source Sirpa Air
29.01.2012 Par Pierre Tillinac Envoyé spécial en Afghanistan – sudouest.fr
En Afghanistan, sur la base américaine de Bagram, l'escadron drones vient de Charente. Et renseigne autant qu'il surveille
Sur les images, on voit très bien que les villageois ne lèvent pas la tête vers le ciel. Ils n'ont pas repéré le drone qui tourne au-dessus de leurs maisons quelque part en Kapisa.
À 4 kilomètres d'altitude, le drone, qui vole à 150 kilomètres-heure, filme tout ce qui se passe au sol. On voit un homme traverser la rue, longer un mur ; une femme étendre son linge ; un groupe
d'adultes pénétrer dans une maison. Le pilote à distance, que l'on appelle opérateur de drone, appuie sur un bouton. La caméra passe alors en mode infrarouge pour voir ce qui se passe sous les
arbres dans une vaste cour, à la sortie du village.
L'opérateur, qui appartient à l'escadron Belfort de Cognac, se trouve à Bagram. À une trentaine de kilomètres au nord-ouest du lieu exploré.
Bagram est un immense camp américain établi autour d'une piste d'où les F-15 décollent dans un bruit assourdissant qui fait trembler les murs. Une véritable ville de plus de 30 000 habitants,
militaires et civils.
Là, sur la Disney Drive qui fait le tour du camp, on pourrait se croire n'importe où en Europe ou aux États-Unis, avec des bouchons et des trottoirs bondés. 250 aéronefs sont stationnés sur la
base, qui totalise 145 000 mouvements par an, 400 par jour en moyenne.
Pas de guerre sans images
C'est ici que la France a déployé son système de drones en 2009 au profit des forces de la coalition, soit deux Harfang, engins dérivés d'un produit israélien, qui mesurent plus de 16 mètres
d'envergure. Capables de voler pendant 24 heures à une altitude plafond de 7 000 mètres, ils sont conçus pour intervenir jusqu'à plus de 1 000 kilomètres de distance de leur poste de pilotage.
Une performance certes, mais pourtant, à partir de 2020, ils pourraient être remplacés par une nouvelle génération de drones franco-britanniques plus efficaces et capables d'embarquer des
armes.
« Aujourd'hui, il ne peut plus y avoir de guerre sans images. Les drones s'inscrivent dans la compétence ISR (intelligence, surveillance, reconnaissance) et viennent en complément des clichés
fournis par les avions pilotés et les satellites », souligne le lieutenant-colonel Jérôme Serin, chef des détachements air et Harfang de Bagram et chef des opérations de l'escadron Belfort de
Cognac. Ce dernier a été officiellement créé en 2010 et constitue la seule structure « drones » de l'armée de l'air française.
Ils sont une vingtaine de militaires venus de Charente à Bagram, et une autre vingtaine, originaires d'autres bases françaises, complètent le détachement, essentiellement des techniciens.
Contrairement aux Américains, qui pilotent leurs drones depuis les États-Unis, la France a fait le choix de rassembler sur le terrain ceux qui sont chargés de conduire les missions et ceux qui
sont responsables de la maintenance de matériel.
Les missions opérées par les drones sont nombreuses. Il faut dire que, pesant plus d'1 tonne, ils sont équipés d'une caméra optique couleur et d'une vidéo infrarouge pour voir la nuit, ce qui en
fait un élément indispensable dans la surveillance des villages, la recherche d'engins explosifs improvisés ou encore l'escorte de convois. Et, depuis 2010, ils sont également dotés d'un système
Rover, qui permet de retransmettre directement les images prises par le drone en direction des troupes au sol. « Nous dialoguons ainsi avec elles par l'intermédiaire d'un système de messagerie
instantanée genre SMS, et nous pouvons aussi leur faire parvenir des images renseignées. » Ce sont des captures d'écran sur lesquelles les experts du détachement soulignent les points qui leur
semblent importants : un groupe d'insurgés, une cache d'armes, etc..
Bijoux technologiques
Une opération drone est donc un véritable travail d'équipe à trois, à savoir la coopération entre un opérateur de vol qui commande l'appareil et les capteurs embarqués, un interprète d'images et
un coordinateur tactique, officier du renseignement de l'armée de l'air, véritable chef de la mission. « Vous voyez, sur ces images, on ne peut pas encore reconnaître les personnes filmées »,
explique le capitaine Sébastien devant l'un de ses écrans sur lequel défile la vidéo d'un hameau afghan. « Mais plusieurs indices nous permettent de savoir si ces villageois peuvent être
considérés comme d'éventuels suspects ou pas : leur façon de s'habiller, de marcher dans la rue, de traverser un passage, etc. Chaque théâtre a ses habitudes. Mieux on les connaît, plus on est
efficace. » Lui a d'ailleurs déjà effectué trois séjours de deux mois en Afghanistan. Certains autres membres de l'équipe en sont à leur sixième ou septième opération à Bagram en trois ans.
L'information acquise via les drones fait partie de ce que l'on appelle du recueil de renseignements de premier niveau. Réinterprétée à l'échelon supérieur, elle est ainsi recoupée avec un
mélange de renseignement humain et électromagnétique.
Et si, pour parvenir à des résultats aussi précis, la discrétion des drones est un élément essentiel, ceux-ci ne doivent pas toujours être invisibles. « Ainsi, il y a quelques jours, nous avons
repéré un groupe d'insurgés qui préparaient une action. Aucune force d'intervention n'était disponible. Nous avons alors fait descendre l'appareil un peu comme un avion de chasse fait son show
force, et les individus, qui ont compris qu'ils étaient surveillés, se sont dispersés sans avoir pu agir. »
« Pouvant voler 24 heures durant, nos drones sont opérationnels de jour comme de nuit »