Débutée le 26 mai dernier, la construction du second porte-avions britannique se poursuit en vue d'une livraison en 2019. En cours d'assemblage à Rosyth, en Ecosse, son aîné, le HMS Queen
Elizabeth, doit être lancé en 2014 et mis en service deux ans plus tard. Ce bâtiment a conservé le design initial du projet Carrier Vessel Future (CVF), avec sur l'avant un tremplin pour la mise
en oeuvre d'avions à décollage court et appontage vertical F-35B. Mais l'acquisition de cette version du Joint Strike Fighter (JSF) a été abandonnée fin 2010 par le gouvernement britannique, qui
lui a préféré la variante catapultée, le F-35C, adoptée par l'US Navy pour remplacer les F/A-18 Hornet existants. Ce changement brutal d'appareil a entrainé de lourdes conséquences pour le
programme des porte-avions britanniques et pour la Royal Navy. D'abord, il a été décidé, puisque les Harrier à décollage court et appontage vertical n'auraient pas de successeurs, de les arrêter
prématurément afin de réaliser des économies. En novembre 2010, les appareils ont été retirés du service, alors que le porte-aéronefs HMS Ark Royal a lui aussi été désarmé en janvier 2011.
Depuis, la Royal Navy ne dispose plus que de porte-hélicoptères, soit le HMS Ocean ainsi que le HMS Illustrious. Celui-ci, dernier des trois porte-aéronefs du type Invincible encore en activité,
restera en service jusqu'à l'arrivée du HMS Queen Elizabeth, qui sera lui aussi uniquement utilisé en tant que porte-hélicoptères.
Le futur HMS Prince of Wales (© : ACA)
Le changement de design implique de grosses modifications
Pour voir renaître la chasse embarquée britannique, il faudra donc attendre la livraison du HMS Prince of Wales, au mieux en 2019. Par rapport au planning initial, l'achèvement de ce bâtiment a
été retardé de trois ans, celle de son aîné ayant un an de retard. Un délai mis à profit des industriels menant le projet (BAE Systems, Thales et Babcock, réunis avec le ministère britannique de
la défense au sein de l'Aircraft Carrier Alliance - ACA) pour modifier les plans du Prince of Wales. Le remplacement du F-35B par le F-35C implique, en effet, de lourdes modifications par rapport
au design initial. A ce titre, les Britanniques ont sans doute pu bénéficier des travaux réalisés entre 2006 et 2008 avec les Français, qui projetaient alors de réaliser une version à catapultes
du CVF, dont le design avait légèrement évolué (avec des réserves d'espaces notamment) pour répondre aux besoins de la Marine nationale. Malgré tout, le passage du Queen Elizabeth au Prince of
Wales demeure un véritable challenge technique.
Le design du Queen Elizabeth (© : ACA)
Le design du Queen Elizabeth (© : ACA)
Le design du Prince of Wales (© : ACA)
Le design du Prince of Wales (© : ACA)
Il faut, en effet, supprimer le tremplin et mettre en place deux catapultes de 90 mètres de long, tout en installant une piste oblique dotée de trois brins d'arrêt et d'une barrière de secours.
Ces équipements nécessitent un réaménagement des locaux situés sous le pont d'envol afin d'installer la machinerie associée, par exemple les presses de freins. Par rapport au Queen Elizabeth, le
Prince of Wales demandera aussi plus de puissance, notamment du fait des catapultes, qui ne seront pas à vapeur mais électromagnétiques, comme celles des nouveaux porte-avions américains de la
classe Gerald R. Ford (type CVN 21). Par chance, les Britanniques avaient opté dès le départ pour la nouvelle turbine à gaz MT30 de Rolls-Royce, la plus puissante du marché, qui développe 36MW
avec, selon le motoriste britannique, des marges de progression appréciables. En dehors de ses deux turbines à gaz, le porte-avions disposera d'une propulsion intégrée tout-électrique (IFEP)
développée par Converteam, les deux lignes d'arbres dotées d'une hélice de 33 tonnes étant entrainées chacune par deux moteurs asynchrones. L'ensemble de l'appareil propulsif développera 80MW,
soit environ 50.000 cv sur chacune des deux lignes d'arbres, la vitesse du bâtiment devant pouvoir atteindre 25 noeuds.
Concernant la modification du pont d'envol, BAE Systems a développé à Warton un simulateur permettant de valider le nouveau design du Prince of Wales, notamment pour l'appontage des F-35C. Des
tests sont, notamment, réalisés avec des pilotes de F/A-18 américains, rompus aux manoeuvres d'approche et d'appontage sur les porte-avions dotés d'une piste oblique et de brins d'arrêt.
Le simulateur de Warton (© : ACA)
(© : ACA)
(© : MOD)
(© : MOD)
Un montage industriel complexe
Comme son aîné, le HMS Prince of Wales est réalisé en méga-blocs par cinq chantiers différents (les sites BAE Systems de Glasgow, Barrow et Portsmouth, ainsi que les sites Babcock
d'Appledore et Rosyth), les différentes sections étant ensuite acheminées par barge jusqu'à Rosyth, où Babcock procède à l'assemblage dans une vaste cale sèche réaménagée pour l'occasion et
surmontée d'un portique flambant neuf. D'une capacité de levage de 1000 tonnes, « Goliath », qui a été construit en Chine par ZMPC, est arrivé en Ecosse en mars 2011. Après la mise sur cale du
premier bloc, l'assemblage du HMS Queen Elizabeth a débuté en septembre dernier. Quant au bâtiment suivant, la découpe de la première tôle est intervenue en mai au chantier BAE Systems de Govan.
Au niveau des équipements, le programme suit également son cours. Rolls-Royce, qui a déjà livré les deux MT30 du Queen Elizabeth assemblées et testées sur son usine de Bristol, ainsi que les
hélices du bâtiment ou encore ses ailerons stabilisateurs, a annoncé hier que son site de Newcastle avait achevé les différents éléments des lignes d'arbres des bâtiments. Et le groupe travaille
déjà sur les turbines du Prince of Wales, tout comme Converteam sur les moteurs.
L'un des moteurs asynchrones fournis par Converteam (© : BAE SYSTEMS)
Turbine MT30 (© : ROLLS-ROYCE)
Les stabilisateurs du Queen Elizabeth (© : ROLLS-ROYCE)
Eléments de ligne d'arbres du Prince of Wales (© : ROLLS-ROYCE)
Eléments de ligne d'arbres du Queen Elizabeth (© : ROLLS-ROYCE)
Hélice du Queen Elizabeth (© : ROLLS-ROYCE)
Concernant la construction en méga-blocs, le montage industriel se révèle complexe et la réalisation dans un seul chantier aurait sans nul doute été plus efficiente. Mais cette répartition est
avant tout le fruit d'un compromis politique, le gouvernement souhaitant à l'occasion de se programme majeur, qui représente 10.000 emplois sur tout le territoire, fédérer les industriels
britanniques en vue d'impulser des rapprochements. Ce fut le cas avec le chantier de Portsmouth (anciennement Vosper Thornycroft puis BVT Surface Fleet) qui a été absorbé par BAE Systems.
Remorquage du bulbe d'étrave du QE en 2010 (© : ACA)
Blocs du Queen Elizabeth à Govan (© : ACA)
Morceaux de l'îlot avant du QE à Portsmouth (© : ACA)
Une partie de l'étrave du Prince of Wales à Appledore (© : ACA)
Méga-bloc du Queen Elizabeth en cale à Rosyth (© : ACA)
Assemblage du Queen Elizabeth à Rosyth (© : ACA)
La question des avions
Quant aux avions, les pilotes britanniques vont d'abord se faire la main sur un premier F-35B, sorti de l'usine américaine de Lockheed Martin en novembre et dont la réalisation
était déjà lancée lorsque le contrat a été modifié pour passer au F-35C. Offrant une autonomie et des capacités d'emport supérieures par rapport au F-35B, le F-35C doit être mis en service en
2018 au sein de la Royal Navy, alors que la Royal Air Force doit toucher au même moment va version conventionnelle du JSF, le F-35A. Mais les militaires britanniques craignent de nouveaux retards
dans le programme. Ce qui a poussé le mois dernier l'amiral Trevor Soar, ancien chef d'état-major de la marine britannique, à estimer qu'il faudrait envisager, au cas où, un avion de
remplacement, comme le Rafale français ou le F/A-18 Super Hornet de l'Américain Boeing. Dans tous les cas, la Royal Navy, privée durant une décennie d'aviation embarquée, devra recouvrer cette
capacité, ce qui prendra du temps. Pour y parvenir, les Britanniques comptent s'appuyer sur les Américains en ce qui concerne la formation des pilotes. Une coopération est également envisagée
avec les Français, mais plutôt sur les aspects d'entrainement, les pilotes français réalisant eux-aussi leur formation initiale aux Etats-Unis.
Premier prototype du F-35C (© : LOCKHEED MARTIN)
Premier prototype du F-35C (© : LOCKHEED MARTIN)
Prototype du F-35B (© : LOCKHEED MARTIN)
Les plus gros bâtiments militaires construits jusqu'ici en Europe
Longs de 280 mètres pour une largeur maximale de 70 mètres et une hauteur de 56 mètres entre la quille et la pomme de mât, les deux futurs porte-avions britanniques afficheront un
tirant d'eau de 11 mètres et présenteront un déplacement d'environ 65.000 tonnes en charge. Ils seront, tout simplement, les plus gros bâtiments de guerre réalisés jusque là en Europe. Dotés de
deux îlots avec deux « passerelles », une à l'avant dédiée aux manoeuvres nautiques et celle de l'arrière consacrée aux manoeuvres aériennes, les porte-avions disposeront d'un radar de veille
longue portée et d'un radar tridimensionnel. L'armement sera consacré à l'auto-défense rapprochée, avec des systèmes multitubes Phalanx et des canons télé-opérés de 30mm, complétés par des moyens
de guerre électronique et des lance-leurres. Il n'y aura pas à bord de missiles surface-air de type Aster, la Royal Navy se reposant sur les destroyers du type 45 (et la chasse embarquée pour le
Prince of Wales) afin d'assurer la protection des bâtiments à grande distance. Au niveau des installations aéronautiques, le pont d'envol aura une surface de près de 16.000 m² et disposera, sur
tribord, de deux ascenseurs d'une capacité de 70 tonnes capables chacun de supporter deux avions. Ces ascenseurs relieront le pont d'envol à un hangar, long de 160 mètres et large de 29 mètres,
capable d'abriter 20 avions.
Ces navires ont été conçus pour mettre en oeuvre 40 aéronefs, dont 36 F-35, avec un équipage de 1500 marins (dont au moins 700 pour le groupe aérien embarqué) et un état-major de 100
personnes.
(© : ACA)
Porte-hélicoptères d'assaut plus que porte-avions ?
Fin 2010, le gouvernement britannique avait, néanmoins, indiqué que le futur Prince of Wales embarquerait 12appareils du type F-35C. Ce chiffre avait beaucoup surpris les
observateurs compte tenu de son décalage avec les capacités d'emport réelles du bâtiment. En fait, cela pourrait tenir non seulement à une question de coûts, mais aussi à une évolution du concept
de porte-avions de la Royal Navy. Le futur Prince of Wales pourrait, ainsi, plus tenir du porte-hélicoptères d'assaut que de l'outil tel que conceptualisé jusqu'ici. Au sein d'une force
expéditionnaire comprenant ou non des transports de chalands de débarquement, le bâtiment aurait plutôt un rôle de projection de forces aéromobiles, avec une capacité très importante d'accueil
d'hélicoptères (une bonne trentaine) et de troupes (plus de 600 hommes) pour mener à bien des assauts héliportés dans le cadre d'opérations amphibies. Le groupe aérien, réduit à une douzaine
d'appareils, servirait alors uniquement à couvrir la force aéronavale et lancer quelques raids en mer ou sur la côte.
(© : ACA)
Ce ne sera que dans les années à venir que l'on saura ce que les stratèges britanniques comptent réellement faire du bâtiment. S'ils souhaitent utiliser le Prince of Wales comme un véritable
porte-avions, il faudra en tous cas que la Fleet Air Arm dispose au moins d'une cinquantaine de F-35C afin de couvrir les besoins opérationnels tout en prenant en compte les nécessités
d'entrainement et de maintenance. Il conviendra aussi de voir si les Britanniques, comme les Américains et les Français, achèteront des avions de guet aérien Hawkeye, ou bien s'ils continueront à
confier les missions d'alerte lointaine à des hélicoptères (actuellement des Sea King, un projet d'adaptation de Merlin étant aussi à l'étude pour leur succéder).