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21 mai 2011 6 21 /05 /mai /2011 22:30

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21 mai 2011 CitizenKane

 

Antoine Boulin, polytechnicien et énarque, qui préside la société de conseil en stratégie Salamandre qui intervient auprès d’industriels de défense et d’administrations régaliennes depuis quinze ans

 

« La restructuration de l’industrie électronique de défense bute sur une réalité d’un autre ordre située en amont du raisonnement rationnel : des dogmes, c’est-à-dire des principes doctrinaires, implicites ou explicites, qui sont posés sans jamais avoir à être démontrés, parce qu’ils seraient évidents. Ces dogmes sont au nombre de deux : le dogme de la forteresse hexagonale, qui répond au fortin germanique, et celui de l’intégrité de Thales. Nous sommes favorables à l’abandon des dogmes et prônons un rapprochement entre EADS et Thales »

 

CK : Comment interprétez-vous les actuelles tentatives de rapprochement d’activités entre Thales et Safran ?

 

C’est une très bonne chose. Autant, nous étions opposés en 2007 à une fusion globale entre Thales et Safran, qui aurait été destructrice de valeur, autant l’échange d’actifs envisagé, rectifiant marginalement les territoires des deux groupes, a un sens industriel et stratégique. Pour autant que ce rapprochement réussisse !

 

Le précédente tentative d’échanges d’actifs d’électronique de défense entre Thales et Safran, déjà promue par le gouvernement, en particulier la Direction générale de l’armement, avait illustré, la difficulté qu’il y a à réaliser à petite échelle une avancée tant que des dogmes sous-jacents ne sont pas remis en cause.

 

Cet échange répond pourtant à une logique industrielle saine : la nécessité de mutualiser les compétences en matière d’optronique et d’inertie dans un contexte de crise budgétaire aigue de la Défense. Avec en particulier un acteur, Safran, qui à travers sa filiale Sagem est conscient de sa marginalisation relative dans le secteur de la Défense, mais en tant qu’acteur majeur de l’équipement aéronautique souhaite se renforcer dans le domaine de l’électronique pour l’aviation civile. La rectification rationnelle des territoires entre Safran et Thales bénéficiait ainsi de tous les atouts pour aboutir : un contexte économique de crise budgétaire accrue en France et en Europe poussant au regroupement, une pertinence industrielle peu contestable, la taille relativement modeste des actifs – moins d’un milliard d’euros de chiffre d’affaires en jeu de part et d’autre – et, enfin et surtout, une volonté politique et administrative de faire, l’Etat étant l’actionnaire de référence des deux groupes.

 

« On ne réglera pas le problème d’un Thales malade en demandant à un Safran bien portant de se déshabiller ici ou là »

 

CK : Quelles dispositions permettraient d’aboutir à un accord entre Thales et Safran ?

 

Il est stratégique que le groupe Safran intègre les générateurs électriques et l’avionique civile de Thales. Ces compétences sont essentielles pour Safran, que ce soit dans la perspective de « l’avion plus électrique », où on remplacera les énergies hydraulique et pneumatique par l’électricité, que pour une question de taille critique face aux plus grands concurrents du domaine de l’équipement aéronautique, comme Honeywell, UTC/Hamilton Sundstrand ou Goodrich.

 

Aujourd’hui, le problème est celui de l’affaiblissement de Thales. Les concurrents s’en sont bien sûr réjouis puisqu’ils en profitent tant en France qu’à l’international. Mais nous savons qu’avoir un Thales faible n’est bon pour personne à terme : ni pour la France, ni pour les salariés de Thales bien sûr, ni même pour l’industrie européenne d’électronique de défense en général.

 

Notre crainte, c’est que l’affaiblissement de Thales soit tel qu’on finisse par demander à Safran, dont l’Etat est actionnaire à 30%, de faire son devoir en acceptant des termes d’échanges d’actifs avec Thales qui lui soient largement défavorables au prétexte qu’il faudrait « sauver le soldat Thales ». L’actionnaire Dassault joue là-dessus de manière d’ailleurs très habile. Mais une « victoire à l’usure », avec des termes d’échanges déséquilibrés, serait une erreur pour l’industrie française : chaque fois que des opérations ont été poussées par des logiques non industrielles, cela a donné de mauvais résultats, voire des résultats catastrophiques. Le groupe Safran fait de la bonne industrie : il est urgent de le laisser mener sa propre stratégie.

 

CK : Quels sont les facteurs de blocage à la restructuration de l’industrie d’électronique de défense ? (rapprochement entre EADS et Thales)

 

Si, malgré un contexte favorable, l’opération d’échange d’actifs entre Thales et Safran n’a pas pu encore se faire, c’est qu’elle a buté sur une réalité d’un autre ordre située en amont du raisonnement rationnel : des dogmes, c’est-à-dire des principes doctrinaires, implicites ou explicites, qui sont posés sans jamais avoir à être démontrés, parce qu’ils seraient évidents.

 

Une analyse sur longue durée de l’industrie électronique de défense française et du comportement des acteurs du système fait en effet ressortir deux principes doctrinaires, sortes d’invariants qui orientent les décisions : le dogme de la forteresse hexagonale, qui répond au fortin germanique, et celui de l’intégrité de Thales.

 

Nous pensons pour notre part que ces schémas de forteresses nationales, s’inscrivant dans une tendance à la renationalisation des programmes de défense, sont suicidaires pour l’industrie d’électronique de défense européenne prise dans sa globalité. Nous sommes favorables à l’abandon des dogmes et prônons un rapprochement entre EADS et Thales.

 

CK : Faudrait-il élargir le champ des restructurations à l’ensemble de l’industrie européenne d’électronique de défense ? (rapprochement entre EADS et Thales)

 

Aujourd’hui, le dossier Thales est celui qui bloque une restructuration de l’industrie européenne de défense pourtant nécessaire si l’on souhaite mettre cette dernière en ordre de marche face à une concurrence internationale, notamment américaine, accrue. L’Europe a créé un objet industriel original et unique, EADS, qui a déjà démontré sa capacité à triompher des particularismes nationaux, dans plusieurs secteurs : les avions civils, les hélicoptères, l’espace, … EADS, aux côtés de BAE et Finmeccanica, est aussi actionnaire du missilier européen MBDA qui est devenu la première société européenne de défense véritablement intégrée. Tôt ou tard, il faudra de toute façon remettre sur la table le dossier de l’intégration de Thales dans EADS. Nous pensons aujourd’hui que le timing est le bon, à condition de convaincre Dassault de faire évoluer sa position en vue d’une ouverture à l’Europe et non d’un repli national. Ou d’envisager un désengagement pur et simple de Dassault du capital de Thales, ce qui reste toujours une possibilité car nous sommes convaincus qu’il s’agit pour l’avionneur français d’une participation essentiellement financière.

 

Tant l’Etat que les industriels ne peuvent plus se payer le luxe de ne pas mettre en œuvre les restructurations permettant de mettre l’industrie de défense en bon ordre de marche face à la concurrence internationale. L’organisation d’une concurrence entre deux fournisseurs peut rapidement devenir un facteur de surcoût et de non compétitivité. A terme, notre industrie s’organisera autour de trois pôles :

 

- un pôle d’électronique de défense résultant du rapprochement des activités d’EADS et Thales ;

- un « Raytheon européen » centré sur les missiles : MBDA ;

- un pôle d’équipementier aéronautique, incluant l’avionique civile, dans Safran.

 

CK : Vous conseillez depuis quinze ans les activités défense et sécurité de l’ex Sagem, que pensez-vous de leur évolution au sein du groupe Safran ?

 

L’évolution est bonne. Depuis le changement de gouvernance de 2007, le chiffre d’affaires des activités sécurité du groupe (Morpho) a été multiplié par plus de deux, avec une croissance organique de 15% par an, et s’élève en 2010 à 1 milliard d’euros. La réalisation réussie d’une série d’acquisitions stratégiques, tant dans les métiers de l’identification (Sdu Identification, Motorola/Printrak) que de la détection d’explosifs et autres substances dangereuses (General Electric Homeland Protection) confère à Safran Morpho une position de leadership mondial incontestable face à des NEC (Japon) ou des Cogent (Etats-Unis), dans le domaine de l’identification, et face à des Smiths Detection (Royaume-Uni) ou des L3 (Etats-Unis) dans le domaine de la détection. Safran Morpho a par ailleurs lancé une série d’innovations technologiques remarquables – association de la reconnaissance des empreintes digitales et du réseau veineux des doigts, détection d’explosifs par rayons X dans les liquides et les gels – pour ne citer que celles-ci.

 

Il est à noter que, si la fusion Snecma-Sagem n’avait à l’évidence pas été très heureuse, l’apport de la culture moteurs au développement d’une position de leader stratégique mondial dans la sécurité a été un vrai succès. Au-delà des capacités financières, l’ancienne Sagem n’avait pas cette culture de volontarisme stratégique. Son développement reposait sur une excellente capacité d’innovation technologique supportée par une forte adaptabilité de ses structures lui permettant de faire des coups industriels de talent. Le volontarisme stratégique à long terme est un apport indéniable de Safran dont le modèle a été fortement influencé par le travail étroit mené depuis presque quarante ans avec General Electric sur le CFM56. La culture moteurs a également amené une forme de révolution puisque le cycle de réflexion stratégique (vingt à trente ans) y est nettement plus long que dans l’électronique (cinq à dix ans). Vous savez que dans notre histoire, c’est justement le passage d’un raisonnement par cycle des saisons agricoles à un raisonnement par cycle pluri-annuel qui a marqué le début de l’essor industriel !

 

CK : Et côté défense ?

 

Côté défense, les résultats de Sagem Défense (Groupe Safran) sont bons, notamment dans le secteur optronique. Par contre, nous regrettons que les activités originales de modernisation d’avions de combat (retrofit), dans lesquelles Sagem dispose d’un leadership mondial face notamment à l’Israélien Israeli Aircraft Industries (IAI), aient été quelque peu délaissées par la Direction Générale de Safran. C’est non seulement une activité industrielle intéressante mais aussi un formidable vecteur de pénétration pour la France si nous espérons un jour vendre nos avions d’armes. Nous touchons là à nouveau à une question de doctrine : nous pensons que c’est par la modernisation des avions d’armes de nos clients (Mirage F1, Sukhoi, etc.) que nous pourrons leur vendre un jour des avions d’armes neufs. D’autres en France pensent le contraire. Résultat : ce sont les concurrents qui modernisent à notre place et nous ne vendons pas plus d’avions d’armes neufs. Sachez que Sagem Défense gère un parc de plus de 400 avions d’armes modernisés par elle, notamment au Pakistan par exemple.

 

CK : Le groupe Safran a déclaré vouloir réaliser à terme 20% de son activité dans le domaine de la sécurité ? A quelle activité pense t-il ?

 

Il faudrait que vous posiez la question au Président de Safran ! Pour notre part, nous pensons qu’un renforcement important dans le secteur des cartes à microprocesseur serait une bonne opération. Dans le domaine des terminaux de paiement, l’opération d’apport de Sagem Monetel à Ingenico a été une réussite. Le groupe Safran détient une participation de l’ordre de 25% dans Ingenico qui a vocation a être cédée pour être réinvestie dans d’autres domaines, comme par exemple la carte à microprocesseur que je viens de vous citer. Cette activité de terminaux de paiement d’Ingenico ne revêt pas de caractère stratégique, ni pour le groupe Safran, ni pour la France. Elle n’appartient pas au secteur de la sécurité mais à celui de la monétique et des processus de paiement qui est un tout autre univers.

 

Sans vouloir remuer le couteau dans la plaie, Thales n’a pas su gérer et développer ses différentes activités de sécurité, pour bâtir des positions stratégiques comme l’a fait Safran dans l’identification et la détection d’explosifs. Certaines de ces activités sécurité de Thales pourraient également être concernées par l’échange d’actifs en cours, et venir rejoindre et renforcer celles de Safran Morpho.

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