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27 juin 2013 4 27 /06 /juin /2013 17:50
interfacebaltique crédits Europe Médiane, cartes et outils, Clés Atlandes, 1997

interfacebaltique crédits Europe Médiane, cartes et outils, Clés Atlandes, 1997

27 juin 2013 - par Jean-François Fiorina - notes-geopolitiques.com

 

Le 1er juillet prochain, c’est à la Lituanie de prendre la présidence tournante de l’Union européenne. À la même date, la Croatie en deviendra le 28e État membre. Symboliquement, ce moment consacre la réunion de l’Europe baltique et de l’Europe méditerranéenne dans un même espace économique et politique. La fin de la Guerre froide et l’indépendance des pays baltes ont contribué à faire évoluer la Baltique d’un monde en marge à celui d’une frontière entre mondes russe et européen. Espace à la fois maritime et politique multiséculaire, c’est en effet un lieu de compétition et de coopération entre puissances aux intérêts parfois divergents. À l’heure où l’Union s’agrandit, tandis que se pose toujours la question de son identité et de ses frontières, le médecin et historien Philippe Meyer revient dans son dernier ouvrage sur l’héritage légué par la Baltique. Il nous invite à nous interroger sur le modèle d’intégration régionale qu’elle propose. Un aspect essentiel et méconnu de la construction européenne et des enjeux géostratégiques qui lient le Vieux Continent à la Russie.

 

La Baltique tient son appellation de la mer du même nom. Elle devrait dès lors correspondre à un espace maritime semi-fermé qui engloberait les différents territoires riverains, qu’ils soient européens (les États baltes que sont la Lituanie, la Lettonie et l’Estonie ; la Finlande, la Suède, le Danemark, l’Allemagne et la Pologne) ou russes (l’enclave de Kaliningrad et la région de Saint-Pétersbourg). Mais force est de constater que la Baltique demeure un objet d’étude à la définition variable qui renvoie tantôt à une réalité géographique maritime ou politique large (le monde Baltique), tantôt aux seuls États baltes, adjoints ou non de la Russie et de la Finlande. Bref, la notion de Baltique fait la part belle au jeu des représentations géopolitiques.

 

Un enjeu stratégique pour la Russie

Géopolitique de la Baltique

 

La Russie bénéficie d’un double accès à la Baltique: au nord avec la région de Saint-Pétersbourg et ses terminaux portuaires (Primorsk, Vysotsk, Vyborg, etc.), au sud-est avec l’enclave de Kaliningrad. « La région baltique revêt pour la Russie une importance toute particulière, dans la mesure où elle a constitué à partir du début du XVIIIe siècle la façade maritime qui, comme l’avait souhaité Pierre Le Grand, l’ouvrait sur l’Europe », résume Arnaud Leclercq dans un livre remarquable consacré à la Russie aux éditions Ellipses. La zone est d’importance stratégique, tant d’un point de vue économique, politique que militaire.

Baltic 2013 Contrôles d’aéronefs russes. De haut en bas Mirage F1 CR, Sukhoi-27 Flanker et Sukhoi-24 Fencer au-dessus de la mer Baltique. Crédits photo EMA armée de l’Air.

Baltic 2013 Contrôles d’aéronefs russes. De haut en bas Mirage F1 CR, Sukhoi-27 Flanker et Sukhoi-24 Fencer au-dessus de la mer Baltique. Crédits photo EMA armée de l’Air.

Ancienne partie de la province allemande de Prusse-Orientale, la région (oblast en russe) de Kaliningrad fut octroyée à l’URSS en 1945. Elle a des frontières terrestres avec la Lituanie et la Pologne. L’enclave de Kaliningrad « occupe deux fonctions d’une importance majeure pour la Russie : une fonction économique puisque le territoire fournit 90 % de la production mondiale d’ambre et que Moscou nourrit à son sujet l’ambition d’en faire le Hong-Kong de la Baltique; une fonction de base russe sur la Baltique dont l’importance stratégique s’est accrue depuis la perte par Moscou des pays Baltes, perte qui a entraîné pour la flotte russe de la Baltique la fermeture de six bases militaires », décrypte Aymeric Chauprade, ancien directeur des études à l’École de Guerre.

 

La situation économique de Kaliningrad reste pourtant chaotique. La région est concurrencée par la politique portuaire de ses voisins et pâtit surtout de son exclusion de l’espace économique européen. Si de récents assouplissements en matière douanière et de circulation des travailleurs transfrontaliers ont été négociés avec l’Union européenne, ils ne concernent qu’une zone géographiquement réduite. Pour le Kremlin, Kaliningrad reste avant tout son poste le plus avancé à l’ouest, susceptible d’être remilitarisé si nécessaire. Plus au nord, la Russie ambitionne de faire de l’embouchure de la Neva un « Rotterdam de la Patrie ». Avec l’indépendance des États baltes, elle a en effet perdu ses meilleures installations portuaires et par là même une partie essentielle de son interface avec le monde extérieur. « La reconstruction d’un appareil portuaire national est donc une priorité à l’heure où les différents acteurs économiques tentent de promouvoir l’idée d’une Russie ‘pont’ entre l’Europe et l’Asie orientale », explique Pascal Marchand, professeur à l’Université Lyon II. Cinq nouveaux ports sont ainsi construits parallèlement à la modernisation des anciens.

 

La progression des frontières de l’UE et de l’OTAN en Baltique fait aussi de la région un sujet particulièrement sensible pour Moscou, ce qui se traduit notamment par des relations tendues avec les États baltes. La Russie a ainsi obtenu de l’OTAN que ses troupes n’y stationnent pas et de Bruxelles qu’elle leur impose de reconnaître les minorités russophones précédemment privées de la pleine citoyenneté.

 

Une simple région périphérique pour l’Union européenne ?

 

Face aux intérêts russes, les autres pays riverains de la Baltique semblent agir en ordre dispersé, et l’Union européenne ne pas percevoir cet espace comme stratégique. Il est vrai que si l’UE partage 2 244 km de frontières communes avec la Russie depuis l’adhésion de la Finlande (1995) et des États baltes (2004), elle ne constitue que le 3e partenaire commercial de l’Union, après les États-Unis et la Chine, avec lequel elle réalise 9 % de ses importations et 5 % de ses exportations. En revanche, l’UE est le principal partenaire commercial de la Russie. Cette dissymétrie, associée à l’importance des débouchés maritimes qu’offre la région à Moscou, explique pour partie la différence de représentation des enjeux géopolitiques baltiques.

 

Pour autant, l’Europe n’est pas inactive. « La Baltique a été la première macrorégion à faire l’objet d’une stratégie globale de l’UE. Lancée en 2009 par la Commission européenne, elle concerne les huit riverains ainsi que la Norvège, la Russie et la Biélorussie dans un but de clarification des coopérations locales », précise le Dictionnaire de géopolitique et de géoéconomie (Puf, 2011). Les priorités sont aujourd’hui articulées autour de trois axes majeurs: « sauver la mer Baltique », « désenclaver la région » et « accroître sa prospérité ».

 

En matière environnementale, qui concerne il est vrai tous les acteurs, la politique menée a permis d’obtenir des résultats encoura- geants. Outre la croissance exponentielle du transport maritime, l’objectif de prospérité économique et de désenclavement passe par des travaux d’infrastructures. La connexion terrestre de la Baltique repose ainsi sur « les projets Via Baltica (axe routier raccordant les États baltes à l’Europe centrale via la Pologne), Rail Baltica (liaison à grande vitesse entre Varsovie et les capitales baltes, voire Helsinki via un tunnel sous- marin) et Triangle nordique (ponts de l’Øresund depuis 2000 et du détroit de Fehmarn prévu en 2018) ». Quant à la question de l’approvisionnement énergétique, l’UE ne réserve pas à la Baltique un traitement spécifique. Il est vrai qu’elle pâtit dans ce domaine pourtant stratégique d’une absence de politique globale.

 

 

Géopolitique de la Baltique

Ainsi, les échanges d’hydrocarbures avec la Russie sont régis le plus souvent sur un mode interétatique. L’Allemagne s’est assurée de contourner à la fois les voies terrestre et maritime avec son projet de Nord Stream, gazoduc sous-marin reliant Greifswald et Vyborg, qui lui permet de sécuriser ses approvisionnements en provenance de Russie. Dans les États baltes, « l’hostilité à la Russie persiste et la présence de minorités russes importantes en Estonie et en Lettonie, tout comme le chantage énergétique dont peut jouer Moscou ne peuvent qu’attiser les tensions, ainsi lors du déplacement d’une statue commémorative des victoires de l’Armée rouge en Estonie ou lors de la cyber attaque qui a suivi contre ce pays », remarque Arnaud Leclercq. Le souvenir de la Seconde Guerre mondiale et surtout de l’occupation soviétique reste à bien des égards très présent dans les représentations politiques régionales.

 

La Ligue hanséatique, un modèle retrouvé pour l’Europe ?

 

Géopolitique de la Baltique

L’Union européenne manifeste un intérêt réel pour le modèle de gouvernance régionale. La bonne réalisation des programmes de coopération et l’intensité des échanges (de personnes et de marchandises) fait en effet de la Baltique une référence en comparaison d’autres espaces régionaux, à commencer par la Méditerranée ou le bassin du Danube. Les racines de cette « bonne gouvernance » sont-elles à rechercher dans le modèle de la Ligue hanséatique? Apparue au XIIe siècle, la Hanse était une puissante association marchande qui compta jusqu’à 200 villes, fondée sur la réciprocité des échanges. En exerçant un monopole sur le commerce maritime en mer Baltique, elle a pu jouer un rôle politique certain, qui n’a été contesté qu’à partir du XVe siècle, avec l’affirmation de la Russie continentale et de la Suède, et surtout après 1648 et la signature des traités de Westphalie. Pour Philippe Meyer, « la communauté hanséatique a été exemplaire par son esprit d’entreprise, son indifférence aux préoccupations nationales et aux divergences religieuses, et son pacifisme. [...] L’arbitrage et la négociation ont eu une priorité incontestable sur la guerre ». Et ce modèle hanséatique a survécu symboliquement à travers les centaines d’organisations régionales qui structurent l’espace politique de la Baltique avec un relatif succès.

 

« L’Union européenne s’est constituée sur la base de plusieurs fondamentaux qui sont communs avec ceux de l’Union du Nord. Elle est pacifiste, démocratique et sociale, mais sa mutation n’a pas été aussi profonde que celle du Nord », écrit encore Philippe Meyer. Le mode de relations développé au cours de la longue histoire baltique est fondé sur la recherche du consensus, essentielle pour assurer « une paix sociale solide ». Si la prise en compte par l’Europe de cette riche expérience a d’ores et déjà commencé, elle est cependant très récente. Ce n’est que depuis les années 2000 que la Commission européenne ou encore le Comité économique et social européen y font explicitement référence. La « redécouverte » de la Hanse est tout sauf anodine. Elle correspond aux velléités d’avènement d’un ordre « post-westphalien », promettant un « paradis post-historique » de paix et de relative prospérité. Une promesse au cœur du projet européen.

 

Pour aller plus loin

 

    Baltiques.Histoire d’une mer d’ambre, par Philippe Meyer,Perrin, 502 p., 26 €  ;

    La Russie, puissance d’Eurasie, par Arnaud Leclerq, Ellipses, 408 p., 24,40 €

    Atlas géopolitique de la Russie, par Pascal Marchand, Éditions Autrement, 88 p., 17 €.

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