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15 septembre 2012 6 15 /09 /septembre /2012 12:05
Retour sur les Universités d’été de la Défense

14/09/2012 Mer et Marine

 

 

Les 10 et 11 septembre, Brest accueillait les 10ème Universités d’été de la Défense. Initiées par Guy Texier, ancien président de la Commission de la Défense de l’Assemblée nationale, ces rencontres sont devenues incontournables pour tous les acteurs du milieu, qu’ils soient politiques, industriels et militaires. Et, cette année, elles avaient une importance toute particulière, au moment où débutent les travaux sur le nouveau Livre Blanc de la Défense, qui servira de base à l’élaboration de la future loi de programmation militaire couvrant la période 2014/2019. Près de 500 universitaires, dont des parlementaires européens venant d’une douzaine d’autres pays, ont donc planché durant deux jours sur de nombreuses problématiques. Il a notamment été question des enjeux de la maritimisation, de la priorisation des fonctions stratégiques, de l’avenir des forces nucléaires, de la cyber-défense, de l’évolution des équilibres géostratégiques ou encore des capacités industrielles souveraines. « Après un renouvellement du Parlement, un changement de majorité, l'Université était très attendue par l'ensemble des acteurs de la Défense. Alors que viennent de commencer les travaux sur le Livre Blanc, c'est un rendez-vous important. Ces débats de l'ensemble des acteurs du secteur, que ce soient les industriels, les personnels et, bien sûr, les parlementaires, seront un apport à cette commission du Livre Blanc », explique Patricia Adam, présidente de la Commission de la Défense de l’Assemblée nationale.

 

Mutation du contexte géostratégique

 

Depuis le dernier Livre Blanc, en 2008, le contexte géostratégique a bel et bien changé, nécessitant une mise à jour des enjeux de défense pour la France. L’ « Arc de crise », tel qu’il avait été défini il y a quatre ans, a évolué. Cette zone de risque s’est étendue géographiquement à l’Est et au Sud, mais elle est aussi de plus en plus diffuse. Certes, le Moyen-Orient et le Proche-Orient continuent d’être en proie à l’instabilité, avec les tensions persistantes entre l’Iran, Israël et leurs voisins, mais aussi l’éclatement de la crise syrienne et la fragilité du nouveau régime égyptien.

 

Le retrait américain d’Irak, qui sera suivi rapidement du désengagement en Afghanistan, posent également de nombreuses questions et suscitent des craintes quant à l’avenir dans ces pays. Le développement de la nébuleuse terroriste en Afrique, où des pans entiers de territoires, comme le Sahel, échappent désormais au contrôle des Etats, fait par ailleurs peser une nouvelle menace aux portes du sud de l’Europe. Il faut aussi tirer les leçons du printemps arabe, mouvement imprévisible qui a surpris par sa soudaineté et son ampleur la communauté internationale ; tout comme il faut tenir compte du recentrage américain vers la zone Asie/Pacifique, désormais centre de gravité de l’échiquier mondial. Et puis il y a les effets de la crise sur l’économie européenne et, in fine, sur la souveraineté financière du « Vieux Continent », sans oublier les menaces virtuelles, dont les conséquences potentielles peuvent être catastrophiques.

 

Anticiper les nouvelles menaces

 

En quelques années, la donne stratégique a sensiblement évolué, au sein d’un monde où, à l’instar de la communication, le temps s’accélère. Face à des évolutions toujours plus rapides et violentes, au développement de menaces moins identifiées mais plus diffuses, sans pour autant exclure la résurgence d’une crise majeure, l’outil de défense doit s’adapter. Et c’est un véritable défi puisqu’il s’agit d’un édifice particulièrement complexe dont la construction réclame du temps, des moyens, de la volonté politique et surtout des choix engageant sur le long terme, alors même qu’il est aujourd’hui bien plus difficile d’anticiper les évolutions futures et l’éclatement soudain de crises.

 

La situation est d’autant plus complexe que les menaces ne sont plus seulement « physiques », mais aussi virtuelles. Durant les Universités d’été, il a été notamment question de la Cyber-défense, un sujet qui commence, enfin, à s’inviter sur le devant de la scène. L’attaque de certains réseaux informatiques étatiques, notamment en Europe et aux Etats-Unis, comme les menaces pesant sur les réseaux financiers et même ceux de la défense, font prendre conscience de la vulnérabilité d’une société qui repose aujourd’hui sur des moyens de communication dont la sécurisation est, aux dires des spécialistes, très loin d’être optimale.

 

Les armées sont donc aujourd’hui engagées sur tous les fronts traditionnels, auxquels se sont ajoutés de nouvelles missions et l’élargissement du champ de bataille à l’espace et au cyberespace. A la lumière des engagements récents, la nécessité de renforcer les moyens de renseignement, par exemple spatiaux, afin de nourrir la connaissance et l’anticipation, une fonction stratégique, fait également consensus, tout comme la nécessité de sécuriser les réseaux. « Nous puisons dans l’espace et les moyens de communication une grande partie de nos moyens de communication et de notre supériorité technologique. Mais c’est aussi notre talon d’Achille », reconnait un général.

 

Des moyens adaptés à une nouvelle donne

 

La maîtrise du renseignement est en effet fondamentale pour anticiper l’évolution d’une situation, l’apparition d’une menace potentielle, la préparation et la réalisation d’une action militaire ou encore la sécurité d’une intervention. Mais c’est aussi un outil de souveraineté puisque le pays qui maîtrise son renseignement donne au pouvoir politique la capacité de juger seul du déroulement d’un évènement et de l’opportunité d’une action. L’exemple de la guerre en Irak, en 2003, serait de ce point de vue parlant. Des pays disposant de moyens de renseignement autonomes auraient, dit-on dans les milieux autorisés, su très rapidement que certains documents, présentés comme des preuves de la présence d’armes de destruction massive sur le territoire irakien, étaient falsifiées. De la parfaite connaissance d’une situation peut donc dépendre l’engagement ou non d’un pays dans un conflit.

 

Face aux menaces diffuses, par exemple le terrorisme ou les cyber-attaques de grande ampleur, qui pourraient paralyser le fonctionnement d’un Etat, les armées doivent disposer de moyens souples et réactifs, conjugués aux meilleures technologies. Et dans un format cohérent avec la dispersion géographique des menaces. Mais il faut bien sûr tenir compte du contexte budgétaire difficile et, autant que faire se peut, recourir à des moyens adaptés et peu coûteux. Pour la marine, par exemple, nul besoin d’une frégate de premier rang ultrasophistiquée pour mener des actions de lutte contre le narcotrafic ou la piraterie. Des patrouilleurs hauturiers simples, robustes et économiques, équipés d’une plateforme hélicoptère et de bons moyens de détection et de communication, sont largement suffisants.

 

Les moyens lourds demeurent essentiels

 

Pour autant, il ne faut pas négliger le haut du spectre, car les dernières crises montrent que les armées ont toujours besoins de moyens lourds et des capacités pour les projeter, avec une forte tendance à l’accélération du caractère interarmées des opérations. On pense évidemment à l’Afghanistan, à la Libye ou encore au Liban, où l’aviation et les hélicoptères, les blindés et l’artillerie, tout comme le porte-avions, les bâtiments de projection, ainsi que les frégates de premier rang et les sous-marins, demeurent essentiels. D’où l’intérêt des grands programmes permettant de moderniser les armées, comme les avions de combat Rafale Air et Marine, les hélicoptères NH90 et le Tigre, les VBCI (Véhicules Blindés de Combat d’Infanterie) et PVP (Petits Véhicules Protégés) ou encore le canon Caesar, et pour la marine les nouvelles frégates multi-missions (FREMM) et les sous-marins nucléaires d’attaque du type Barracuda, qui mettront notamment en œuvre des missiles de croisière offrant une capacité de dissuasion conventionnelle tout en permettant des frappes terrestres en profondeur. Dans un conflit moderne, ces outils technologiquement avancés donnent un avantage certain et leurs capacités accrues, comme leur polyvalence, permettent souvent de réduire les coûts de possession tout en compensant la réduction des formats. Le succès de leur emploi passe, en outre, par une organisation et une capacité de projection souples et réactives permettant de répondre aux crises actuelles. Géographiquement, il est important de conserver des forces pré-positionnées dans les zones sensibles (moyens navals, bases terrestres et aériennes), afin d’améliorer la réactivité de l’armée, même si le maillage actuel mérite sans doute d’être réexaminé.  Il convient, enfin, de rappeler que les matériels, si performants soient-ils, n’ont aucune utilité sans le savoir-faire des hommes qui s’en servent. L’effort consenti dans la préparation des forces et la qualité de leur entrainement demeurent fondamentaux pour assurer la disponibilité de l’outil militaire et son efficacité.

 

La pertinence de la dissuasion nucléaire

 

La dissuasion nucléaire a, aussi, été au programme des Universités d’été de la Défense. Si cette composante militaire ne sera pas remise en cause puisque le nouveau président de la République a décidé de son maintien, il convient d’expliquer pourquoi. Au-delà du fait que la force océanique et les forces aériennes stratégiques (FOST et FAS) viennent juste d’être modernisées ou sont en cours de modernisation (comme les sous-marins nucléaires lanceurs d’engins), ce qui ferait d’un renoncement une ineptie financière et opérationnelle, le maintien de la dissuasion constitue, simplement, une question de bon sens. Certes, la guerre froide est terminée depuis longtemps et, ces deux dernières décennies, le monde a surtout été marqué par des crises régionales de faible intensité (en dehors de l’Irak). Certes, on parle beaucoup de menaces de type terrorisme et cyber-attaques, contre lesquels un SNLE ou des avions de combat paraissent inutiles. Certes, en Europe, les populations jouissent depuis près de 70 ans de la paix - qui a d’ailleurs sans doute été acquise grâce à la dissuasion nucléaire, sans laquelle les deux blocs se seraient probablement affrontés au cœur de l’Europe – et pour lesquels la résurgence d’un conflit majeur semble impensable. Mais la réalité est que, dans les prochaines décennies, il serait très étonnant que le monde ne connaisse pas de guerre de grande ampleur. Or, si l’Europe semble préservée durablement des conflits sur son territoire, les citoyens ont probablement une fausse impression de quiétude. Car la mondialisation des échanges implique que ce qui se passe à l’autre bout de la planète peut, directement, impacter la vie quotidienne des Européens. Sans l’arme nucléaire, les Occidentaux ne pourraient, par exemple, pas dissuader aussi fortement l’Iran de miner le détroit d’Ormuz, par lequel passe plus de 30% des approvisionnements mondiaux de pétrole. Et, chacun en convient, mieux vaut éviter par la simple menace un conflit conventionnel qui serait très coûteux humainement et financièrement. Considéré comme l’assurance vie de la nation, la dissuasion a plusieurs facettes. Elle permet, c’est son origine, de dissuader un Etat de s’en prendre aux intérêts vitaux de la nation, puisque la riposte nucléaire serait automatique et trop coûteuse pour l’agresseur. Mais aujourd’hui, elle sert aussi à dissuader les pays soutenant le terrorisme ou menaçant d’employer des armes chimiques ou bactériologiques.  Ce fut le cas pour le régime de Saddam Hussein pendant la guerre du Golfe, où les Américains avaient très clairement annoncé la couleur, et c’est sans doute aussi vrai aujourd’hui pour la Syrie. On peut en tout cas se poser la question quand on entend le ministre français des Affaires étrangères menacer Damas de « réponse massive et foudroyante » en cas d’emploi d’armes chimiques.

 

Enfin, et c’est un point très important pour les années qui viennent, la dissuasion nucléaire met à priori la France à l’abri d’agressions, notamment liées à des prétentions territoriales. Car, dans la mesure où le format des forces conventionnelles a été considérablement réduit depuis 20 ans, cette « faiblesse » pourrait, sans la menace d’une frappe nucléaire, donner des idées à certains pays, par exemple sur les territoires ultra-marins, qui seront de plus en plus convoités en raison des richesses naturelles qu’ils abritent.

 

Les pays n’ont plus la capacité de tout faire seul

 

Le nucléaire demeure donc une assurance vie et un outil de puissance pour la France, mais c’est évidemment une capacité destinée à n’être utilisée qu’en dernier recours. Avant cela, le pays doit pouvoir proposer des réponses graduelles en fonction des situations, ce qui suppose un large éventail de solutions et de moyens conventionnels qui, contrairement à l’arme atomique, ont vocation à être utilisés en permanence. Mais la situation économique fait qu’aujourd’hui, même les grandes armées européennes, comme celles de la France et de la Grande-Bretagne, ont bien du mal à maintenir toutes les capacités requises. Parlementaires et militaires sont, d’ailleurs, convaincus pour la plupart qu’il n’est plus possible de « tout faire tout seul ». Et la crise va précipiter ce constat, en imposant des priorités. « Il faudra faire des choix », a ainsi prévenu Jean-Yves Le Drian, ministre français de la Défense. C’est pourquoi les coopérations initiées depuis de longues années seront amenées à se renforcer. Elles vont d’ailleurs dans le sens de l’histoire puisque les interventions purement nationales deviennent très rares, la nécessité opérationnelle et politique, ainsi que le cadre légal, imposant la plupart du temps des actions en coalition, comme ce fut le cas en Libye. Dans cette perspective, les militaires attirent l’attention du politique sur l’enjeu que représente l’interopérabilité des moyens avec des forces étrangères, non seulement au sein de structures traditionnelles, comme l’OTAN, mais également avec d’autres puissances émergeantes dont les standards peuvent être différents. « Le degré et la nature de l’interopérabilité nous positionnera au cœur ou à la périphérie des coalitions », prévient un général. De même, il convient sans doute de mieux intégrer la démultiplication des acteurs impliqués dans le dénouement des crises, qui ne sont pas uniquement des affaires militaires, mais nécessitent également des actions politiques et économiques, seules garantes d’une stabilisation durable. « La solution à toute crise  est ailleurs, c’est un problème de gouvernance, de développement, de société, de sécurité. Il s’agit d’une démarche globale qui doit être mise en œuvre immédiatement et nécessite un effort de structuration au niveau interministériel et national ».

 

L’Europe de la Défense avance

 

Dans les années qui viennent, la construction de l’Europe de la Défense sera, par ailleurs, totalement incontournable. S’il est vrai que cette nécessité est martelée depuis des années et que, malgré les grands discours, elle est confrontée à une forte inertie, la situation pourrait bien, désormais, évoluer rapidement. Malgré les problématiques de souveraineté et le protectionnisme des Etats membres envers leurs industries - pour des questions politiques et socio-économiques - l’Union Européenne a déjà fait de grands progrès dans ce domaine. La Politique Européenne de Sécurité et de Défense (PESD) contribue, ainsi,  à la mise en place des concepts et des structures politico-militaires au sein des institutions européennes, mais aussi au déploiement des opérations sur le terrain. Côté structures, l’Agence Européenne de Défense (AED) a pour but d'améliorer les capacités de l’UE, notamment dans le domaine de la gestion des crises, de promouvoir la coopération européenne dans le domaine de l'armement, de renforcer la base industrielle et technologique de défense de l'Union et de créer un marché européen des équipements de défense qui soit concurrentiel. Enfin, elle a pour mission de favoriser la recherche, en vue de renforcer le potentiel industriel et technologique européen dans le domaine de la défense.

 

Ces dernières années, de nombreux programmes européens ont vu le jour, comme l’hélicoptère NH90 et l’avion de transport A400M. Même s’il parait crucial, à la lumières des déboires rencontrés par ces programmes, d’homogénéiser les spécifications des nouveaux matériels pour éviter la démultiplication des versions suivant les désidératas de chaque pays (ce qui entraine des surcoûts et rend souvent les projets plus complexes, provoquant ainsi des difficultés d’intégration et des retards), il est évident que, sans cette coopération européenne, les Etats n’auraient pas eu les moyens de développer et réaliser seuls ces outils.

 

La crise pourrait faciliter les rapprochements

 

Et ce sera d’autant plus vrai avec la crise et les difficultés budgétaires, qui sont finalement vues par un certain nombre de parlementaires et de militaires comme une opportunité pour renforcer l’Europe de la Défense. « Les Européens n’ont plus le choix, ils vont être obligés de mutualiser et de partager des capacités », affirment un député et un officier général. Reste à savoir lesquelles. Actuellement, on pense évidemment aux capacités qui font défaut, comme les drones, ou encore les avions de transport et de ravitaillement. Mais ces perspectives suscitent encore des réticences au sein d’Etats membres, qui craignent de perdre la maîtrise de capacités stratégiques et, par là même, d’un pan de leur souveraineté. Néanmoins, force est de constater, à la lumière des dernières opérations, notamment en Libye, qu’aucun pays européen ne dispose plus, en permanence, de tous les moyens nécessaires pour répondre à une crise lointaine de moyenne ou forte intensité. Et même en se réunissant au sein d’une coalition, certaines capacités, comme on l’a vu en Libye, manquaient aux Européens, imposant une dépendance évidente vis-à-vis des Américains. « On dit qu’on ne veut pas partager la souveraineté mais j’ai d’énormes doutes sur le fait que nous ayons encore cette souveraineté. La question est plutôt de savoir comment recouvrer cette souveraineté », a ainsi lancé à Brest, devant les universitaires, un haut responsable européen.

 

L’UE a toutefois, et c’est une bonne nouvelle, démontré qu’elle pouvait mettre en œuvre des forces militaires cohérentes et sur la durée. C’est actuellement le cas avec l’opération Atalante de lutte contre la piraterie, qui mobilise depuis bientôt quatre ans d’importants moyens aéronavals dans le golfe d’Aden et l’océan Indien. Contribuant significativement à la protection du trafic maritime et donc des approvisionnements européens, l’action de cette force, qui travaille en coopération avec d’autres moyens internationaux (OTAN, Russie, Japon, Chine…) présents sur zone pour les mêmes raisons, est un succès et a obtenu des résultats tangibles contre les pirates. Mais Atalante, si importante soit-elle, ne constitue finalement qu’une « action de l’état en mer » à l’échelle européenne. Pour les opérations militaires majeures, l’Europe de la Défense n’a pas encore fait la démonstration de ses possibilités, passant même à côté de la crise libyenne, un conflit se déroulant pourtant aux portes mêmes de l’Union. A défaut d’entente entre ses membres, l’UE a donc laissé la gestion de la crise à l’OTAN, qui a assuré le commandement d’une opération dont l’essentiel des moyens étaient européens, avec une prédominance de la France et de la Grande-Bretagne.

 

L’OTAN et l’Europe de la Défense complémentaires

 

Ceci dit, pour beaucoup, l’OTAN et l’Europe de la Défense ne sont en fait pas concurrents mais parfaitement complémentaires. L’Alliance dispose notamment de structures de commandement dimensionnées pour les engagements majeurs et beaucoup estiment qu’il serait stupide de ne pas s’en servir. De même, l’OTAN permet aussi de mutualiser des moyens, comme c’est le cas avec un consortium de 14 pays assurant l'affrètement d’avions de transport dans le cadre de la solution intérimaire pour le transport aérien stratégique (SALIS). Il ne tient ensuite qu’aux Européens de s’accorder pour mieux faire valoir leurs intérêts au sein de l’Alliance et, ainsi, jouir d’une position plus équilibrée par rapport aux Américains. Ceux-ci n’y sont d’ailleurs pas forcément hostiles puisque, s’ils aiment logiquement conserver un leadership et faire valoir leur industrie, les Américains considèrent également, aujourd’hui, que les Européens doivent pouvoir assurer leur propre sécurité. Il est donc aussi dans l’intérêt des Etats-Unis, au moment où ceux-ci se recentrent sur la zone Asie/Pacifique et qu’ils sont comme les autres confrontés aux difficultés budgétaires, que l’Europe de la Défense devienne une réalité.  

 

La nécessaire entente politique

 

Malgré les difficultés, l’Europe de la Défense devrait donc amplifier sa marche, un mouvement inéluctable qui passera d’abord par des programmes d’équipements communs, des regroupements industriels (par exemple le projet de rapprochement annoncé cette semaine par BAE Systems et EADS), des mutualisations de moyens puis des partages de capacités, d’abord non souveraines, puis de plus en plus critiques. A terme, c’est toujours la construction d’une armée européenne qui est en ligne de mire, mais cette perspective ne pourra voir le jour que si les conditions politiques sont réunies. Car l’armée est un outil souverain par excellence et certaines capacités ne peuvent dépendre que d’un seul et unique exécutif. L’intégration de l’ensemble des capacités européennes passerait donc obligatoirement par la constitution d’une Europe fédérale avec à sa tête un exécutif unique. Cette approche se heurte encore à de nombreuses difficultés et réticences, chaque pays ayant sa culture et ses intérêts propres. Il faudra donc encore du temps avant d’en arriver là, de convaincre les opinions publiques et d’apprendre à édifier une Europe politiquement unie. Si elle se produit, cette évolution ne se fera d’ailleurs probablement pas à 27, mais d’abord au sein d’un noyau restreint d’Etats dont les visions, les intérêts  et les structures sont les plus proches. Pour l’heure, il s’agit encore de fiction, mais l’idée fait son chemin, renforcée par les déséquilibres géostratégiques et les coups de boutoir budgétaires liés à la crise. Et même si beaucoup d’Européens restent logiquement attachés à l’indépendance de leurs pays, ils sont de plus en plus nombreux à prendre conscience que, sans un nécessaire rapprochement, l’Europe sera condamnée au déclassement sur la scène internationale, avec toutes les conséquences politiques, économiques et sociales que cela suppose.

 

Car le monde n’attend pas après les dissensions et questionnements de l’UE pour muter et même, éventuellement, profiter de la naïveté européenne, bercée par un faux sentiment de sécurité lié à 70 ans de paix sur son territoire, par une croyance erronée en l’autosuffisance économique et le mirage historique des années de grandeur où les grands pays européens dominaient le monde. La réalité est bien différente et les pays émergeants poursuivent leur montée en puissance, qui se caractérise notamment par le développement des outils militaires. C’est le cas  de la Chine, du Brésil et de l’Inde, mais on constate aussi la volonté russe d’investir massivement dans le renouvellement de ses moyens militaires. Ces dernières années, on a constaté le renforcement de l’Asie du sud-est comme nouveau point de gravité de la géostratégie mondiale. Alors que la Corée du nord demeure très surveillée, les tensions se sont amplifiées entre la Chine et ses voisins, avec en toile de fond, la plupart du temps, des revendications territoriales sur des espaces maritimes.

 

La mer, enjeu majeur du XXIème siècle

 

Les Universités d’été de la Défense ont, d’ailleurs, très largement mis l’accent sur les enjeux maritimes, ce qui constitue une nouveauté en France. La communauté de défense et une part croissante des parlementaires semblent, enfin, prendre conscience de l’importance et des opportunités que représente la mer. Il s’agit, en premier lieu, d’assurer la protection des flux maritimes, vitaux pour le commerce international (90% des échanges passent par la mer) dont font par exemple partie, en dehors des biens de consommation, les approvisionnements en hydrocarbures, gaz et matières premières. Or, ces flux sont soumis à de nombreuses menaces, à commencer par celles pesant sur la liberté de navigation dans les passages stratégiques. Ainsi, un simple minage du détroit d’Ormuz, qui relie le golfe Persique à l’océan Indien, suffirait à couper la principale station service mondiale, déstabilisant du même coup toute l’économie. Dans cette perspective, la « diplomatie navale », s’appuyant sur la capacité de déploiement et de frappe d’une flotte, est souvent un outil crucial pour dissuader de potentielles actions touchant le commerce maritime. Il faut, aussi, compter avec le développement du terrorisme et de la piraterie, qui mobilisent de très nombreux moyens en océan Indien, au nord duquel transitent justement les navires marchands ravitaillant l’Europe et acheminant ses exportations en Asie. Les marines doivent également lutter contre le narcotrafic, dont les acteurs utilisent abondamment la mer pour alimenter le « marché » européen via la Méditerranée, l’Atlantique et les Antilles. Les flottes sont, par ailleurs, en première ligne devant la pression migratoire, qui ne cesse de s’accentuer entre le sud et le nord, sans compter les nombreuses missions de service public et d’action de l’Etat en mer qui leur sont dévolues. Sauvetage de personnes, assistance aux navires en difficulté, lutte contre la pollution, police des pêches… Tout cela représente, en France, environ un tiers de l’activité de la Marine nationale.

 

Ces missions, bien que cruciales, ne sont toutefois pas nouvelles, même si certaines ont une importance croissante, qui évolue au rythme des menaces inhérentes. Ainsi, avec le développement considérable et en augmentation constante des richesses transitant au large des côtes, la piraterie sera sans doute une problématique récurrente dans les prochaines années, non seulement au large de la Somalie, mais également en Afrique, en Amérique latine et en Asie.

 

Un potentiel de richesse considérable

 

 Ce qui est en revanche plus nouveau, c’est l’apparition, aux yeux de tous, du gigantesque potentiel économique que recèlent les mers et océans. D’abord, les énergies liées à la mer, qu’il s’agisse d’éoliennes offshores, d’hydroliennes, d’énergie houlomotrice, d’énergie thermique des mers et même, comme le propose par exemple DCNS, de centrales nucléaires immergées. Ce secteur, en plein développement, donne progressivement naissance à de nouvelles filières industrielles, pourvoyeuses de technologies et d’emplois. Le tout en répondant à la nécessité environnementale de diversifier le bouquet énergétique avec, notamment, des énergies renouvelables.

 

Et puis, il y a surtout les incalculables richesses que les fonds marins abritent en termes de produits énergétiques et de minerais. L’évolution de la technologie autorisera l’exploitation de gisements sous-marins toujours plus profonds, qu’il  s’agisse de réserves pétrolières, gazières ou minières, sans oublier le problème crucial des ressources halieutiques. Cela, au moment même où les ressources se raréfient à terre. L’enjeu est donc stratégique et il faudra protéger ces richesses, qui font l’objet de convoitises. Ainsi, quelques 77 pays, dont la France (notamment sur le plateau de Kerguelen, dans l’océan Austral), réclament aux Nations Unies une extension de leurs Zones Economiques Exclusives. Espace historique de liberté, la mer fait l’objet d’une territorialisation sans précédent et la course aux richesses marines provoquera inévitablement des conflits. Déjà, en Asie, les revendications sur la souveraineté d’îles et des ZEE afférentes sont une source croissante de disputes et d’incidents entre la Chine, le Japon et le Vietnam. Et cela ne fait que commencer, en Asie comme ailleurs dans le monde… 

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