui a des « angles morts » et «[réduit] dangereusement nos capacités conventionnelles ».

 

L’auteur, qui s’était déjà largement exprimé sur le sujet, critique ainsi la composante aéroportée de la dissuasion (par avion d’armes, depuis une base ou le porte-avions) et le principe de « permanence à la mer » (au moins un sous-marin lanceur d’engin en position de tirer ses missiles balistiques). D’où des questions qui fâchent : « Etre capable de raser Pékin est-il d’un intérêt stratégique pour nous ? […] Quelle menace dissuaderions-nous avec 300 têtes [nucléaires] que nous ne dissuaderions pas avec 150 ? »

 

Comme les précédentes prises de positions du général Desportes, le livre risque d’en agacer plus d’un  à l’hôtel de Brienne et à Balard, tant l’attaque est rude à l’endroit des politiques, mais aussi des chefs militaires jugés trop timorés. Mais l’ouvrage a l’immense mérite de dresser un état des lieux largement partagé dans les armées, sans que celles-ci puissent vraiment en faire état.

 

La dernière bataille de France, Vincent Desportes (éd. Gallimard), 21 euros, à paraître le 29 octobre

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27 octobre 2015 2 27 /10 /octobre /2015 17:55
Le général Vincent Desportes. - photo Catherine Hélie /Gallimard

Le général Vincent Desportes. - photo Catherine Hélie /Gallimard

 

26.10.2015 Propos recueillis par Anne Bauer et Jacques Hubert-Rodier - lesechos.fr

 

Vincent Desportes lance un cri d’alarme sur la réduction des moyens militaires dans un ouvrage intitulé « La dernière bataille de France » (Le Débat-Gallimard).

 

Ancien élève de Saint-Cyr et général de division de l’Armée de Terre, le général Vincent Desportes s’est fait le grand défenseur de son corps d’armée dans les opérations extérieures de la France. Ses critiques de la stratégie américaine – donc française – en Afghanistan lui avaient valu d’être débarqué en 2010 du commandement du Collège interarmées de défense.

 

L’armée française a-t-elle aujourd’hui les moyens de faire face aux menaces ?

Nous sommes dans une situation extrêmement critique. D’un côté, les menaces s’accroissent, le feu a pris tout autour de l’Europe, de l’Ukraine au Sahel en passant par le Moyen-Orient. De l’autre, les capacités de notre défense sont constamment réduites : moins 25 % sous Nicolas Sarkozy et à peu près la même chose sous François Hollande, selon l’actuelle loi de programmation militaire, même après la légère rectification décidée par le Président. Vérifiez vous-même. Si cette pente vertigineuse n’est pas sérieusement redressée, les armées françaises vont tout simplement disparaître : le dernier soldat français défilera sur les Champs-Elysées le 14 juillet 2040.

Ce qui est terrible, c’est que l’institution militaire, silencieuse par nature, est incapable de se défendre elle-même, comme peuvent le faire d’autres corps sociaux, médecins, architectes, avocats disposant « d’Ordres » dont c’est la mission. Des voix citoyennes doivent s’élever, au nom de la Nation. Mon devoir était de pousser un cri d’alarme. C’est l’objet de cet ouvrage, hélas plus réaliste que pessimiste.

 

Pourquoi ce grand écart entre missions et moyens ?

L’Europe a tué l’idée de guerre dans l’esprit des citoyens européens. Ils ont cru que le « soft power » pourrait remplacer le « hard power ». Nous avons intellectuellement « quitté l’histoire » en imaginant être parvenus dans un monde post-moderne qui avait définitivement éliminé la guerre et la barbarie.

Si la guerre a disparu, pourquoi conserver des armées ? Les citoyens se sont désintéressés de la défense dont les investissements sont devenus peu à peu illégitimes. En aval, on a pu, sans coût politique, rogner sur les budgets de défense pour redistribuer aux corps sociaux qui, eux, descendent dans la rue.

 

Suite de l’entretien

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9 octobre 2014 4 09 /10 /octobre /2014 07:30
«Il faut maintenant employer les hélicos près du sol» (Général Vincent Desportes)

 

08/10/2014 LaDefepche.fr

 

Faut-il envisager un changement de stratégie militaire face à la progression de l'Etat islamique ?

 

Les frappes sur les cibles logistiques ou les puits de pétrole pour assécher les sources de financement de l'Etat islamique ne sont pas suffisantes. Il faut maintenant agir sur trois fronts : mettre un coup d'arrêt à l'avance de l'EI en intensifiant les frappes aériennes, frapper aussi leur soutien d'artillerie, et maintenant permettre aux hélicoptères d'aller discriminer les cibles au plus près sans toucher les populations.

 

Suite de l’entretien

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17 juin 2014 2 17 /06 /juin /2014 15:55
Peut-on toucher au budget de la Défense en France ?

 

16.06.2014 François Bernard - RFI

 

Le Salon de la Défense Eurosatory ouvre ses portes, à Paris jusqu’au 20 juin 2014. Le caractère prioritaire de la défense a été réaffirmé au début de ce mois afin, a dit le président, de renforcer «notre influence internationale, protéger nos intérêts vitaux et assurer la sécurité de la France». La baisse des crédits n’est évoquée qu’à mots couverts, mais certains évoquent les conséquences opérationnelles, sociales et industrielles qu'engendrerait une nouvelle baisse.

 

Pour en débattre :

- Vincent Desportes, ancien directeur de l’Ecole de Guerre, professeur de Stratégie à Sciences et HEC

- Etienne de Durand, chercheur et directeur du Centre des Etudes de sécurité à l’IFRI.

 

Emission à écouter ICI

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16 octobre 2013 3 16 /10 /octobre /2013 10:55
FOB Interview : Général Desportes sur la LPM

 

16.10.2013 par Guillaume Belan (FOB)

 

Après Saint Cyr, Vincent Desportes choisit l’arme blindée cavalerie. Diplômé de l’US Army War College, il prend la tête du  Centre de doctrine et d’emploi des forces (CDEF) jusqu’en 2008, date à laquelle il devient directeur du Collège interarmées de défense (CID). Enseignant la stratégie à HEC, il est aujourd’hui professeur associé à Sciences Po Paris et consultant pour plusieurs média télévisuels.

 

Mon général, quel regard portez-vous au projet de Loi de programmation militaire (LPM) pour les années 2014-2019 en cours de discussions devant l’Assemblée Nationale?

 

Je le caractériserais en trois termes: Camouflage, enfumage, décrochage.

 

Camouflage car on ne peut qu’être surpris de la façon similaire dont ont été présentés les deux documents, presque en catimini : Le Livre Blanc, attendu de très longue date, est rendu public au cœur d’un grand pont du printemps, le 29 avril, non sans qu’ait été organisée au même moment à l’Elysée une grande manifestation en faveur des entreprises qui réunit le gouvernement, attire la presse … et fera l’ouverture des journaux télévisés. Même scénario pour la LPM : elle est rendue publique le vendredi 2 août, au plus creux de l’été français, alors même que le monde politique et la presse spécialisée a déjà quitté Paris.

 

Enfumage ensuite, puisque l’on s’acharne à faire croire que le budget de la défense a été préservé. Ce qui est faux. Je ne doute pas que notre Ministre et nos élus de la majorité soient de bonne foi quand ils disent s’être battus bec et ongle pour préserver la France du pire. Mais il n’en reste pas moins, que, de cet exercice, le budget ressort réduit et notre défense dégradée. Notre budget va se trouver amputé de 1 à 3 milliards par an.

 

Vous parlez d’une amputation de un à trois milliards d’euros par an sur le budget défense ?

 

Vous connaissez l’arithmétique: La stabilité puis la croissance en volume ne sont prévues qu’à partir de 2017, c’est-à-dire à la charge de la prochaine administration ! De 2014 à 2016, maintenu en valeur, le budget perdra mathématiquement jusqu’à 600 millions en euros constant. Se rajoute le fait que bon nombre de dépenses de fonctionnement subissent, en ce qui les concerne, l’inflation de plein fouet. A ces 600 millions, il faut donc rajouter au moins 400 millions qu’il faudra imputer aux investissements.

 

A cette baisse certaine de 1 milliard, se rajoute le pari sur les ressources exceptionnelles : même sans procès d’intention, il est fort peu probable que les 6 milliards soient au rendez-vous. Il est donc raisonnable de provisionner une chute de 500 à 800 millions par an !

 

Il y a-t- il un risque sur le volet « équipements »?

 

Tout d’abord le pari sur la vente à l’export des 40 Rafales dont l’échec peut se traduire par impacter le budget de 700 millions par an. Ramenez le aux chiffres précédemment évoqués, nous nous trouvons à un manque de 2,5 à 3 milliards par an. D’autant plus que se rajoutent des incertitudes et paris complémentaires qui fragilisent la trajectoire financière théorique : des renégociations de contrats d’équipement (dont jusqu’à 30 A400M, 20 hélicoptères Tigre etc …) qui sont loin d’être abouties et qui se traduiront immanquablement par des pénalités.

 

Et que penser du budget OPEX (opérations extérieures) ?

 

Les dotations budgétaires annuelles pour les surcoûts OPEX sont en réduction très sensible (450 millions d’euros contre 630 dans les budgets précédents).  Respecte-t-on bien ici le principe de « sincérité budgétaire » quand les surcoûts OPEX sont restés en moyenne à 961 millions par an sur la période 2009-2012 et qu’ils ne sont jamais descendus depuis dix ans en dessous de 528 millions ? Nous sommes donc très en deçà de la réalité constatée sur le temps long.

 

D’autant plus qu’entre ce qui est voté et ce qui exécuté, il y a parfois de grandes différences…

 

Comme vous dites ! Au-delà des grandes déclarations sur un effort de défense « sanctuarisé », ce projet de loi ne préjuge en rien de l’exécution budgétaire sur laquelle Bercy, en dehors même de tout regain de crise économique, exercera, comme à son habitude, ses méthodes traditionnelles de « guérilla budgétaire ». On le sait, aucune des lois  de programmation militaires n’a été rigoureusement exécutée. On peut même affirmer qu’il manquait en moyenne pour chacune d’elles, une à deux années de financement en crédits de paiement, du moins pour les 10 premières lois qui ne couvraient que les crédits d’investissements. Un récent rapport d’information parlementaire signalait les déficits accusés par deux des dernières lois, 1997-2002 et 2003-2008 sur le seul poste des programmes d’équipements, soit respectivement, 13 milliards d’euros et 11 milliards d’euros…

 

Soit, mais est-ce que un ou deux milliards font-ils vraiment la différence quand on parle d’un budget annuel de plus de 30 milliards ?

 

Et bien si, détrompez-vous! Parce que, vous le savez, cette réduction ne porte pas sur la somme de 31,4 milliards. Les déflations en effectif correspondant d’abord, sur plusieurs années, à un surcoût, cette réduction budgétaire ne peut porter que sur la partie « équipement » des 16 milliards d’investissement, soit sur 10 milliards. Et encore, on ne touche pas au nucléaire, donc uniquement sur la partie « conventionnelle » de cette somme, soit 6 à 7 milliards. Ce qui veut dire que la réduction sur le conventionnel pourrait aller jusqu’à 40%. C’est considérable !

 

Et les conséquences sont également considérables. Avec une trajectoire financière tenue, la LPM acte déjà d’une diminution moyenne de 25% de nos capacités conventionnelles, mais elle porte en outre en elle le risque grave d’une presque certaine dégradation complémentaire de nos forces, alors même qu’un récent rapport du Sénat (juillet 2012) décrivait déjà le format de nos forces comme « juste insuffisant ». Comme l’écrit la Cour des comptes dans sa note d’exécution du budget 2011 : « L’équipement des forces sert de variable d’ajustement au bouclage du budget du ministère ».

 

Regardons la situation en face : non, le pire n’a pas été évité car il y a, au cœur de la LPM, une bombe à retardement, mèche déjà allumée, dont il y a bien peu de chance que nous n’assistions pas à l’explosion !

 

On l’a compris, la sanctuarisation du budget de la défense est donc bien un enfumage! Vous évoquiez le décrochage de la France, qu’en est-il?

 

Le premier constat porte sur les effectifs. Le bilan, vous le connaissez. L’effort demandé aux armées est extrême, avec une perte de 80.000 emplois entre 2009 et 2019. En 2014, 8.000 emplois supprimés dans les armées sur les 13.000 supprimés « dans les secteurs qui ne correspondent pas aux missions prioritaires » (selon les termes de la Loi de finances initiale), au premier rang desquels on trouve la Défense, qui « paye » 60% du total alors qu’elle ne représente que 10% des emplois publics de l’Etat. En 10 ans, les armées auront perdu un quart de leurs effectifs, ce qui fait de ce ministère « sanctuarisé » le plus pénalisé des ministères ! J’ajouterai que ces déflations et les réformes permanentes qu’elles entraînent, essentiellement guidées par des impératifs budgétaires, sont menées à un rythme et une vitesse qui ne permet pas au système militaire de se réorganiser, ni de modifier ses pratiques. In fine, ces mesures sont par elles-mêmes un facteur de réduction de l’efficacité des armées ;

 

Le deuxième constat, c’est que la LPM va encore aggraver les trois défauts majeurs de notre défense militaire.

 

Quels sont ces trois défauts ?

 

Tout d’abord, le manque d’épaisseur stratégique : il se caractérise d’une part par notre incapacité à conduire dans la durée des opérations conséquentes et, d’autre part, par notre incapacité à nous engager de manière significative sur plusieurs théâtres d’opération à la fois.

 

Ensuite, les « Discontinuités capacitaires » : je parle ici du manque à la fois de certaines capacités-clefs (Transport stratégique et opératif, ravitaillement en vol, armes SEAD, Renseignement) et des impasses faites sur les programmes dits de « cohérence capacitaire » ou « AOA », Autres opérations d’armement.

 

Enfin, le Déficit d’autonomie stratégique : en creux, ce déficit est clair puisque le Livre Blanc répète de nombreuses fois qu’il est fondamental de restaurer cette autonomie. Dans les faits, chacun sait que la France n’est capable de mener dans la durée que les opérations avalisées par les Etats-Unis dont elle attend justement les capacités que j’ai citées et qui lui font défaut.

 

Manque d’épaisseur stratégique, discontinuités capacitaires, déficit d’autonomie stratégique.  Ces trois faiblesses sont accentuées par la LPM.

 

La suite, demain sur FOB

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16 octobre 2013 3 16 /10 /octobre /2013 06:55
Le général Vincent Desportes s'élève contre " une défense dégradée "

14.10.2013 Par Olivier Berger, grand reporter à La Voix du Nord. - Défense Globale

 

" Il y a danger pour la France et la Défense. Le problème essentiel est que le politique peut taper autant qu'il veut sur la Défense. Un militaire, c'est bien pratique. On peut tout lui faire, il continuera à mourir pour le pays. "

Cette introduction musclée est du général Vincent Desportes, professeur de stratégie à Sciences-Po et HEC, connu pour son franc-parler et une vision stratégique assez radicale. Nous l'avons rencontré il y a quelques jours avec l'Association des journalistes de défense (AJD).

Attachez vos ceintures : " En ce qui concerne le duo Livre blanc / Loi de programmation militaire, je pourrais, de manière un peu lapidaire, j'en conviens, le caractériser par trois termes : camouflage, enfumage, décrochage. " Ouvrez le ban !

 

D'abord, le général Desportes trouve que les sorties du Livre blanc et du projet de LPM ont été camouflés : un 29 avril lors d'un grand pont de printemps pour le premier, le 2 août pour le second, " au plus creux de l'été ".

Pour le chapitre " enfumage ", l'ancien chef de corps du 1er régiment de chars de combat ouvre le feu : " On s'acharne à faire croire que le budget de la défense a été préservé. Ce qui est faux. Je ne doute pas que notre ministre soit de bonne foi quand il dit qu'il s'est battu bec et ongles pour préserver la France du pire. Mais il n'en reste pas moins que, de cet exercice, le budget ressort réduit et notre défense dégradée. "

 

Si tout va mal, 2,5 à 3 milliards manqueront

Il fait parler les chiffres : de 2014 à 2016, le budget perdra " mathématiquement " jusqu'à 600 millions en euros constants ; l'inflation ajouterait 400 millions... " A cette baisse certaine d'un milliard s'ajoute le pari sur les REX (ressources extrabudgétaires) et celui sur la vente à l'export de quarante Rafale. " Pour lui, une chute estimée de 500 à 800 millions par an pour les ressources exceptionnelles et de 700 millions pour le chasseur de Dassault, toujours pas vendu à l'étranger. Le général Desportes effraie en parvenant à un chiffre de 2,5 à 3 milliards par an manquant au budget.

Il dénonce également de possibles renégociations de contrats d'équipement (A400M) et la baisse des surcoût OPEX passant de 630 à 450 millions d'euros. " Respecte-t-on bien ici le principe de sincérité budgétaire quand les surcoûts OPEX sont restés en moyenne à 961 millions par sur la période 2009-2012 et qu'ils ne sont jamais descendus depuis dix en-dessous de 528 millions ? "

Le général Desportes bouillonne face à ce qu'il appelle un décrochage.

 

La Défense, le plus pénalisé des ministères !

D'abord, les effectifs : " L'effort demandé est extrême avec une perte de 80 000 emplois entre 2009 et 2019. En 2014, 8 000 emplois supprimés sur 13 000 dans les secteurs qui ne correspondent pas aux missions prioritaires, au premier rang desquels on trouve la Défense qui paye 60 % du total alors qu'elle ne représente que 10 % des emplois publics de l'Etat. En dix ans, les armées auront perdu un quart de leurs effectifs, ce qui fait de ce ministère sanctuarisé le plus pénalisé ! "

Il met en lumière trois défauts qui vont s'aggraver : le manque d'épaisseur stratégique (la masse pour durer et s'engager sur plusieurs théâtres à la fois), les discontinuités capacitaires (transport, ravitaillement en vol, renseignement et les petits programmes d'armement) et le déficit d'autonomie stratégique - " Nous ne sommes plus capables de mener une opération si elle n'est pas avalisée par les Etats-Unis ".

" Nous sommes capables de couvrir deux Mali en même temps, de produire un effet technique. Mais nous ne sommes pas capables de durer, de gagner la guerre. "

Pour lui, il faut réfléchir à l'importance de la dissuasion car " sa crédibilité repose aussi sur les forces conventionnelles " ; " on n'est pas dans le tout ou rien ". Il pousse le bouchon un peu plus loin : " Dans peu de temps, notre dissuasion sera semblable à la ligne Maginot (que la IIIe République avait affaiblie pour des raisons économiques). " " En clair, la liberté d'action de notre exécutif est encore amputée. "

 

- Le général Vincent Desportes tiendra une conférence à Lille dans le cadre de la mission LEDS (Lille eurométropole défense et sécurité) le mardi 5 novembre à l'hôtel de ville. Thème : repenser la dissuasion...

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25 mai 2013 6 25 /05 /mai /2013 16:55
Livre blanc de la défense : le Livre noir du désarmement français

 

23/05/2013 Général Vincent Desportes – Opinions / LaTribune.fr

 

Le Livre Blanc sur la Défense et la Sécurité Nationale tentait un pari intenable qui n'a pas été tenu : celui du maintien des ambitions (« assumer toutes les missions » - (le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian) avec une baisse sensible des moyens. En partant déjà d'un modèle très dégradé, « à l'os », il était impossible de faire la même chose avec sensiblement moins. Général Vincent Desportes est professeur associé à Sciences Po, ancien directeur de l'Ecole de Guerre

 

Avalé le Livre Blanc sur la Défense et la Sécurité Nationale ! Beaucoup d'émotion avant, belle levée de boucliers bipartisane, quelques récris le 29 avril jour de la révélation officielle ... et puis plus rien. L'excellente man?uvre de communication gouvernementale a estompé, puis rapidement fait oublier, que c'était une grave dégradation de la défense de la France et de sa place dans le monde que ce Livre Blanc venait d'acter. Un nouveau mantra, pernicieux, anesthésie le monde de la défense : « Nous avons évité le pire ... »

 

Décrochage stratégique

 

On a d'abord fait craindre l'apocalypse, « le modèle Z », pour que le décrochage apparaisse ensuite comme une bénédiction. Le 29 mars, notre Président s'engage et fait des promesses budgétaires ... qui seront démenties par le Livre Blanc sans que nul ne s'en émeuve. Alors qu'il était impatiemment attendu, le Livre est présenté par le Président au milieu d'un « pont » de Mai, à l'Elysée certes mais juste avant une grande manifestation en faveur des entrepreneurs qui réunit tout le gouvernement ... et qui fera l'ouverture des journaux télévisés. Efficace man?uvre de diversion. Dans le discours même de présentation du ministre, les chefs d'état-major sont nommément impliqués, comme pour contraindre chacun d'entre eux à l'acceptation silencieuse. Le tour est joué. Quelques discours apaisants encore. Nous serons bientôt à l'été dont nous reviendrons pour découvrir une Loi de Programmation Militaire qui entérinera le décrochage stratégique. Car c'est bien de cela qu'il s'agit. A défaut d'avoir fait les choix indispensables, à défaut d'avoir même sanctuarisé les budgets nécessaires au modèle défini, le Livre Blanc nous réserve probablement l'effondrement que nous croyons avoir repoussé !

 

Depuis plus de deux décennies, la défense de la France se dégrade. Elle se dégrade de manière homothétique sans changer de modèle, celui d'une défense globale pour une puissance à vocation mondiale. Jusqu'ici l'exercice était difficile, mais il semblait possible. Le Livre Blanc de 2008 étirait pourtant déjà le modèle au-delà de ses limites, avec des capacités déconnectées des ambitions affichées. Son image emblématique et caricaturale est celle du porte-avions : à l'instar de cet unique porte-aéronefs auquel on décida alors de ne pas donner de sister-ship, la France avait déjà fait le choix de ne plus pouvoir qu'un peu, et pas tout le temps !

 

Un pari intenable qui n'a pas été tenu

 

Le Livre Blanc 2013, pour sa part, bénéficiait de deux opportunités : celle de « devoir » choisir et celle de pouvoir politiquement s'inscrire en rupture avec les exercices antérieurs. L'occasion était donnée de penser un modèle de défense cohérent et autonome, adapté à notre situation de puissance régionale. C'était possible. Finalement, le modèle proposé n'est qu'une dégradation du précédent sans que sa cohérence ait été reconstruite, sans que notre autonomie stratégique ait été rebâtie.

 

Il fallait choisir. A budget en baisse, avec des coûts d'équipement qui ne peuvent que croître à chaque renouvellement, il était devenu impossible « d'assumer toutes les missions » (1), de préserver un « outil de défense complet ». Un pari intenable qui n'a pas été tenu : celui du maintien des ambitions avec une baisse sensible des moyens. En partant déjà d'un modèle très dégradé, « à l'os », il était impossible de faire la même chose avec sensiblement moins.

 

Les forces conventionnelles, la variable d'ajustement

 

Le premier arbitrage nécessaire concernait l'équilibre à rétablir entre dissuasion et capacités conventionnelles. Fallait-il maintenir à tout prix l'arsenal nucléaire en l'état, planifier même son amélioration, au risque de réduire très fortement nos capacités conventionnelles ? Ou bien fallait-il, à effet dissuasif inchangé, consentir des réductions raisonnables de l'arsenal pour préserver nos capacités d'action classiques, demeurer capables de faire face aux aléas du quotidien, aux guerres que l'on ne choisit pas, aux menaces et catastrophes sur le territoire national ? Réponse claire : pour ne pas toucher au nucléaire - alors même que d'importantes économies peuvent y être faites sans dégrader la dissuasion, cela mérite d'être répété - on fait des forces conventionnelles la variable d'ajustement budgétaire. Jusqu'à la caricature.

 

La France, grand pays de tradition militaire, forte de 65 millions d'habitants, ne sera désormais en mesure de participer à une opération majeure en coalition qu'à hauteur de 15.000 hommes et de 45 avions ! C'est-à-dire rien. Avant le Livre Blanc 2008, nous étions encore supposés nous engager avec 50.000 hommes et 100 avions ; depuis, nous étions tombés à 30.000 hommes et 70 avions. Le fait est là : dans les interventions conventionnelles en coalition, nous sommes revenus à nos capacités de la 1ère guerre du Golfe en 1991, capacités tant vilipendées alors pour leur insignifiance. Au sein d'une coalition, nous n'aurons plus désormais ni effet, ni influence stratégique. Nous ne serons plus à l'avenir qu'un partenaire mineur, une « proxy force ».

 

Une autonomie stratégique fortement dégradée

 

Le deuxième arbitrage relevait du dimensionnement de nos ambitions au regard de nos capacités, puis de l'adaptation de celles-ci aux premières. Ici encore, l'adéquation n'a pas été faite. Un des points positifs du Livre Blanc est d'établir des zones d'intervention prioritaires : territoire national, Europe, Méditerranée, Afrique du Nord et sub-sahélienne. Très bien. Il fallait dès lors doter la France d'une force expéditionnaire solide, en mesure de lui permettre d'exercer ses responsabilités et de protéger ses intérêts dans ces zones prioritaires. Il fallait reconstruire notre autonomie stratégique fortement dégradée aujourd'hui puisque, par manque de capacités de transport stratégique, de ravitaillement en vol, de renseignement et de mobilité opérative (hélicoptères lourds et de man?uvre) en particulier, nous ne sommes plus en mesure de conduire dans la durée que les opérations validées par les Américains. L'autonomie stratégique, la cohérence opérationnelle, sont revendiquées, à raison, tout au long du Livre Blanc, mais ce dernier ne prend pas les mesures indispensables pour les restaurer. C'est même le contraire qui se produit.

 

Les petits programmes condamnés

 

Le Livre Blanc défend l'industrie de défense intelligemment, mais de manière parfaitement théorique. A juste titre, il rappelle l'importance économique et sociale de l'activité industrielle, fait disparaître le concept pernicieux des « cercles technologiques » apparu dans l'exercice précédent, rappelle l'importance de la préservation des technologies clefs, souligne le besoin de financement étatique des recherches amont et la nécessité d'assurer la pérennité des bureaux d'études, ouvre davantage l'industrie au marché du maintien en condition des équipements, prône l'accompagnement à l'exportation. Mais, en même temps, il annonce des diminutions sensibles de cibles et des étalements de programmes.

 

En préservant tous les programmes « à effet majeur », il condamne nombre de « petits programmes » ceux qui assurent justement la « cohérence opérationnelle » revendiquée par ailleurs. La diminution des budgets ne pouvant porter (au moins au début, avant le « pay back » des diminutions d'effectifs) que sur les investissements conventionnels, des calculs simples montrent que ceux-ci, selon les hypothèses, pourraient diminuer immédiatement de 30 % à 40 %. Ce qui condamne pour longtemps ceux qui n'ont pas encore été lancés, dont le programme Scorpion pourtant vital pour l'efficacité des forces terrestres. L'industrie de défense est sanctuarisée théoriquement, mais elle devrait pourtant perdre mécaniquement entre 10.000 et 20.000 emplois, selon le sort réservé à la « trajectoire budgétaire ». Dans cette destruction, l'industrie terrestre et les PME seront inévitablement les premières concernées.

 

Un effort budgétaire de deux à trois milliards d'euros par an

 

Pour que l'on s'en tienne là, encore faudrait-il que les budgets prévus soient bien alloués par la LPM, que les lois de financement soient votées, puis qu'elles soient exécutées. Encore faudrait-il aussi que les fragiles hypothèses de construction ne s'effondrent pas : que la conjoncture économique soit au rendez-vous, que la croissance reprenne, qu'il y ait eu retour à l'équilibre des finances publiques, que l'exportation de matériels majeurs se concrétise enfin, que les frais de démantèlement des infrastructures militaires du CEA ne soient pas imputées au ministère de la Défense... Encore faudrait-il aussi que soient engrangés les six milliards de ressources exceptionnelles nécessaires au respect des engagements budgétaires, ce qui - même sans procès d'intention - est très improbable.

 

Contrairement à ce qui a été dit, l'effort budgétaire devrait se situer annuellement en moyenne entre deux et trois milliards en dessous de ce qu'il était en 2013. En 2019, fin de la LPM, nous serons donc loin du compte. Non seulement le Livre Blanc prévoit d'emblée une diminution de l'ordre du quart de nos moyens d'action conventionnels, mais il porte aussi en lui la certitude de prochaines coupes claires dans les équipements et les effectifs. D'autant que dès la fin de la décennie, si les indispensables décisions ne sont pas prises, les lancements des programmes du « nouveau » renouvellement des armes nucléaire vont venir écraser de leur poids budgétaire ce qui restera encore de nos forces conventionnelles.

 

L'armée de Terre suisse surpassera en format et équipements l'armée de Terre française

 

Le désarmement massif de l'Europe avait fait émerger la « France militaire » et lui avait donné, d'un même souffle, une responsabilité, un rôle et une chance historiques. L'opération Serval au Mali aura été le marqueur de cette brève époque. Avec ce Livre Blanc, nous nous banalisons et perdons cet avantage comparatif majeur. Alors qu'elle est déjà la plus grande puissance économique de l'Europe, l'Allemagne ressort grandie de cet exercice comme sa plus grande puissance conventionnelle ; avant la fin de la LPM, l'armée de Terre suisse surpassera en format et équipements l'armée de Terre française !

 

Façonné d'emblée par les contraintes budgétaires, bâti sur des trajectoires financières ambiguës et incertaines, le Livre Blanc 2013 conduit au déclassement stratégique. Que l'on parle ou non de « décrochage», en une décennie, de 2008 à 2019, les réductions d'effectifs et d'équipements auront affaibli de plus de la moitié nos capacités de combat ! Le modèle proposé constitue une dégradation homothétique du modèle précédent déjà très affaibli. En l'absence de vision et de choix clairs, n'abandonnant rien, il saupoudre les moyens pour donner à la France une armée qui peut de moins en moins dans chacun de ses domaines d'emploi. Il affaiblit partout, sans chercher à rétablir notre autonomie stratégique en comblant les trous capacitaires qui se multiplient, s'agrandissent et la minent. Ce livre noir est celui du désarmement français.

 

(1) : Discours de Jean-Yves Le Drian, Ecole Militaire, lundi 29 avril 2013

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5 février 2012 7 05 /02 /février /2012 17:30
Les enseignements stratégiques du conflit afghan

 

30 janvier 2012 Vincent DESPORTES*,  Officier, Général de division (2S) - magistro.fr

 

Intervention lors du colloque stratégique annuel de l’IRIS, le 11 mai 2011, sur le thème "Afghanistan, 10 ans de conflit".

 

Le conflit afghan nous offre l’occasion de revenir aux principes fondamentaux de la stratégie. Je voudrais montrer, à partir de quelques exemples, qu’il apporte une validation supplé¬mentaire de quelques concepts stratégiques persistants : ils réaffirment en chaque occasion leur pertinence, quel que soit le mépris que l’on puisse affecter à leur égard.

 

La première idée qui me semble ainsi ratifiée est celle de la "vie propre de la guerre", pour reprendre le concept de Clausewitz. Dès que vous avez créé une guerre, la guerre devient un sujet et non plus un objet. Elle possède une vie propre qui vous conduit là où vous n’aviez pas prévu d’aller.

L’exemple de l’Afghanistan est particulière¬ment frappant. La guerre commence le 7 octobre 2001 avec un objectif clair : faire tomber le pouvoir taliban à Kaboul et détruire le réseau d’al-Qaida en Afghanistan. L’objectif est atteint fin novembre et il y a, alors, moins de deux mille militaires occidentaux au sol. Dix ans après, les objectifs de guerre ont totalement changé et ce sont 140 000 soldats de la coalition qui sont déployés sur le théâtre. Le général Beaufre, qui a commandé l’opération de Suez en 1956 et qui est l’un de nos grands stratèges, synthétise clai¬rement ce phénomène en évoquant "le niveau instable des décisions politiques" : il conduit les stratèges militaires à adopter des modes de guerre successifs s’avérant souvent contre-productifs par rapport aux objectifs ultérieurs. Cette évolu¬tion afghane éclaire ainsi deux réalités éternelles de la guerre ; la première est que toute guerre est marquée par une dérive des buts et, le plus souvent, une escalade des moyens ; la seconde, que les "fins dans la guerre" influent toujours sur les "fins de la guerre", pour reprendre les expressions si signifiantes de Clausewitz.

 

La deuxième idée qu’il nous est donné de revisiter relève de l’essence même du raisonne¬ment stratégique. La guerre doit être conçue et conduite non pas en fonction de l’effet tactique immédiat, mais en fonction de l’état final recherché, c’est-à-dire du but stratégique. Autrement dit, la forme que l’on donne initialement à la guerre a de lourdes conséquences ulté¬rieures : ce qui est perdu d’entrée est très difficile à rattraper.

Prenons les deux premières phases de la guerre.

 

La première phase est celle du "modèle afghan" (2001) (ou de la "stratégie minimaliste" selon l’expression de Joe Biden). Elle associait les milices afghanes, la puissance aérienne et un faible contingent de forces spéciales américaines. Le modèle a fonctionné pour faire tomber le régime des talibans, mais beaucoup moins pour débusquer et détruire les membres d’al-Qaida qui vont se réfugier dans leurs zones sanctuaires. Cette stratégie a contribué, en revanche, à renforcer les "chefs de guerre" locaux, en parti¬culier ceux dont le comportement envers la population était honni et qui étaient hostiles au gouvernement central de Kaboul. Elle a aussi renforcé la puissance tadjike et donc aliéné d’autant la population pachtoune. Elle a donc finalement affaibli les deux piliers qui allaient se révéler ultérieurement essentiels, puisqu’ils sont le socle de la reconstruction : un État central et les conditions de la "bonne gouvernance".

 

La deuxième phase est celle du modèle américain (2002-2006). En raison de l’impossi¬bilité des milices afghanes à venir à bout des talibans – les Afghans du Nord ne souhaitant d’ailleurs pas s’engager au sud de Kaboul –, les Américains prennent la tête des opérations de ratissage. On se souvient des opérations Anaconda (2002), Mountain Viper (2003), etc., des opérations de "bouclage et fouille" (Cordon and Search) visant l’élimination des terroristes et la destruction de leurs caches. Selon les termes du général (US) Barno, il s’agissait d’une "enemy-centric raid stategy". Les résultats sont médiocres, mais les conséquences définitives. L’efficacité du "modèle américain" est limitée par un grand défaut de sensibilisation culturelle et politique, voire par les effets pervers de la supériorité technologique. Les bombardements aériens et leurs cortèges de dégâts collatéraux importants soulè¬vent des questions sensibles qui ont des coûts politiques considérables. Dès lors, en dépit d’un a priori favorable, les Américains vont susciter crainte et hostilité dans la population. Les troupes sont perçues comme des infidèles, des forces d’occupation. La population initialement neutre, voire favorable, est aliénée. À partir de 2006, la guerre enemy-centric se mue en guerre population-centric (suivant les nouvelles théories en cours sur la contre-insurrection), mais le premier mode de guerre aura commis des dommages irréparables.

 

Troisième idée : si le "centre de gravité" (1) de l’adversaire se situe au-delà des limites politiques que l’on s’est données, il est inutile de faire la guerre car il sera impossible de la gagner. Au sens clausewitzien, le centre de gravité des tali¬bans se trouve dans les zones tribales situées entre le Pakistan et l’Afghanistan, puisque c’est de ces espaces incontrôlables qu’ils tirent leur capacité de résistance. Or, il est impossible pour les Américains d’y mettre militairement bon ordre : cette cible se situe au-delà des limites politiques qu’ils se sont fixées, ne serait-ce que pour de simples raisons de logistique militaire, à cause de la vulnérabilité de leurs convois lorsqu’ils traversent le Pakistan.

 

La quatrième idée à laquelle il convient de faire appel n’est pas nouvelle, mais il est toujours nécessaire de la répéte r: sauf à le détruire (ce qui est impossible en Afghanistan), c’est avec son adversaire que l’on fait la paix. Selon le bon esprit de la guerre froide – qui n’a pas fini de nous faire du mal –, la conférence de Bonn, en décembre 2001, a été non pas la conférence de la réconciliation mais la conférence des vainqueurs. Elle a, de fait, rejeté les talibans – donc les Pachtouns – dans l’insurrection. Dix ans plus tard, nous n’en sommes pas sortis.

 

La cinquième idée qu’il s’agit de convoquer est aussi évidente que méconnue : ce qui est important, c’est le stratégique, et non le tactique. Le général Beaufre nous le rappelle : "En 1940, tout notre système de guerre était faux parce que fondé sur des tactiques… L’Indochine est perdue à coups de tactiques excellentes, vaincues par la stratégie adverse à laquelle nous n’avons su opposer aucune stratégie digne de ce nom… Suez, victoire tactique, débouche sur un épou¬vantable échec politique… [très souvent] l’ignorance de la stratégie nous a été fatale" (2)

En Afghanistan, nous sommes aujourd’hui plongés au cœur d’une véritable "quadrature du cercle tactique", entre protection et adhésion de la population, d’une part, protection de nos propres troupes, d’autre part, et destruction de l’adversaire taliban par ailleurs. Nous sommes engagés dans un travail de Sisyphe de micro-management du champ de bataille, comme si nous étions enfermés dans une "stratégie de tactiques", et son appareil d’indicateurs de performance (3). C’est une impasse. Nous ne trouverons pas de martingale tactique en Afghanistan : la solution est d’ordre stratégique.

Citant des officiers US, le New York Times regrettait récemment, je cite, "la déconnexion entre les efforts intenses des petites unités et les évolutions stratégiques". Une accumulation de bonnes tactiques ne constituera jamais une bonne stratégie : un problème politique au premier chef ne peut être résolu que par une solution politique.

 

Descendant d’un cran, je voudrais insister sur une évidence opérationnelle simple. Le nombre compte. "Mass Matters", comme disent nos amis anglo-saxons. Or, les coupes budgétaires successives conjuguées à l’exponentielle du coût des armements ont conduit nos armées à des réductions de format incompatibles avec l’efficacité militaire dans les nouvelles guerres au sein des populations. En contre-insurrection, gagner c’est contrôler le milieu. Les ratios sont connus. En dessous de vingt personnels de sécurité pour mille locaux, il est tout à fait improbable de l’emporter. En Irlande du Nord, pour une popu-lation d’un million d’habitants, les Britanniques ont maintenu une force de sécurité globale de 50 000 hommes et sont restés pendant vingt ans (ratio de 1 pour 20 et non 1 pour 50). En Irak, la population est de trente millions de personnes environ. Il a fallu mettre sur pied (avec les Irakiens) une force de 600 000 hommes pour que la manœuvre de contre-insurrection commence à produire ses effets. En Algérie, à la fin des années 1950, les effectifs français étaient de 500 000 pour une population de huit millions d’Algériens "d’origine musulmane" (1/20). Au Vietnam, les Américains sont parvenus, également grâce à la conscription, à établir ce ratio mais n’ont cependant pas réussi à l’emporter. En Afghanistan, nous en sommes loin. Alors que le théâtre est infiniment plus complexe, physiquement et humainement, que nous agissons en coalition, le ratio est de 1/120 000 (en comptant les forces de sécurité afghanes, à la qualité cependant contestable) pour trente millions, soit la moitié de ce qui est nécessaire. Nous le constatons tous les jours, nos ratios actuels "forces de sécurité/population" nous permettent de conquérir, mais pas de tenir. Encore une fois, gagner la guerre, c’est contrôler le milieu. Or, nous ne savons plus contrôler le milieu.

 

Pour conclure, je voudrais encore mettre en avant deux préoccupations.

La première est qu’une nation – ou un groupe de nations – pèse dans une guerre à hauteur de sa participation. En ce sens, le conflit afghan est bien une "guerre américaine". On se rappelle ce télégramme diplomatique révélé dans Le Monde par Wikileaks dans lequel l’ambassadeur des États-Unis à Paris demandait, à l’instigation de l’Élysée, que Washington trouve des façons de faire croire que la France pesait sur le choix des options stratégiques. On se rappellera aussi que – de McKiernan à Petraeus en passant par McCrystall – les chefs militaires de la coalition sont nommés et relevés par Washington sans que l’on en réfère aux autres membres. N’en doutons pas : les calendriers et les stratégies sont bien plus dictés par les préoccupations de poli¬tique intérieure américaine que définis par le dialogue avec des coalisés obligés de s’aligner. Ceux qui ont lu Les Guerres d’Obama (4), de Bob Woodward, ne me contrediront sur aucun de ces points !

 

Ma seconde préoccupation tient au fait que l’Afghanistan est une nouvelle preuve de l’échec de l’Europe. Je constate qu’il y a, ou qu’il y a eu, quinze pays de l’Union ayant engagé des forces militaires en Afghanistan : Allemagne, Belgique, Danemark, Espagne, France, Hongrie, Italie, Lettonie, Lituanie, Pays-Bas, Pologne, Roumanie, Suède, République tchèque, Portugal. Les effectifs européens sont loin d’être négligeables puisqu’ils représentent environ trente mille combattants, soit un tiers de la force engagée. Or, il n’y a presque pas d’Europe, en tout cas aucune Europe de la défense, en Afghanistan. On pourra toujours expliquer que, historiquement, l’Europe a eu du mal à s’imposer en tant que telle dans cette guerre. Certes, mais le constat est là : l’Europe mène la guerre la plus longue qu’elle ait jamais conduite ; elle le fait avec des effectifs très importants, et elle n’existe pas. Cela donne une résonance forte aux propos de l’ancien ministre de la Défense, Hervé Morin, qui affirmait fin octobre : "L’Europe est devenue un protectorat des Etats-Unis" (5) Il est temps que l’Europe se reprenne en main.

 

* Vincent DESPORTES Officier, Général de division (2S) est un ancien commandant de l’École de Guerre

 

(1) D’où il retire sa force et sa capacité à durer, selon Clausewitz.

(2) Introduction à la stratégie, Pluriel, 1998, pp. 24, 25.

(3) Georges-Henri Bricet des Vallons, Faut-il brûler la contre-insurrection?, Choiseul, 2010, p. 19.

(4) Denoël, 2011.

(5) Le Monde, 31 octobre-1er novembre 2011.

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21 septembre 2011 3 21 /09 /septembre /2011 22:10

http://www.affaires-strategiques.info/local/cache-vignettes/L200xH267/visuel_200px-f9f4e.jpg

 

21 septembre .affaires-strategiques.info

 

Intervention du Général Vincent Desportes, Conseiller spécial du Président, Panhard General Defense

 

Je voudrais revenir aux fondamentaux de la stratégie et constater avec vous, à partir de quelques exemples, que le conflit afghan valide à nouveau des concepts stratégiques persistants, qui démontrent à chaque occasion leur pertinence, quel que soit le mépris qu’on puisse leur porter.

 

La première idée est celle de « la vie propre de la guerre » pour reprendre l’idée de Clausewitz. Dès que vous avez créé la guerre, la guerre devient un sujet et non pas un objet. Clausewitz évoque « la volonté indépendante de la guerre », les événements finissant par avoir leur dynamique propre. Elle a sa vie propre qui vous conduit, pour de nombreuses raisons, là où vous n’aviez pas prévu d’aller. L’exemple de l’Afghanistan est particulièrement frappant. La guerre commence le 7 octobre avec un objectif clair : faire tomber le pouvoir taliban à Kaboul et détruire le réseau d’Al-Qaïda en Afghanistan. En gros, l’objectif est atteint fin novembre 2007. Il y a alors moins de 2 000 militaires occidentaux au sol.

 

Dix ans après, les objectifs de guerre ont totalement changé et il y a presque 150 000 soldats déployés en Afghanistan. C’est ce que le général Beaufre résume d’une autre manière en parlant « du niveau instable des décisions politiques » ce qui amène les stratèges militaires à adopter des modes de guerre successifs qui s’avèrent contre-productifs par la suite.

 

Cette évolution afghane éclaire donc deux réalités éternelles de la guerre :

- toute guerre est marquée par une dérive de ses buts et, le plus souvent, une escalade des moyens

- les « fins dans la guerre » influent toujours sur les « fins de la guerre » pour reprendre les expressions si parlantes de Clausewitz

 

Deuxième idée : on doit concevoir la guerre et sa conduite non pas en fonction de l’effet tactique immédiat mais en fonction de l’effet final recherché, c’est-à-dire du but stratégique. Autrement dit, la forme que l’on donne initialement à la guerre à de lourdes conséquences ultérieures. Ce qui est perdu d’entrée est très difficile à rattraper.

 

Prenons les deux premières phases de la guerre en Afghanistan. La première fut celle du « modèle Afghan » (ou de la « stratégie minimaliste » selon Joe Biden). Lancée le 7 octobre 2001, elle associait la puissance aérienne américaine, les milices afghanes et un faible contingent de forces spéciales américaines.

 

Résultat : on constate que le modèle a fonctionné pour faire tomber le régime des talibans mais beaucoup moins pour débusquer les membres d’Al-Qaïda et détruire les militants qui pouvaient se réfugier dans leurs zones sanctuaires. Par conséquent :

 

-  cette stratégie a contribué à renforcer les « chefs de guerre » locaux, en particulier ceux dont le comportement envers la population était honni et qui étaient hostiles au gouvernement central de Kaboul

 

-  a renforcé la puissance Tadjik et donc aliéné d’autant la population pachtoune

-  a donc affaibli ce qui allait être essentiel ultérieurement, les deux piliers centraux de la reconstruction : un État central et la bonne gouvernance

 

La deuxième phase, fut celle du modèle américain (2002 – 2006). Compte tenu de l’impossibilité pour les milices afghanes de venir à bout des talibans, les troupes américaines prirent la tête des opérations de ratissage. On se rappelle des opérations Anaconda (2002) ou Mountain Viper (2003). Il s’agissait d’opérations « de bouclage et de fouille » (« Cordon and Search ») avec pour but d’éliminer les caches des terroristes et d’« enemy-centric raid stategy » comme le dit le général américain Barno. Les résultats ont été limités et les leçons à retenir sont les suivantes :

 

-  L’efficacité du « modèle américain » est limitée par un grand défaut de sensibilisation culturelle et politique, voire par la supériorité technologique.

 

-  les bombardements aériens soulèvent des questions sensibles (on se rappelle le bombardement d‘une fête de mariage en Oruzgan en juillet 2002) avec des coûts politiques considérables.

-  les forces américaines suscitent crainte et hostilité dans la population. Elles sont perçues comme des forces d’occupation.

-  la population à l’origine neutre, voire favorable aux américains, s’est progressivement détournée.

 

On passe donc en 2006 d’une guerre « enemy-centric » à une guerre « population-centric », mais le premier mode de guerre aura commis des dommages irrattrapables.

 

Quatrième idée : si le centre de gravité de l’adversaire se situe au-delà des limites politiques que l’on s’est fixées, il est inutile de faire la guerre car il ne sera pas possible de la gagner. Au sens clausewitzien, le centre de gravité des talibans se situe dans les zones tribales pakistanaises, puisque que c’est de cette zone refuge qu’ils tirent leur capacité de résistance. Impossible pour les Américains d’y mettre militairement bon ordre : cette cible se situe au-delà des limites politiques qu’ils se sont fixées, ne serait-ce que pour de simples raisons de logistique militaire, en raison de la vulnérabilité de leurs convois militaires lorsqu’ils traversent le Pakistan.

 

Cinquième idée : c’est avec son adversaire que l’on fait la paix. Selon le bon esprit de la Guerre Froide qui n’a pas fini de nous faire du mal, la conférence de Bonn, en décembre 2001, a été non pas la conférence de la réconciliation, mais la conférence des vainqueurs. Elle a, de fait, rejeté les talibans - donc les pachtouns - dans l’insurrection. Dix ans après nous n’en sommes pas sortis.

 

Sixième idée : ce qui est important, c’est l’aspect stratégique et non tactique. Nous sommes aujourd’hui plongés au cœur d’une véritable « quadrature du cercle tactique », entre protection et adhésion de la population d’une part, protection de nos propres troupes d’autre part et destruction de l’adversaire taliban par ailleurs. Nous sommes engagés dans un travail de Sisyphe du micro-management du champ de bataille, comme si nous étions enfermés dans une stratégie de tactiques, et son appareil de « metrics » et autres indicateurs de performances. C’est une impasse. Nous ne trouverons pas de martingale tactique en Afghanistan : la solution est d’ordre stratégique.

 

Une accumulation de bonnes tactiques ne fera jamais de bonne stratégie : un problème politique au premier chef ne peut être résolu que par une solution politique. Citant des officiers U.S, le New York Times regrettait récemment « la déconnection entre les efforts intenses des petites unités et les évolutions stratégiques ». Une idée de niveau tactique. Celle-ci est simple. Le nombre compte (« mass matters » comme disent nos amis anglo-saxons). Les coupes budgétaires progressives et l’exponentielle du coût des armements ont conduit à des réductions de formats incompatibles avec l’efficacité militaire dans les nouvelles guerres au sein des populations.

 

En contre-insurrection, gagner, c’est contrôler l’espace. On connaît les ratios. En dessous du ratio de 20 personnels de sécurité pour 1 000 locaux, il est tout à fait improbable de l’emporter. En Irlande du Nord, pour une population d’un million d’habitants, les Britanniques ont maintenu une force de sécurité globale de 50 000 hommes et y sont restés 20 ans (ratio de 1 pour 20 et non de 1 pour 50). En Irak, la population est de l’ordre d’une trentaine de millions. Il a fallu mettre sur pied (avec les Irakiens) une force de 600 000 hommes pour que la manœuvre de contre-insurrection commence à produire ses effets (ratio de 1 pour 50). En Algérie, à la fin des années 1950, les effectifs français étaient de 450 000 pour une population de huit millions d’Algériens d’origine musulmane (ratio de 1/20). En Afghanistan, nous sommes loin de ce ratio. Alors que le théâtre est infiniment plus complexe, physiquement et humainement, que nous agissons en coalition, le ratio est de 2 x 140 000 pour 30 millions, soit la moitié de ce qui est nécessaire. Nos ratios actuels forces de sécurité/population nous permet de conquérir, mais pas de tenir. Gagner la guerre, c’est contrôler l’espace. Or, nous ne savons plus contrôler l’espace.

 

Enfin, pour conclure, deux dernières idées. Vous pesez dans une guerre à hauteur de votre participation. En ce sens, le conflit afghan est bien une « guerre américaine ». On se rappelle de ce télégramme diplomatique révélé dans Le Monde par Wikileaks ou l’ambassadeur des États-Unis à Paris demandait, sur instance de l’Elysée, que Washington trouve des façons de faire croire que la France comptait dans les options stratégiques.

 

On se rappellera aussi que le « commander-in-chief » américain – de McKiernan à Petraeus en passant par McCrystall – relève et remplace les chefs de la coalition sans en référer aux autres membres. On se souviendra que les calendriers et les stratégies sont dictés davantage par les préoccupations de politique intérieure américaine que par le dialogue avec les coalisés, bien obligés de s’aligner.

 

L’Afghanistan est une nouvelle preuve de l’échec de l’Europe. Je constate qu’il y a eu 15 pays de l’Union européenne ayant engagés des forces militaires en Afghanistan : l’Allemagne, la Belgique, le Danemark, l’Espagne, la France, la Hongrie, l’Italie, la Lettonie, la Lituanie, les Pays-Bas, la Pologne, la Roumanie, la Suède, la République tchèque et le Portugal. Leurs effectifs étaient non négligeables puisqu’ils représentaient environ 40 000 combattants, soit 1/3 de la force engagée. Or, il n’y a pas presque pas d’Europe, et en tous cas aucune défense européenne en Afghanistan. Le constat est très clair : l’Europe mène la guerre la plus longue de son histoire, et le fait avec des effectifs très importants. Mais elle n’existe pas. Cela donne une résonance nouvelle aux propos du Ministre de la défense, Hervé Morin, qui affirmait fin octobre : « L’Europe est devenu un protectorat des États-Unis »(1). Il est temps que l’Europe se prenne en main.

 

(1) Le Monde, 31.10/01.11

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