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8 juin 2012 5 08 /06 /juin /2012 20:09

Syria

 

5 juin 2012 Vincent DESPORTES Officier, GDI (2S), Ancien Commandant du CID - magistro.fr

 

Le caractère décisif de l’appui apporté l’an passé par nos avions et nos hélicoptères aux troupes terrestres de la rébellion libyenne nous incite à reproduire le modèle pour faire cesser une situation qui choque profondément nos consciences. Après la Libye, faut-il donc intervenir militairement en Syrie ? La poursuite des atrocités plaide clairement en ce sens, les derniers massacres de Houla survenant après des dizaines d’autres. Cependant cette décision est trop lourde de conséquences pour être guidée par la seule émotion ; elle doit reposer non seulement sur le facteur humanitaire mais aussi, nécessairement, sur un calcul coût/bénéfice probabiliste. Puisque, dans tous les cas, il s’agit de rajouter initialement de la souffrance à la souffrance et de la violence à la violence, il faut que le bilan final ait toutes les chances d’être positif. La guerre - car il s’agit bien ici d’une guerre -, dont on sait que sa maîtrise nous échappe toujours dès lors qu’on l’a initiée, est une affaire trop sérieuse pour être lancée sans se poser au préalable les bonnes questions. Une intervention doit tenir compte des conditions et des conséquences de sa mise en œuvre et n’être, en tout état de cause, utilisée qu’en dernier recours, lorsque la situation est telle qu’elle ne puisse la rendre pire.

 

En premier lieu, la cause est-elle juste ? Assurément, et l’intention louable, puisqu’il s’agit de faire cesser les exactions meurtrières conduites par le Président Bachar Al-Assad contre son peuple.

 

Deuxième question importante, les effets seront-ils nécessairement positifs, toute guerre étant censée produire un état de paix meilleur que le précédent ? Ici, pas d’évidence absolue. L’exemple de la Libye nous incite même à la prudence. Certes, notre intervention a permis de gagner là-bas "la bataille" tactique. Certes, les chars de l’armée régulière de Kadhafi n’ont pas écrasé Benghazi, et l’ordre précédent est tombé. Mais pour quel résultat stratégique ? C’est en ces termes que se pose l’efficacité de notre engagement. Et la réponse est ambiguë. Aucun ordre politique stable n’émerge, les tribus du Sud se combattent, l’ordre est précaire à Tripoli, la Cyrénaïque affiche de fortes poussées d’irrédentisme… Plus au sud, le Mali s’en est trouvé totalement déstabilisé au profit des forces islamistes et les "répliques" du séisme libyen n’ont pas fini de se faire sentir. En Syrie, une intervention internationale ferait cesser momentanément les violations des droits de l’homme les plus fondamentaux, dont le droit à la vie, mais qu’en serait-il du "jour d’après" ? Aucune force politique syrienne n’est aujourd’hui en mesure de prendre le relais alors qu’elle constituerait l’indispensable condition de la réussite stratégique de l’opération. Une intervention extérieure ne peut en effet que "créer les conditions" pour l’installation d’un nouvel ordre : il faut que celui-ci soit prêt à émerger. L’instabilité post-intervention, hautement probable aujourd’hui, pourrait se propager très vite dans un Moyen Orient prêt à s’enflammer. Est-on certain d’ailleurs de ne pas remplacer un mal par un autre ? Est-on sûr que certaines communautés religieuses ne se retrouveraient pas dans une situation pire encore ?

 

Troisième interrogation, quelles sont les chances de succès ? L’armée régulière représente encore une menace, antiaérienne en particulier, très sérieuse ; rien à voir avec l’armée libyenne. Le théâtre syrien se prête infiniment moins que le désert libyen à l’expression de notre puissance militaire, puissance dont l’Afghanistan nous a montré la valeur toute relative.

 

Autre interrogation essentielle, les moyens sont-ils disponibles ? Notre armée manque cruellement, hélas, d’épaisseur stratégique ; elle s’est réduite comme peau de chagrin et peinerait à mettre en œuvre, dans la durée, les moyens suffisants pour une opération qui ne peut être considérée comme vitale. Nos finances sont exsangues et nous allons payer longtemps encore les surcoûts de l’opération Harmattan. Quant à nos moyens politiques, ils ne sont assurément pas illimités : comme toutes les guerres, celle-ci serait inévitablement plus longue que prévu et sa conduite à terme  - condition de sa légitimité - demanderait une patience politique qui ferait probablement défaut.

 

Il n’est pas vain, enfin, de s’interroger sur l’intérêt pour les Français d’une telle opération, seule légitimité à toute action gouvernementale. Certes, l’image de la France, son attachement aux grands principes démocratiques et humanitaires, sa crédibilité morale en font partie. Mais sont-ils suffisants pour justifier une guerre à un moment où la France doit affronter, pour elle-même, d’autres défis cruciaux ? Le fait d’être intervenus en Libye ne nous impose pas d’intervenir en Syrie. En la matière, chaque cas est un cas d’espèce, et le réalisme doit l’emporter sur l’impétuosité morale et nos propres données identitaires, même si le messianisme fait partie de nos gènes.

 

Il est à craindre aujourd’hui que la réduction de nos moyens militaires ne nous impose les conditions d’expression de notre volonté politique. Cette contrainte, de plus en plus prégnante, est assurément une leçon à méditer avant les prochaines réflexions budgétaires.

 

Paru dans Le Figaro, 2 juin 2012

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