Nov 2012 - Général d’armée (2s) Jean-Marie Faugère - Groupe de liaison G2S
Les difficultés financières et économiques des temps présents ont des répercussions sensibles sur les appareils militaires des Etats membres de l’Union européenne. Elles incitent bon nombre de commentateurs ou d’hommes politiques à relancer la construction de l’Europe de la défense autour des concepts de mutualisation de moyens et du partage des capacités2, ce dernier sujet étant aussi associé à l’idée de spécialisation par pays pour certaines fonctions.
Cependant, il est nécessaire d’étudier au fond les conditions de mise en oeuvre de ces principes qui ne sont pas aussi aisées qu’il y paraît et surtout qui présupposent un accord politique durable entre Etats membres sur des hypothèses très variables d’engagements militaires. D’autant que ces concepts, présentés comme la seule réponse collective à la pénurie budgétaire, sont autant d’incitations à diminuer un effort déjà modeste au motif que mettant les ressources en commun, le besoin financier sera moindre et que le voisin pourvoira à ses propres déficiences. Alors qu’il faudrait dépenser au moins autant si ce n’est plus, mais ensemble, plus intelligemment. Ces idées prévalent aujourd’hui alors que les engagements militaires européens sont, somme toute, de faible ampleur, et qu’ils ne mobilisent qu’une part réduite, en théorie3, des moyens des armées. Mais qu’en serait-il si les circonstances imposaient l’engagement maximum dans le cadre de la défense collective par exemple (art. V du Traité de l’Atlantique Nord) ; il serait trop tard pour constater que la somme mutualisée ou partagée d’insuffisances consenties dans les jours paisibles, restait une insuffisance.
Il n’existe pas a priori de définitions précises de ces deux concepts :
- la mutualisation (pooling) de moyens ou de capacités semble impliquer la constitution de pool autour de moyens ou de capacités – c’est déjà moins clair dans ce dernier cas – mis en commun avec une structure bi ou multinationale de commandement ou de gestion qui leur soit propre, et dont la mise à disposition serait possible lors d’interventions par au moins deux, ou plus, nations volontaires. Par exemple, une flotte commune d’avions de transport comme c’est déjà le cas entre plusieurs Etats européens ;
- le partage de capacités (sharing) suppose, de son côté, une répartition préalable de capacités, plus que de moyens, parmi certains des Etats seulement, de manière à ce qu’une capacité soit détenue, in fine, au sein de l’Europe de la défense, les autres nations pouvant en faire l’économie. Par exemple, la capacité aéronavale détenue par les seules nations ayant acquis des porte-aéronefs. Ou encore la capacité à projeter un état-major de niveau opératif ou de composante d’armée4, au profit de la communauté.
- il pourrait exister un hybride de ces deux concepts avec la « mutualisation partagée », c’est-à-dire la mise en commun d’une capacité5 par certains Etats qui la détiendraient exclusivement.
Ces notions intéressent principalement des moyens existants ou des capacités déjà réalisées le plus souvent à faible niveau. Mais, l’intérêt devrait être soit de développer l’existant à un niveau plus conséquent (ravitailleurs par air, par exemple), soit de créer des capacités que l’ensemble des nations membres n’ont pas encore développées (neutralisation des systèmes anti-aériens adverses, par exemple).
Au delà de la faisabilité technique de ces mesures, toujours possibles entre appareils militaires, il reste à en apprécier la pertinence politique d’une part, et la plus-value opérationnelle, d’autre part.
Au plan politique, et en absence d’un exécutif européen qui n’existera qu’au terme d’une véritable union politique, la première question qui doit être posée a trait à la souveraineté nationale que chaque Etat est en droit de revendiquer encore, même s’il a accepté d’en abandonner d’autres pans6. La France, pour être très allante sur l’Europe de la défense, reste cependant très attachée à son indépendance en la matière et pas seulement en raison de la possession de l’arme nucléaire. Car, mutualisation et partage capacitaire impliquent, de facto, des abandons de souveraineté sur un outil par essence régalien. Ils signifient qu’un Etat n’a plus la totalité du spectre des moyens d’intervention et, qu’il sera par la suite dépendant d’un ou de plusieurs autres pays, certes membres de l’Union européenne, mais dont rien ne dit qu’ils partageront toujours les mêmes objectifs de politique étrangère ou la même appréciation des objectifs militaires à atteindre pour une intervention donnée.
Cette situation de dépendance mutuelle est déjà acceptée de manière implicite par bon nombre d’Etats européens qui ne disposent pas de la totalité des capacités militaires et qui tolèrent ainsi une limitation de leur liberté d’action et de leur capacité d’appréciation de situation. Certains d’entre eux d’ailleurs ne recherchent plus ni l’une, ni l’autre. Cette dépendance n’a pas été souhaitée pour elle-même ; elle s’est imposée du fait même de la réduction de leur appareil militaire, de la faiblesse de leurs investissements et aussi, il faut bien le souligner, du report sur l’OTAN de la responsabilité de la défense collective de l’Europe. A vrai dire, une telle abdication du pouvoir de se défendre en toute autonomie touche la grande majorité des membres de l’UE à l’exception du Royaume-Uni et de la France, même si leur liberté d’action est déjà obérée par la faiblesse de certains de leurs moyens ; au moins, ces deux nations ont-elles encore la capacité d’agir selon leur volonté nationale pour des opérations d’envergure limitée.
Aller plus loin en la matière et de manière concertée serait un pas supplémentaire dans l’interdépendance. On peut observer d’ailleurs que même l’OTAN pousse dans cette voie avec son concept de « smart defence ».
Mais, ces solutions, au-delà de l’aspect politique de souveraineté nationale7, posent des questions de nature juridique. L’Europe de la défense participe du volet intergouvernemental et non pas communautaire. Autrement dit, tout arrangement en ce domaine, sur une mutualisation de moyens, un partage de capacités, une mise à disposition de moyens d’un Etat auprès d’un ou de plusieurs autres Etats, relève d’accords politiques (traité, accord de défense, etc.) qui doivent être négociés au préalable et se montrer suffisamment précis quant aux modalités de mise à disposition : conditions d’emploi, règles d’engagement, règlement d’éventuels contentieux, partage des coûts (investissements, fonctionnement, paiements des soldes, etc.), opérations de maintenance, libre disposition selon la nature, le type de l’engagement, l’aire géographique, la durée supposée de l’opération… toutes données habillées d’un caractère largement aléatoire pour rendre extrêmement complexe la signature de tels accords.
Concernant l’aspect proprement militaire et opérationnel, ce n’est pas au moment de l’engagement qu’il faudra négocier entre Etats souverains les conditions de ces mises à disposition, sachant qu’un Etat pourrait être amené à mettre à disposition des moyens, ou à les refuser, alors qu’il aurait décidé de ne pas prendre part à l’opération envisagée par d’autres Etats membres. Imaginons que la composante de ravitailleurs par air franco-britannique ait vu le jour il y a quelques années comme certains le souhaitaient. Quelle attitude aurait été celle de la France dans le cadre de l’engagement britannique en Irak ? Aurait-elle consenti à mettre ses propres ravitailleurs mutualisés, avec leur équipage (ou sans ?), à disposition des forces aériennes britanniques ? Aurait-elle mis des conditions restrictives à leur emploi ? A-t-on réfléchit au conflit d’intérêt sur une opération partagée comme la Libye, par exemple, où France et Royaume-Uni auraient pu revendiquer au même moment l’usage de ravitailleurs en des lieux différents puisque le théâtre avait été « régionalisé » entre les deux pays ? Ne serait-ce pas un handicap opérationnel d’avoir à planifier des moyens tiraillés entre deux parties, au mieux8, obérant en conduite toute action d’initiative ou fortuite ou inopinée comme la guerre le requiert le plus souvent ? Aujourd’hui, certains moyens d’observation spatiale sont déjà « mutualisés » entre pays qui en disposent pour un temps d’emploi au prorata de leur propre investissement dans le programme. Mais, la définition des missions reste une prérogative nationale, de même que la propriété des images et l’exploitation des données demeurent du ressort de chaque nation. Dans ce dernier exemple, la mutualisation met un frein ou une limitation au partage capacitaire en même temps qu’elle ouvre des possibilités de conflit entre Etats contributeurs quant au moment, à la durée, à la zone géographique observée, etc., lors d’opérations.
Ces quelques exemples simples – on pourrait les multiplier - illustrent à l’évidence la nécessité d’avoir bien pesé au préalable les conditions de tels accords qui doivent être pensés dans les moindres détails. Si cela semble complexe entre deux pays, la difficulté ira croissante si davantage de nations sont impliquées dans ces arrangements. Et, si de tels accords venaient à se conclure sur des géométries variables de nations selon les capacités militaires retenues, on n’ose imaginer, avec 27 Etats membres9, la généralisation de ces principes vertueux en une combinatoire invraisemblable qui déboucherait inévitablement sur un imbroglio ubuesque d’accords intergouvernementaux, bi, tri ou multilatéraux dès lors qu’il s’agirait d’intervenir sur un scénario de crise – de guerre, pourquoi pas – avec les restrictions d’emploi10 toujours possibles qu’il faudrait bien prendre en compte, voire les retraits du dispositif de certaines nations avec leurs moyens mutualisés ou partagés, selon le cas… !
Autrement dit, s’ils sont politiquement souhaitables, il convient de bien mesurer la viabilité et la fiabilité militaires de tels accords et leur pertinence opérationnelle. Ces principes présupposent que l’Union européenne manifeste déjà la réalité d’une politique étrangère et la volonté d’actions communes. Cela demande une maturité qu’elle n’a pas encore atteinte aujourd’hui : le cas libyen l’a suffisamment démontré.
La mutualisation de moyens ou de fonctions (pooling).
Ce type de mesures peut être un rassemblement par les nations détentrices de moyens identiques ou dédiés aux mêmes fonctions opérationnelles qu’elles mettent en commun. Cette mutualisation pourrait aussi bénéficier a priori aux Nations dépourvues de ces moyens et de ces capacités lors d’engagements auxquels elles participeraient.
Il s’agit de mise en commun :
- des systèmes d’armes ou d’équipements,
- de systèmes de soutien dans la mesure où les équipements sont déjà le produit d’une coopération ou sont compatibles d’un même soutien ;
- de moyens comme les écoles de formation (de pilotes,par exemple) ou les centres d’entrainement spécialisés, les terrains de manoeuvre, etc.
La mutualisation implique déjà une communauté de moyens voire des équipements identiques, sinon elle ne sera que la juxtaposition de systèmes, sans réelle plus-value ou avec de moindres économies sur les soutiens par exemple (outillages et compétences différentes).
La mutualisation n’attente pas à la souveraineté, mais elle en limite singulièrement l’exercice. Elle amoindrit l’autonomie, car les moyens mutualisés ne peuvent, que pour une part qui risque d’être faible, être scindés ou être présents simultanément en deux endroits géographiques différents (par définition !). Elle implique un partage des coûts selon des règles précises qui prennent en compte, les investissements, les temps d’occupation ou d’emploi des moyens par l’une et/ou les autres parties, les opérations de maintenance et de soutien qu’elles soient partagées ou non.
La mutualisation est d’autant plus aisée que les matériels sont communs ou identiques ; ce concept devrait pousser à développer et à produire des armements communs en coopération. Elle demande que soient également mis sur pied des structures communes de commandement et de gestion des moyens11, ou alors celles-ci sont au départ attribuées à l’une des parties, au profit de tous.
Le concept demande aussi que la planification d’emploi soit établie à l’avance, et que, dans le cas d’un engagement opérationnel, les Etats, qui peuvent s’engager de manière différente ou dans des proportions diverses, aient prévu ce cas de figure ab initio ou que les procédures de mise à disposition ou de mise en oeuvre des moyens en soient clairement établies dans les documents fondateurs.
La mutualisation d’unités opérationnelles devrait répondre à des règles strictes comme celui d’un niveau minimum à ne pas dépasser. Français et Britanniques se sont accordés pour ne jamais descendre en dessous du niveau de la division concernant la mixité des forces terrestres ; c’està- dire que le dernier niveau à devoir rester homogène est celui de la brigade. La brigade Franco-allemande, de ce point de vue, ne répond pas à ce critère qui parait de bon sens lorsqu’il faut aller au combat ; l’obstacle de la langue, les particularismes nationaux, des comportements individuels et collectifs différents sont des obstacles rédhibitoires en situation de stress extrême et des causes de malentendus qui peuvent mettre en péril la vie des soldats et l’accomplissement de la mission. La BFA était à l’origine une construction purement politique.
Le partage de capacités opérationnelles (sharing) et spécialisation par pays.
Cette option, différente de la mutualisation des moyens, repose sur l’idée qu’une nation détient une capacité diminuée, ou ne la détient plus du tout, s’en remettant à une autre ou à un ensemble d’autres nations pour la compléter ou y suppléer. Elle est plus lourde et handicapante que la précédente option, car elle conduit à des abandons capacitaires par l’une des parties qui la rendent dépendante. Poussée à son extrême, cette option reviendrait à spécialiser certains Etats dans telle ou telle capacité.
L’accord politique qui fonde ce partage est plus fort également, car les conséquences sur la souveraineté sont évidentes dans la mesure où la capacité « partagée » est essentielle dans un engagement opérationnel. De fait, même en l’absence d’accord explicite, on peut estimer que certaines nations européennes appliquent déjà, par défaut, le partage capacitaire ; la Belgique ou les Pays-Bas ne sont pas capables de conduire de manière autonome une intervention militaire, ils ont admis en conséquence le principe de n’agir qu’en coalition.
Pour éclairer ce concept, il est plus aisé de s’appuyer sur quelques idées de partage capacitaire entendues au gré de discussions sur l’Europe de la défense. Par exemple, tel pays ne développerait pas de flotte d’hélicoptères lourds, ou de composante aérienne d’appui au sol ou de défense aérienne, ou de composante navale de guerre des mines. Là aussi, pour prendre en exemple la capacité aéronavale à partir de porteaéronefs, la majorité des nations en Europe n’en disposent pas. La vision extrême, déjà suggérée par le concept de spécialisation par pays, serait par exemple, qu’un pays abandonne toutes capacités aériennes, ou toutes capacités sous-marines, mais conserve celles d’intervention terrestre. L’absurdité de telles idées extrêmes ne serait atténuée que par l’existence d’un pouvoir exécutif commun entre des Etats consentant des abandons concertés.
Un moyen terme serait de ne consentir qu’un partage partiel de capacités, l’un des Etats la détenant au plus haut degré, l’autre selon un mode mineur ne lui permettant qu’une capacité autonome minimum d’intervention dans une opération nationale limitée.
Encore que, dans l’esprit des promoteurs du concept, il s’agit là encore d’engranger des économies. Donc, il n’est pas question qu’un Etat développe davantage qu’auparavant une capacité au motif que son allié l’abandonne et réciproquement sur les autres capacités ; sinon, où serait l’économie ?
La spécialisation par pays oblige les Etats à un accord parfait en termes de politique étrangère et d’intérêts à défendre. Car, il paraît difficilement concevable qu’un Etat décidant de ne pas participer – au plan politique - à un conflit ou un engagement opérationnel, mette à disposition ou soit contraint de mettre à disposition de son allié une capacité qui lui fait défaut, avec hommes et moyens alors que lui-même ne partage ni les buts politiques ou militaires, ni les risques encourus de l’opération.
On peut étendre aux systèmes de forces cette notion de partage (en excluant les capacités de « souveraineté », quoique la France ait tenté dans un passé récent d’ « offrir » sa dissuasion sur l’autel européen…). Ainsi, certains pays n’ont pas de troupes aéroportées ou d’unités de montagne. D’autres n’ont pas de capacités d’entrainement dans tel ou tel domaine. On pourrait partager aussi les capacités de formation ; la France, par exemple, a proposé également de former les parachutistes en Europe dans son école du Sudouest, ou les pilotes de tel domaine, etc., encore que dans l’état actuel de ces centres, leur dimensionnement repose sur la perspective d’un emploi strictement national. Dès lors, il faudrait envisager de développer des capacités d’accueil supplémentaires dont le financement pourrait poser problème comme la simple disposition de terrains ou d’infrastructures supplémentaires sur des sites qui ont déjà été aliénés ou réduits et qui n’offrent plus de possibilités d’extension….
En termes financiers, si les coûts d’investissement tombent chez chaque détenteur de la capacité - on ne voit pas pourquoi les autres Etats contribueraient alors qu’ils ont décidé de faire l’impasse sur la capacité en question – les coûts d’intervention et d’entretien devront a contrario être partagés au prorata de l’emploi (nombre, durée) par les Etats, sans exclure une participation à l’amortissement des équipements et des installations.
Ce concept apparaît difficilement applicable à deux nations, et davantage pertinent à plusieurs ; on a d’ailleurs fait remarquer plus haut qu’il était appliqué, de facto, par plusieurs Etats européens qui ont décidé déjà d’impasses capacitaires (c’est même le cas de la majorité des 27 pays de l’UE et… de l’OTAN) quand ils ne les ont pas toujours connues...
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Si ces concepts - mutualisation de moyens et partage capacitaire - apparaissent déjà largement acceptables, par défaut le plus souvent, à la majorité des Etats européens qui ont déjà renoncé à détenir les moyens de défendre de manière souveraine leur territoire et leur population contre une agression armée, ils se présentent d’une manière différente pour les deux pays de l’UE que sont la France et le Royaume-Uni, détenteurs de l’arme nucléaire. Leur application les conduirait inéluctablement à renoncer à leur indépendance de vues stratégiques et d’action militaire ; on en revient donc au problème politique qui doit être clairement posé. Le caractère irréversible de telles mesures doit bien être pris en compte, car, si l’abandon d’une capacité peut s’effectuer dans l’année, il en faudra des dizaines pour la recouvrer… Un Etat affichant des ambitions mondiales, ou même régionales, peut difficilement s’accommoder d’une telle politique de moyens militaires.
Remarque. La constitution d’une CJEF (combined joint expeditionary force) franco-britannique inscrite dans le Traité de Lancaster n’est pas, à proprement parler, une mutualisation d’unités, puisqu’elle sera constituée, à la demande pour une action donnée, d’unités terrestres – a priori du niveau brigade – de moyens navals et aériens qui ne sont pas affectés à titre permanent. C’est plutôt, une force commune interarmées selon un schéma comme les Européens le pratiquent… depuis vingt ans sur tous les théâtres où ils sont engagés ensemble.
En conclusion…
Il y aurait bien d’autres facteurs à prendre en considération sur ces questions souvent évoquées avec légèreté, en général dans l’unique perspective de diminuer encore l’effort de défense. Derrière ces idées, nous avons tendance à oublier que les forces de l’OTAN les mettaient déjà en oeuvre du temps de la guerre froide. A l’époque, il s’agissait pour les forces terrestres de mettre en commun de grandes unités de niveau corps d’armée, voire armée (la 1ère Armée !), comme l’étaient les moyens navals et aériens... La souveraineté nationale française, qui mettait sous commandement otanien sa 1ère Armée et ses moyens maritimes et aériens pour la plupart, gardait la face grâce à la gesticulation nucléaire – strictement nationale - qui aurait été le préalable à l’engagement des moyens conventionnels. Nous ne sommes plus dans un tel contexte stratégique et nos moyens ont changé d’échelle.
Cependant, il n’est pas contestable que les Européens doivent construire collectivement l’Europe de la défense. Il est un domaine exemplaire avec une plus-value opérationnelle évidente qu’il conviendrait de promouvoir avec une force politique renouvelée qui est celui des vraies coopérations en matière d’armement ; seule solution opposable dans l’instant à la mutualisation mais encore plus au partage capacitaire, préservant ainsi la souveraineté d’Etats qui ne consentent pas dans les faits à s’en remettre à un pouvoir supranational qui pourrait signifier la fin des nations en Europe.
La seule optimisation qui vaut dans l’état actuel de la réalité des Etats et de l’Union européenne, est celle de la communalité des moyens. Elle passe par des regroupements et des renoncements industriels au niveau national puis européen, par des volontés d’états-majors à développer et réaliser ensembles des systèmes d’armes communs (au sens large) avec leurs systèmes de soutien, et par une homogénéisation des procédures d’acquisition. Elle passe aussi par la concordance des calendriers d’équipement ou du moins la coordination des renouvellements d’équipements et une vraie volonté d’entente sur une même définition du besoin opérationnel. Si tout ceci était déjà effectif, un grand pas en avant serait prononcé et les gains financiers donneraient déjà des résultats substantiels. On ne peut nier dans ce domaine qu’une grande partie de la réponse appartient au monde industriel, mais aussi politique (par les adhérences et incidences politiques, économiques, sociales de ces questions, notamment).
Une réflexion politique paraît impérative sur tout ce domaine, car les implications sur l’avenir des Etats et des nations doivent être au coeur de celle-ci. Il faut considérer le rôle des armées et leur finalité au regard des menaces et des risques actuels ou futurs dans le cadre d’un emploi « européen », mais aussi strictement national (y compris à l’intérieur des territoires) et dans l’éventualité de la résurgence toujours possible d’une menace existentielle sur le pays qui exigerait l’emploi de tous les moyens disponibles pour l’engagement paroxystique… Cela veut dire que les armées ne sont pas considérées seulement comme un outil de police internationale, de politique étrangère ou comme l’argument d’un rang à tenir dans le concert des nations…
Notes
2 L’OTAN s’est aussi emparée de ce sujet avec les 46 propositions faites dans ce sens par son « Commandement de la transformation » (SACT de Norfolk).
3 Car, bien souvent, certaines capacités sont mobilisées à l’extrême (par exemple : le ravitaillement par air) et obligent alors à limiter le niveau de l’intervention et son ampleur
4 Comme le Corps de réaction rapide-France à Lille.
5 Comme le Corps de réaction rapide européen de Strasbourg.
6 Comme la monnaie.
7 Dont on peut s’étonner qu’il ne donne jamais lieu à débat national, ni à consultation populaire, alors qu’il s’agit ni plus, ni moins, que de la protection du territoire et de la population… !
8 Car le nombre d’Etats participant n’est pas limitatif.
9 Mais, même en restant sur un noyau dur d’Etats volontaires… qui sont, en général, ceux qui ont des vues précises de leur politique étrangère, et donc les plus difficiles à concilier sur des objectifs communs.
10 Telles les actuelles « caveat » en Afghanistan ou, dans un passé récent, en Europe centrale…
11 Comme le commandement du transport aérien (EATC) déjà effectif à Eindhoven (Pays-Bas).