Note RP Defense: ajout des liens dans le texte par mes soins
14.02.2018 Assemblée Nationale
M. le président Jean-Jacques Bridey. Au vu des indiscrétions parues dans la presse hier comportant des éléments très détaillés et très précis du rapport de nos collègues Marianne Dubois et Émilie Guerel, j’ai proposé, avec leur accord, que l’examen dudit rapport soit avancé ce matin. Je tiens à les remercier pour le travail effectué. Nous nous sommes rencontrés à plusieurs reprises au cours de vos travaux, pour échanger sur ce sujet, et je souhaite souligner la qualité de votre rapport. Au terme de cette réunion, il reviendra à la commission d’en autoriser la publication, ce dont je ne doute guère. Je rappelle que la composition de cette mission d’information assurait la représentation de l’ensemble des groupes siégeant dans notre assemblée, et je donnerai donc la parole aux membres de la mission d’information après votre intervention.
Mme Émilie Guerel. Le 12 septembre dernier, notre commission nous a chargées, Mme Dubois et moi-même, d’une mission d’information sur le service national universel. Nous avons été accompagnées, au cours des derniers mois, de représentants de tous les groupes parlementaires, et nous tenons à remercier les membres de la mission pour leur participation à nos travaux.
Au terme d’un travail de plusieurs mois, nous souhaitons aujourd’hui vous présenter un dispositif auquel nous croyons sincèrement. Il s’agit de la construction d’un « parcours citoyen » dédié aux jeunes Français de 11 à 25 ans, qui se déroulerait en trois étapes distinctes, et que nous vous détaillerons par la suite.
Ce service national a été conçu pour que les jeunes Français l’identifient comme un réel parcours de citoyenneté, sur plusieurs années. Les dispositifs qui existent actuellement, tels que l’enseignement de défense dans le cadre scolaire et la Journée de Défense et de Citoyenneté, sont aujourd’hui trop peu identifiés et valorisés par les jeunes. Ils ne font pas réellement naître en eux un sentiment d’appartenance fort, ni une volonté sincère d’engagement pour leur pays.
Nous souhaitons que les jeunes Français deviennent des citoyens actifs ; c’est pourquoi, nous voulons leur proposer un parcours mieux fléché, simple à identifier et à comprendre, qui leur donnerait un vrai bagage de citoyenneté afin qu’ils aient envie de s’engager ensuite pour leur pays.
Nous en sommes convaincues, le service national que nous proposons peut être une réussite, un moment attendu des jeunes et de leurs parents, reconnu par la société, valorisé dans les parcours universitaires et professionnels, utile à l’émancipation de nos jeunesses.
L’objectif est de pouvoir compter sur des jeunes Français désireux de poursuivre leur engagement au sein de la société, à l’issue de leur parcours citoyen.
La question du service national dépasse bien évidemment le seul champ de compétence du ministère des Armées et de notre commission. Aussi, afin d’arriver à ces conclusions, nous avons reçu des représentants des autorités militaires, des représentants du monde de l’engagement civique et citoyen, du monde de l’éducation et de l’enseignement, de la mémoire, de l’insertion, des chercheurs et, bien entendu, des représentants des jeunes.
Nous avons également effectué plusieurs déplacements ; à Brétigny-sur-Orge, sur le site de l’un des centres du service militaire volontaire ; dans le Var, à la rencontre de jeunes engagés dans des parcours de cadets de la défense ; dans le Loiret, où nous nous sommes entretenues avec des volontaires en service civique engagés au sein de la Croix-Rouge française, avec des responsables d’établissements scolaires ou encore avec les services de la direction du service national et de la jeunesse du ministère des Armées.
Au total, nous nous sommes entretenues avec une centaine de personnes.
C’est fortes de l’ensemble de ces avis et de ces témoignages recueillis, que nous vous présentons aujourd’hui nos préconisations afin de refondre le service national universel.
Avant de vous présenter les détails de nos préconisations, je souhaiterais rappeler le cadre actuel d’exercice du service national.
La loi du 28 octobre 1997 sur la réforme du service national n’a pas simplement suspendu la conscription. Elle a fixé un nouveau cadre législatif qui s’est progressivement étoffé, notamment par la loi de 2010 relative au service civique.
Le service national existe déjà, en l’état actuel du droit, il comprend des obligations et des dispositifs reposant sur le volontariat.
Concernant les obligations, le service national prend en fait la forme d’un parcours constitué de trois étapes : l’enseignement de défense dans le cadre scolaire, le recensement à l’âge de seize ans et l’appel de préparation à la défense, devenu la journée de défense et de citoyenneté.
De manière générale, comme je l’ai déjà évoqué, ces obligations ne semblent pas avoir eu les effets escomptés. En effet, l’enseignement de défense forme un ensemble divers et dispersé, ce qui ne facilite pas un apprentissage clair des notions de défense ; quant à la JDC, elle est devenue une journée un peu « fourre-tout », souvent décriée par ceux qui y ont participé.
Nos prédécesseurs avaient pressenti que la phase obligatoire du service national universel était un peu « légère ». C’est pourquoi ils ont intégré au service des formes d’engagement supplémentaires, afin de contribuer au renforcement du lien entre la Nation et son armée.
Au titre du code du service national, on compte ainsi les périodes militaires d’initiation ou de perfectionnement à la défense nationale, ainsi que différentes formes de volontariat, telles que le volontariat dans les armées, les volontariats internationaux ou encore le volontariat pour l’insertion.
Surtout, la loi du 10 mars 2010 a intégré au service national le service civique. Enfin, à l’initiative de Marianne Dubois et de notre collègue Joaquim Pueyo, la loi de 2017 relative à l’égalité et à la citoyenneté a permis d’intégrer un nouveau chapitre dédié aux cadets de la Défense. En tant que députée du Var, où six centres de cadets ont été ouverts cet été, je ne peux que saluer cette décision.
Le service national universel se décline donc aujourd’hui sous différentes formes. Mais d’autres dispositifs participent aussi à la construction de la citoyenneté, renforcent le lien entre la jeunesse et les armées et contribuent à la résilience du pays.
On peut citer la garde nationale, la réserve civique, le service militaire adapté, le service militaire volontaire ou encore l’établissement pour l’insertion dans l’emploi. On en compte des dizaines, d’impulsion nationale ou issus d’initiatives locales.
Mme Marianne Dubois. Avant tout, quelques mots sur la manière dont nos travaux ont été conduits. J’ai travaillé en bonne intelligence avec Émilie Guerel et je dois dire que nos auditions nous ont menées au même constat. Pour moi, dont ce n’est pas le premier mandat, cette collaboration a été fructueuse et je dois remercier Émilie, car tout n’a pas été facile.
Sans polémiquer, on nous a mis des bâtons dans les roues. Il y a d’abord eu le fameux rapport inter inspections demandé par le Premier ministre en septembre, et dont nous n’avons pas pu lire la moindre ligne. Il ne s’agit pas d’un mépris de l’opposition, puisque vous l’aviez vous-même demandé, Monsieur le président, sans plus de succès. Il s’agit donc globalement d’un mépris du Parlement. Ensuite, un certain nombre de personnes ont cru bon de s’épancher dans la presse en commentant nos soi-disant recommandations ou en faisant des déclarations à l’emporte-pièce, sans avoir la moindre conscience des enjeux ni la moindre connaissance du sujet. Et, ces derniers jours, plusieurs membres de l’exécutif se sont laissé aller au jeu des petites phrases, créant une regrettable cacophonie gouvernementale. De là à penser qu’il y avait une tentative de sabordage, il n’y a qu’un pas.
Enfin, Monsieur le président, vous savez que je regrette que la remise de nos conclusions ait été décalée ; nous en avons parlé. Nous nous retrouvons donc à présenter notre travail entre la poire et le fromage, au milieu des auditions sur le projet de LPM. Tout cela est d’autant plus regrettable que notre rapport est prêt depuis le début du mois de janvier. Notre scénario est pragmatique, ambitieux, cohérent, construit à partir d’informations et d’un long travail sérieux, et non d’une promesse de campagne. Avec ce rapport, nous prônons le retour à la raison.
Revenons-en au cœur du sujet : pourquoi réformer le SNU ?
Chacun s’accorde sur les faiblesses du parcours mis en œuvre depuis 1997 et sur le manque de cohérence entre ses différentes étapes.
Il convient pourtant d’aborder ce débat de manière sereine, tant il est semé d’embûches.
En effet, le débat sur la refonte du service national universel se heurte souvent à deux mythes qu’il convient de dépasser : la dimension intégratrice du service militaire jusqu’en 1997 et le faible engagement de la jeunesse.
Je ne reviendrai pas en détail sur cette mélancolie que nombre de nos concitoyens éprouvent quant au « temps du service ». Notre rapport contient de longs développements à ce sujet. Il est certain que le service militaire n’a que très peu correspondu à ce que l’on entend parfois aujourd’hui. À la fin des années 1990, cela faisait déjà longtemps qu’il n’était plus vécu comme un rite d’entrée dans la vie d’adulte, mais plutôt comme une perturbation sur le chemin de celle-ci. Les femmes, les plus diplômés et les moins diplômés en étaient dispensés ou exclus.
De même, contrairement à ce que laissent penser de tenaces préjugés : la jeunesse française est engagée, plus qu’elle ne l’a jamais été. Alors bien sûr, cet engagement est parfois invisible, car mal compris par les générations plus anciennes. De plus, si des jeunes sont engagés, ce n’est pas le cas de tous les jeunes. Les études montrent bien une forme de reproduction sociale s’agissant de la pratique de l’engagement. Il n’y a là rien d’étonnant.
J’en viens donc à présent aux risques desquels se prémunir.
Premier risque : méconnaître les attentes des jeunesses de France et négliger l’importance de l’« acceptabilité » d’un SNU rénové par les intéressés et, pour les mineurs, par leurs parents.
Deuxième risque : détruire l’existant. Nous estimons que le nombre de jeunes de 16 à 25 ans investis dans des dispositifs d’engagement, hors bénévolat associatif, représente entre 20 % et 25 % d’une classe d’âge, soit entre 150 000 et 200 000 jeunes.
Il ne faudrait pas que la réforme du SNU ait pour conséquence de rayer d’un trait de plume les programmes utiles.
Troisième risque : la sous-estimation des conséquences de cette refondation pour les acteurs chargés de le mettre en œuvre. N’oublions pas que l’on parle de 800 000 jeunes chaque année !
J’en viens à présent aux objectifs qui devraient être ceux du futur service national universel. À nos yeux, il ne doit y avoir qu’un seul objectif : contribuer à former des citoyens au service de la cohésion nationale !
L’accroissement de la résilience du pays, le développement de l’esprit de défense, la diffusion d’une information quant aux droits et devoirs et les incitations à l’engagement participent en effet de la construction du citoyen, inséré dans la société, prêt à s’engager pour la défendre selon ses capacités.
La mixité sociale ou la réalisation d’une photographie d’une classe d’âge sont, quant à elles, des modalités pour atteindre cet objectif.
Telle doit être l’ambition du nouveau service national universel.
Mme Émilie Guerel. Alors comment atteindre cet objectif ?
Nul ne pouvant envisager sérieusement aujourd’hui le rétablissement de la conscription, nous avons étudié plusieurs scénarios, leurs intérêts et leurs limites.
Mais un seul a retenu nos faveurs : il s’agit de la construction du parcours citoyen.
Nous croyons profondément en un service national universel qui rassemble, qui est attendu et valorisé par tous les jeunes, par toute la société, que ce soit dans les parcours universitaires, personnels ou professionnels.
Ce parcours citoyen doit donner à nos jeunes les moyens de s’émanciper en tant que citoyens actifs, prêts à s’engager pour leur nation.
Pour cela, il faudra que notre dispositif respecte quelques critères essentiels.
– Premièrement, le nouveau service national devrait prendre la forme d’un parcours, afin de s’ancrer dans le temps et les esprits, plutôt que de compter sur un moment unique pour distiller un message qu’aujourd’hui nous sommes collectivement incapables de transmettre.
– Deuxièmement, il devrait conjuguer, d’un côté, une phase obligatoire et identique pour tous les jeunes, et de l’autre, une phase reposant sur le volontariat qui pourra prendre différentes formes.
– Troisièmement, il devrait commencer dès le début de l’adolescence, à l’âge où les jeunes sont encore sous l’autorité parentale et pour la plupart scolarisés.
– Quatrièmement, il devrait donner confiance aux jeunes sur leur capacité à être utiles à la société ainsi que sur la capacité du dispositif à leur être utile, à eux.
– Cinquièmement, il devrait valoriser les dispositifs existants qui fonctionnent et associer de multiples acteurs : l’éducation nationale, les armées, la gendarmerie et les pompiers, l’ensemble des administrations, le monde associatif et, plus généralement, les citoyens engagés au sein de la réserve civique.
Ce nouveau service national universel comprendrait trois étapes.
La première concernerait les jeunes de 11 à 16 ans et, plus spécifiquement, les « années collège ».
De l’avis de tous, un service national n’a de sens que s’il débute dès le plus jeune âge, au moment où les jeunes ont besoin de repères structurants, pour leur développement personnel et leur intégration sociale. Par ailleurs, pour réconcilier une partie de la jeunesse avec la République, il faut s’adresser à eux avant 18 voire 16 ans, quand les préjugés ne sont pas encore formés.
De plus, l’immense majorité des jeunes est scolarisée et nous sommes persuadées qu’il faut s’appuyer sur l’école pour déployer cette première phase.
En tant qu’enseignante, je tiens à indiquer tout particulièrement que, si nous préconisons d’intervenir dans le cadre scolaire, nous n’entendons pas faire reposer la charge de la mise en œuvre du service national sur les seuls personnels de l’éducation nationale.
Il ne s’agit pas non plus d’ajouter une mission à l’école. La transmission de connaissances doit demeurer la première des missions des enseignants.
Alors, pourquoi une nouvelle fois l’école ?
Parce qu’elle est le seul espace où l’on peut s’adresser à tous les jeunes, quelles que soient leur origine, leur situation matérielle ou physique. En visant les élèves scolarisés, on touche également les jeunes étrangers comme les jeunes en situation de handicap, qui pourraient être écartés d’autres dispositifs pour des raisons juridiques liées à la nationalité ou à l’accessibilité. L’école est, avec l’hôpital public, le seul lieu réellement universel en France.
Intervenir dans le cadre scolaire serait donc à la fois logique et pratique.
S’agissant de la phase obligatoire et identique pour tous, nous proposons d’abord de renforcer l’éducation à la citoyenneté dans le cadre scolaire, en réformant l’enseignement de défense afin de mieux l’identifier, le valoriser et l’évaluer.
Cet enseignement ne devrait pas être simplement « un enseignement de plus à inscrire au programme », comme l’écrivait Jules Ferry à propos de l’instruction civique.
Il devrait s’agir d’un enseignement dédié, évalué régulièrement par des contrôles et qui pourrait être inscrit en propre au programme du brevet.
Dispensé dès la sixième, il pourrait voir son programme étalé dans le temps, afin de lisser l’effort pédagogique, et comporter, davantage qu’aujourd’hui, des ateliers pratiques, des visites de sites et la participation à des cérémonies.
Parallèlement, nous proposons la création d’une semaine annuelle de la défense et de la citoyenneté, obligatoire dans chaque établissement scolaire de la sixième à la troisième, qui se déroulerait au même moment sur l’ensemble du territoire.
Cette semaine serait organisée autour de cinq modules : la défense et sécurité – la résilience - les droits et devoirs - la mémoire et l’engagement - ainsi qu’un bilan individuel.
Nous sommes très attachées à cette étape, car elle nous semble fondamentale et nous sommes persuadées qu’elle peut emporter l’adhésion des jeunes.
Une certaine liberté serait laissée aux chefs d’établissement pour concevoir un programme adapté au contexte local, en fonction des actions réalisables et des acteurs mobilisables.
En effet, cette semaine serait aussi l’occasion d’ouvrir l’école à des intervenants extérieurs, tels que des soldats et des gendarmes d’active ou des réservistes, des acteurs de la sécurité civile comme les pompiers, les associations d’anciens combattants et de mémoire, des réservistes de l’éducation nationale, des juristes, des étudiants en médecine ou des professions médicales, notamment.
Mme Marianne Dubois. Le défi consisterait à rendre cette semaine intéressante pour les élèves, pour qu’elle ne soit vue ni comme une corvée, ni comme une semaine de vacances déguisées à laquelle on peut prêter une attention toute relative.
Il conviendra aussi de veiller à ce que son déroulé soit adapté à l’âge et la maturité des élèves. Ainsi, tel ou tel module pourrait être davantage développé selon l’âge des élèves.
Cette semaine de la défense et de la citoyenneté constituerait une étape fondatrice du nouveau parcours de citoyenneté.
Revenant chaque année, elle incarnerait la réalisation concrète du service pour les jeunes et serait ainsi fondée sur une répétition pédagogique.
Mobilisant des personnes extérieures à l’école, elle permettrait de confronter les élèves à un contexte inédit, et serait aussi l’occasion d’associer l’ensemble de la société à la conduite de ce temps de cohésion nationale au service de nos jeunesses.
Reposant sur le cadre scolaire, elle garantirait aux élèves la sécurité qu’il incombe à l’État d’assurer.
Comportant des éléments théoriques et pratiques, elle permettrait de faciliter l’assimilation des connaissances, notamment grâce à des témoignages authentiques. Les jeunes y sont très attachés.
Que l’on ne s’y trompe pas, la semaine de la défense et de la citoyenneté n’a pas vocation à être « une semaine de plus ». Nous savons que près de cinquante semaines ou journées thématiques existent déjà. Elle ne saurait être assimilée à la quinzaine du foot citoyen, la semaine du goût ou à celle des mathématiques, de la marche et du vélo, à la journée mondiale de l’eau ou la journée des arts.
La semaine de la défense et de la citoyenneté serait consacrée par la loi. Codifiée dans le code du service national, elle constituerait une étape du service national universel.
À côté de cette phase obligatoire et uniforme, nous préconisons la mise en place d’un programme national de cadets de la défense et de la citoyenneté. Les classes de cadets constituent un complément du parcours de citoyenneté, salué par tous. Elles sont un temps fort de l’apprentissage de la citoyenneté, notamment par le brassage social et la vie collective qu’elles permettent. Les jeunes peuvent ainsi se familiariser avec le savoir être et les règles élémentaires de comportement en collectivité.
On ne compte pourtant aujourd’hui que quelques centaines de cadets. Joaquim Pueyo et moi-même avions proposé en 2015 de lancer un programme touchant 100 000 jeunes. Au-delà, il est indispensable d’accompagner la montée en puissance des dispositifs permettant aux jeunes adolescents de s’engager, dans le cadre scolaire ou non.
Il existe aussi une multitude de classes à projets, créées à l’initiative des personnels enseignants, comme les classes défense et sécurité globales ou les sections Croix-Rouge. Il faut saluer ce foisonnement d’initiatives sur les territoires, et à travers lui le dévouement du corps enseignant à la réussite de leurs élèves.
Nous sommes intimement convaincues que la première étape de ce parcours renouvelé serait la plus essentielle. Elle planterait la « graine de l’engagement » qui germerait par la suite.
Cette première phase du SNU, consacré à l’apprentissage de la citoyenneté, devrait selon nous trouver son aboutissement dans un moment emblématique se substituant à la JDC actuelle.
En toute logique, la deuxième étape du parcours toucherait les jeunes de 16 ans, en leur laissant la possibilité de la valider jusqu’à leur majorité.
De la même manière que la JDC, elle interviendrait postérieurement au recensement, qui demeurerait obligatoire et intégré au service national universel.
Cette deuxième étape se déroulerait également pendant une durée d’une semaine, afin de marquer la continuité avec la première phase du parcours.
Elle devrait selon nous répondre à plusieurs exigences :
– permettre un temps concret de l’engagement ;
– garantir l’expérience de la mixité sociale ;
– offrir si possible une occasion de mobilité territoriale.
Nous avons identifié deux scénarios possibles, chacune d’entre nous ayant ses préférences.
Mme Émilie Guerel. La première option serait celle d’une semaine en internat, qui permettrait aux jeunes de mettre en pratique les connaissances et les compétences acquises au cours des années précédentes. La solution en internat favorise la mixité sociale, et la vie en collectivité impose le respect de règles précises dont l’apprentissage concourt à une bonne insertion dans la société.
Les jeunes seraient hébergés dans les internats des lycées publics, qui sont la propriété des régions et sont majoritairement non occupés pendant les vacances scolaires. Surtout, ils offrent plus de 220 000 places, et plusieurs sessions pourraient ainsi être organisées pendant l’été pour accueillir l’ensemble d’une classe d’âge.
Le programme de cette semaine comprendrait des activités théoriques, mais également des activités pratiques, tels que le sport, des exercices de confinement et d’évacuation ou encore une mise en pratique des gestes qui sauvent.
Elle permettrait également d’organiser des échanges avec des acteurs de l’engagement afin d’inciter les jeunes à s’investir au service d’une cause.
Enfin, cette semaine serait l’occasion de conduire un certain nombre de bilans, tels qu’un bilan de santé ou un test de maîtrise de la langue française par exemple.
En somme, il s’agirait de consacrer un temps commun à cette « école de la fraternité » que souhaite le président de la République.
Je n’ignore pas les fragilités juridiques qui pèsent, en l’état actuel du droit, sur un tel dispositif.
En effet, les mineurs sont sous l’autorité parentale et il n’est pas possible de les contraindre, hors cas de sanction pénale, à l’internat. La Constitution n’autorise le législateur à imposer des sujétions qu’aux majeurs. Toutefois, l’obstacle constitutionnel pourrait être franchi par une révision de la Constitution. À ce titre, le président de la République a émis l’hypothèse de procéder à une révision en vue de mettre en œuvre le service national universel.
Mme Marianne Dubois. Vous l’aurez compris, je suis moins convaincue que ma co-rapporteure par une telle solution. Notre rapport évoque donc une seconde option : une semaine d’immersion au sein d’une structure à choisir parmi une liste d’acteurs publics et associatifs agréés, afin de vivre concrètement l’engagement.
Le code de l’éducation rend obligatoire la réalisation, pour tous les élèves de troisième, d’un stage d’observation en milieu professionnel.
De la même manière, les jeunes de 16 ans pourraient passer une semaine en immersion au sein d’une structure leur permettant d’exercer les connaissances et compétences acquises au cours des premières années du nouveau parcours citoyen.
Ainsi, à 16 ans, la semaine de la défense et de la citoyenneté prendrait la forme d’une sorte de « stage » à réaliser au sein d’une structure agréée et permettant d’expérimenter l’engagement en étant associés à la mise en œuvre d’un projet concret.
Le monde associatif constitue le premier réservoir d’opportunités pour accueillir ces jeunes. Mais ces périodes d’immersion pourraient aussi être réalisées au sein des armées, des collectivités territoriales, des administrations de l’État et, plus généralement des structures publiques agréées. Afin de faciliter l’absorption d’une classe d’âge – rappelons qu’il s’agit là de près de 800 000 personnes – il ne faudrait pas fixer de dates précises pour la réalisation de cette immersion. Elle devrait simplement intervenir entre la date du recensement et le dix-huitième anniversaire.
Un tel scénario présente d’après moi plusieurs avantages. D’abord, plutôt que de prendre la forme d’une nouvelle séquence informative, il permettrait de réellement placer les jeunes en situation d’agir et d’exercer des responsabilités.
En les associant à un projet, leur engagement serait ainsi palpable, et la formation reçue au cours des années précédentes prendrait tout son sens.
Ensuite, l’engagement auprès d’une structure professionnelle serait immédiatement une occasion de confronter les jeunes à une mixité sociale et générationnelle qui ne pourrait qu’être bénéfique. Je pense d’ailleurs que ces immersions pourraient s’exécuter de manière collective, par très petits groupes, de telle sorte que des jeunes ne se connaissant pas se trouvent à devoir collaborer.
Enfin, cette période d’immersion pourrait aussi être une occasion de se confronter à un univers territorial et social différent.
Quelle que soit la forme de ce « rite de passage », nous proposons que cette deuxième étape se conclue par une cérémonie officielle, présidée par un représentant de l’État, et soit l’occasion de remettre à chaque jeune un passeport citoyen recensant ses activités dans le champ de l’engagement.
Mme Émilie Guerel. Nous en venons enfin à la troisième étape, celle du jeune citoyen actif, de 16 à 25 ans.
Le scénario que nous imaginons pour ce troisième temps est plus incitatif et pourrait prendre plusieurs formes.
À l’issue des premières étapes du parcours citoyen, l’objectif est de pouvoir compter sur des jeunes qui auront envie de poursuivre avec conviction leur engagement pour la Nation.
L’approfondissement de l’engagement de la jeunesse au service de la société doit ainsi être l’aboutissement du service national universel. D’ailleurs, le président de la République ne disait pas autre chose lors de ses vœux aux Français, lorsqu’il avait affirmé : « Notre cohésion nationale dépend aussi de votre engagement. »
C’est pourquoi, nous proposons d’accompagner la montée en puissance de tous les dispositifs d’engagement dès 16 ans, tels que les préparations militaires, les jeunes sapeurs-pompiers, les engagements associatifs, le service civique ou encore la garde nationale.
Telle est notre conviction : il existe de multiples manières de s’engager au service de la Nation, comme il existe de multiples manières pour la Nation de s’engager au service de ses jeunesses. Or, à l’âge où les jeunes deviennent pleinement des citoyens, à l’âge où les uns et les autres sont confrontés à des défis radicalement différents, il serait malheureux de leur proposer un dispositif unique.
Convaincues que la contrainte serait contre-productive, nous proposons d’identifier les outils incitatifs afin d’accroître l’engagement des jeunesses de France au service de la Nation.
Mme Marianne Dubois. Trois pistes sont à explorer : l’accès à certains droits, la valorisation de l’engagement dans les parcours universitaires et sa reconnaissance dans les parcours professionnels.
S’agissant de l’accès à certains droits, l’engagement pourrait s’accompagner de droits en matière de formation. La réalisation de certaines activités pourrait donner lieu à l’alimentation du compte personnel de formation à hauteur d’un certain nombre d’heures, ou à la réalisation d’un bilan de compétences. De même, des aides à la vie quotidienne pourraient être offertes, en matière de transport ou de logement par exemple.
Concernant la valorisation de l’engagement étudiant, il s’agit avant tout de traduire les dispositions de la loi de 2017 relative à l’égalité et à la citoyenneté, qui impose aux établissements de l’enseignement supérieur de mettre en place une vraie politique en la matière. Nombre d’universités ont mis en place, dès le début des années 2000, des outils de reconnaissance de l’engagement, sous des formes diverses : unité d’enseignement attribuant des crédits ECTS, inscription au supplément au diplôme, octroi de bonus, etc.
Au-delà des parcours universitaires, il est indispensable de valoriser l’engagement dans les parcours professionnels. À l’exception peut-être du service civique, le bénévolat et le volontariat ne sont pas, ou peu, considérés comme des atouts que chacun peut faire valoir dans son parcours de formation ou d’insertion professionnelle.
L’engagement n’est pas toujours bien perçu par un employeur, susceptible de craindre qu’un employé engagé aurait moins de temps à consacrer à son travail. Ce phénomène touche les jeunes en recherche d’une première expérience professionnelle et, depuis longtemps, les réservistes des armées. Interrogés à ce sujet, les chefs d’état-major confirment l’existence d’un phénomène de « clandestinité » des réservistes, qui cachent leurs activités et posent des congés pour effectuer leurs périodes de réserve.
Le passeport citoyen pourrait aussi, en identifiant les compétences acquises lors des expériences d’engagement, permettre de promouvoir le CV par compétences.
De manière plus directe, il pourrait être envisagé de valoriser l’engagement pour l’accès aux fonctions publiques.
En guise de conclusion, je soulignerai combien ce parcours citoyen renouvelé présenterait, selon, nous plusieurs avantages.
Il permettrait d’associer de multiples acteurs, d’impliquer dès leur plus jeune âge les jeunes Français, de toucher l’ensemble de la jeunesse présente sur le territoire national, y compris les étrangers scolarisés en France. Il permettrait aussi de s’appuyer sur des infrastructures existantes, d’écarter la plupart des risques juridiques liés à la mobilisation d’une classe d’âge. Ce scénario propose un dispositif cohérent, inscrit dans la durée, et associe des éléments obligatoires et des éléments fondés sur le volontariat. Enfin, il aurait le mérite de présenter un coût raisonnable.
Surtout, ce nouveau parcours semble pouvoir emporter l’adhésion des jeunes. Toutes les études le montrent, la jeunesse est prête à s’engager ; il suffit de lui montrer la voie et de lui offrir les opportunités de le faire.
Notre pays a été frappé sans sa chair ces dernières années. Des jeunes ont été la cible d’autres jeunes. Les attentats commis sur le territoire national ont subitement et violemment mis en lumière une dislocation du lien fraternel au fondement de la République. Il aurait pourtant fallu détourner le regard pour ne pas pressentir depuis des années une forme de délitement du lien entre les citoyens et la Nation.
Dans ce contexte, l’engagement de tous au service de l’intérêt général, des autres et, in fine, de la Nation, est indispensable au renforcement de la cohésion nationale. Il s’agit d’un enjeu qui dépasse le seul service national universel.
Nous sommes convaincues que l’engagement doit être l’affaire de tous, du plus jeune âge jusqu’au plus vieux. C’est pourquoi le parcours citoyen n’a pas vocation à prendre fin à vingt-cinq ans, mais bien à se poursuivre tout au long de la vie.
(Applaudissements)
M. le président. Merci à nos deux rapporteures pour cette présentation très succincte et très complète. Je vais maintenant donner la parole aux membres de la mission d’information en commençant par M. Christophe Blanchet qui, en accord avec les rapporteures et les autres membres de la mission, a déposé une contribution personnelle.
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