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3 mai 2016 2 03 /05 /mai /2016 06:55
photo ONERA

photo ONERA

 

03/05/2016 par Alain Establier - SECURITY DEFENSE Business Review n°149

 

SDBR : L’ONERA va fêter ses 70 ans le 3 Mai 2016. Qu’est-ce qui différencie l’ONERA de 1946 et celui d’aujourd’hui ?

 

Bruno Sainjon : L’Office National d’Etudes  et de Recherche Aérospatiales (ONERA) a été créé le 3 mai 1946 par une loi votée à l'unanimité par l'Assemblée Nationale Constituante. Cette création s’inscrivait dans l’affirmation d’une politique ambitieuse visant à redonner, au sortir de la seconde guerre mondiale, à notre industrie aéronautique et à notre Défense leurs lettres de noblesse. Pour relever un tel défi, il convenait de donner à la France les moyens d’acquérir un haut niveau d’excellence scientifique et technique. C’est pourquoi l’Etat a notamment confié à l’ONERA, parmi ses missions, celles de développer et d’orienter les recherches dans le domaine aéronautique civil et militaire, de concevoir, réaliser et mettre en œuvre les moyens nécessaires à l’exécution de ces recherches et d’en favoriser la valorisation par l’industrie. Quinze ans plus tard, ces missions ont été élargies à la dissuasion et au spatial. Pendant 70 ans, l’ONERA a rempli avec succès l’ensemble des missions qui lui ont été confiées, dans des conditions parfois difficiles. Il est à l’origine de formidables réussites et relève, aujourd’hui comme hier, les défis de l’aéronautique et de l’espace du futur. Les personnels de l’ONERA peuvent, sans fausse modestie et très légitimement, s’enorgueillir du fait que la grande majorité des grands programmes civils et militaires qui ont donné à notre industrie et, à travers elle, à la France et à l’Europe, sa force technologique et économique actuelle, comporte une très forte dose d’« ONERA inside ». Tout cela n’aurait pu s’accomplir sans le haut niveau de compétences scientifiques et techniques des personnels de l’ONERA qui n’ont ménagé ni leurs talents, ni leurs peines pour hisser l’Office au meilleur niveau mondial. Aujourd’hui, nous mettons tout en œuvre pour que les réalisations futures soient à la hauteur de celles passées.

 

Quelle situation avez-vous trouvé à votre arrivée à l’ONERA mi 2014 ?

 

Comme il est d’usage, la Cour des comptes nous a communiqué fin-2014 un projet de rapport (rendu public en septembre 2015) sur les comptes et la gestion de l'ONERA de 2008 à 2013. Si l’ONERA y est reconnu pour la qualité de ses personnels et son excellence scientifique, la situation décrite par la Cour était pour le moins alarmante, même si les critiques formulées concernaient autant l’environnement de l’ONERA que l’Office lui-même. La Cour a ainsi estimé que l’Office souffrait de l’absence de réflexion stratégique, aussi bien sur son positionnement concurrentiel et le périmètre de ses activités que sur son organisation territoriale. «Le défaut d’implication de la tutelle (le MINDEF), les dysfonctionnements du conseil d’administration et l’insuffisance de l’évaluation scientifique ont notamment contribué à cet état de fait au cours de la période contrôlée» ont écrit les magistrats. Dans le nombre de points qu’il fallait résoudre, la Cour mettait en avant l’absence de plan stratégique scientifique (PSS). Avant la parution de ce rapport nous avions identifié ce manque et, dès septembre 2014, nous avons lancé une grande réflexion interne pour faire émerger, par les personnels eux-mêmes, des idées pour écrire l’avenir scientifique de l’ONERA. L’exercice a été mené d’abord par domaines scientifiques, puis a été complété progressivement par une vision transverse plus finalisée.

 

L’exercice collectif a t-il réussi ?

 

Oui, car début 2015 nous avons pu constituer 2 documents assez complets et même trop détaillés sur nos savoir-faire pour être diffusables hors de l’ONERA. Ils ont servi à Stéphane Andrieux, directeur scientifique général qui venait d’arriver, pour faire une réécriture du PSS synthétique et communicable à nos partenaires (DGA, DGAC, CNES, Dassault, Thales, Safran, Gifas, etc.) avec qui nous avons eu ensuite des rencontres bilatérales. Ces rencontres ont permis de recueillir leurs attentes et de les confronter à des groupes de collaborateurs et de grands anciens, ainsi bien sûr qu’à notre haut conseil scientifique. Le résultat de ce croisement vision interne / vision externe est un document de 60 pages intitulé «Plan Stratégique Scientifique 2015-2025». Ce document sera vivant et sera complété par des feuilles de route au fil de l’eau. En parallèle, j’avais noté dans mon tour de la maison qu’on me présentait de très nombreux sujets, où l’ONERA était souvent à la pointe des connaissances mondiales, totalement méconnus de l’extérieur y compris de nos partenaires publics ou privés. Pour transformer l’ONERA en maison de verre, nous avons lancé une enquête interne sur les pépites passées ou actuelles que nous pourrions montrer à l’extérieur. Le travail du chercheur d’or a ensuite consisté non pas à trouver des pépites, mais à sélectionner les plus remarquables pour arriver aux «39 pépites de l’ONERA» (contributions à l’industrie aérospatiale de la France et de l’Europe), regroupées dans un petit fascicule disponible sur notre site web**.

 

Est-ce que cela a permis de changer l’image de l’ONERA ?

 

Difficile de répondre sans instruments de mesure, mais mes interlocuteurs me disent que notre image a changé en bien, et c’est aussi ce que les médias écrivent. Cela en tout cas a contribué à rappeler nos missions, les enjeux et nos réussites. D’ailleurs, depuis un an et demi, 7 collaborateurs de l’ONERA ont été décorés de la Légion d’honneur ou de l’ordre national du Mérite, ce qui à mon sens fait partie des nombreux signaux de reconnaissance de l’apport essentiel de l’Office à la recherche française en matière d’aéronautique, de spatial et de Défense. Par exemple, le décollage d’Airbus en tant qu’industriel est dû en grande partie au succès de l’A320 et à son système de commandes de vol électriques, technologie provenant du militaire et issue de recherches menées  par l’ONERA. Autre exemple, les lois de guidage-pilotage de nos sous-marins nucléaires lanceurs d’engins ou du porte-avions Charles de Gaulle viennent d’une déclinaison des travaux de l’ONERA, à partir de ceux faits sur les avions d’Airbus. Qui s’en souvenait ? Nous échangeons d’ailleurs beaucoup avec DCNS en ce moment… Pour revenir à votre question de départ, ce qui est resté de l’ONERA des débuts c’est l’excellence scientifique. Ce sur quoi il faut être attentif, c’est sa capacité à continuer à disposer des meilleures compétences scientifiques et de personnels motivés, qui constituent son principal capital, et de lui redonner la capacité d’investissement dans les installations scientifiques nécessaires.

 

Quelles sont les grandes forces de l’ONERA ?

 

Tout d’abord, le fait de travailler à la fois sur le civil et sur le militaire, ce qui est le cas de peu d’organismes en Europe. La France a toujours défendu, en parfaite entente entre services de l’Etat et industriels, l’intérêt de ce domaine élargi ; il en est de même en matière de recherche. L’ONERA couvre tout le spectre, y compris la sécurité. Autre grande force, notre capacité, dans chacune de nos disciplines, à nous baser sur un triptyque théorie sciences connaissances / simulations numériques / expérimentations. J’y ajoute la capacité à avoir une vision transverse et à associer, dans les finalités, des personnes de différentes disciplines scientifiques. Il est indispensable, en recherche fondamentale, de préserver cette approche matricielle plutôt qu’une organisation en silos. Cette organisation a permis par exemple de développer, seuls et de bout en bout, un outil opérationnel de surveillance de l’espace: le système de veille «Graves»**. Nous travaillons aujourd’hui à la suite de ce système mis en activité en 2005 et opéré depuis par l’Armée de l’Air.

 

Pouvez-vous nous parler des retours des industriels à votre présentation stratégique scientifique?

 

Nous avons eu des retours de natures différentes. Certains industriels voudraient nous voir cantonnés à la recherche plus fondamentale, pour ensuite leur transférer le savoir et qu’ils prennent le relais. D’autres, comme Safran, souhaiteraient que nous allions très loin dans les TRL***, jusqu’à des démonstrateurs mis au point ensemble. Ceci n’est pas nouveau. Par exemple, concernant l’hélicoptère H160 d’Airbus (successeur du dauphin) et ses pales extrêmement profilées aux extrémités ressemblant à des boomerangs, cette innovation est née d’un contrat de recherche entre la DGA et l’ONERA (1994) pour diminuer le bruit des pales d’hélicos en améliorant leur portance. Après 8 ans de recherches entre DGA et ONERA, en progressant dans les TRL, le relai a été pris par la DGAC qui a financé la poursuite des travaux au couple ONERA / Airbus, pendant près d’une dizaine d’années, pour développer un objet industrialisable (l’ONERA a des brevets sur cette pale); l’ONERA s’est ensuite retiré pour laisser Airbus développer son produit industriel qui devrait entrer en service avant la fin de la décennie, soit environ 25 ans après les premiers travaux. Ceci pour souligner le temps qu’il faut pour passer d’une idée scientifique innovante, de rupture, à un produit de haute technologie commercialisable. Or, force est de constater que compte tenu des contraintes budgétaires,  les projets de court terme absorbent les financements au détriment de la recherche. Heureusement, le Ministère de la Défense, mais aussi de nombreux parlementaires, députés et sénateurs, se réapproprient l’ONERA aujourd’hui, comme le rapport de la députée Isabelle Bruneau le prouve  (http://www.assemblee-nationale.fr/14/budget/plf2016/a3115-tII.asp). 

  

Par rapport au DLR allemand, avez-vous des moyens comparables ?

 

L’ONERA compte aujourd’hui 1750 collaborateurs (il y en avait 2600 début 1990) et 250 doctorants. Dans le même temps, la partie aéronautique du DLR (centre  national  de  recherche  sur  l'aviation et  les  vols  habités  en Allemagne / Deutsches  Zentrum  für  Luft-und  Raumfahrt), qui ne travaille que sur le civil et qui s’appuie sur les services fonctionnels de l’ensemble du DLR, est passée entre 2009 et 2016 de 1277 à 1736 collaborateurs; les financements publics allemands vers le DLR sont passés de 110 à 160 millions d’euros, quand la subvention française vers l’ONERA était passée de 130 millions à 94 millions pour la construction du budget 2014. Depuis la subvention est remontée à 105 M€.

 

Vous avez noué des partenariats avec la SNCF et Total, en dehors de votre périmètre habituel. Pourquoi ?

 

Partager le fruit de ses recherches avec d’autres secteurs industriels fait partie des missions de l’ONERA. Ainsi, la SNCF s’intéresse à l’utilisation de minidrones pour surveiller les équipements et les infrastructures de son réseau. Dans ce domaine, l’ONERA dispose d’une expertise et de savoir-faire très développés. Vous savez qu’en 2015 le survol d’installations sensibles par des drones pirates a semé un certain émoi. C’est donc naturellement vers l’ONERA que les autorités, au premier rang desquels le SGDSN et la Gendarmerie Nationale, qui est en charge de la sécurité des centrales nucléaires et avec laquelle nous avons ultérieurement en 2015 signé un accord de partenariat, se sont tournées pour essayer de trouver des solutions. Nous avons donc évalué l’existant, puis un appel à projet interministériel a été lancé qui a permis de sélectionner 2 projets: l’un piloté par CS et l’autre (Angelas) piloté par l’ONERA. Nos travaux sont basés sur le couplage optique / radar, de façon à détecter et neutraliser le drone de la manière la plus automatisée possible. Angelas regroupe, autour de l’ONERA, EDF, Thales, Telecom SudParis, le CEA Leti, l'institut de criminologie de Paris et Exavision.

 

Comment qualifieriez-vous vos relations avec la DGA aujourd’hui ?

 

Elles sont en progrès par rapport à la situation que j’ai trouvée à mon arrivée. La DGA aussi est en train, progressivement, de se réapproprier l’ONERA et de redécouvrir collectivement ses compétences. Nous sommes ainsi en train de mettre en place, avec la DGA, des conventions qui feront de l’ONERA l’expert référent dans certains domaines: environnement optronique, environnement radar, etc. C’est dans ce même esprit que nous avons renoué en 2015 les relations avec la DGAC, ce qui a relancé notre collaboration sur certains domaines: feu, foudre, turbulences, etc. Par ailleurs, le ministre de la Défense, qui en exerce la tutelle, a réitéré son attachement à l’ONERA et aux enjeux stratégiques qu’il porte. De manière extrêmement tangible, avec la subvention exceptionnelle accordée en 2015 pour aider l’ONERA à équilibrer ses comptes et le financement de la consolidation de la soufflerie S1MA de Modane-Avrieux, la Défense a accordé à l’ONERA, entre 2015 et début 2016, près de 30 M€ supplémentaires.

 

Vous parlez de Modane, un mot des souffleries ?

 

Si nous voulons continuer à être capables d’installations du plus haut niveau mondial, comme c’est le cas aujourd’hui, opérant pour le compte de la Défense, pour les instances européennes, pour les industriels comme Dassault Aviation, etc., il faut que nos souffleries fassent l’objet d’importants travaux notamment de BTP, S1MA en était l’illustration la plus urgente. Je rappelle que 8 de nos souffleries, sur un total de 12 au niveau européen, ont été déclarées comme des facteurs clés de succès stratégiques par les industriels européens pour conserver le premier plan mondial. Si l’on veut qu’elles soient encore là dans 10 ans, il faudra que quelqu’un finance ces investissements. L’ONERA n’en a pas les moyens et ces 8 souffleries (dont S1MA) nécessitent 218 millions d’investissements, répartis sur 51 actions en 11 ans (source plan ATP 2014). L’Etat, entre la DGAC fin 2015 et la Défense début 2016, vient d’y apporter les premiers éléments de réponse. Il manque donc un peu moins de 200 millions, soit moins d’une vingtaine de millions par an… C’est finalement très peu pour rester leader mondial. Il ne parait pas aberrant que les industriels, qui ont eux-mêmes souligné le caractère stratégique de ces installations, contribuent, d’une manière ou d’une autre, à cet investissement qui leur sera indispensable dans le futur.  

 

* Bruno Sainjon est Président-Directeur général de l’ONERA depuis mai 2014. Auparavant il avait passé plusieurs années à la DGA sur différents postes.

** http://www.onera.fr/fr/pepites et http://www.onera.fr/dcps/graves

*** https://fr.wikipedia.org/wiki/Technology_Readiness_Level

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