Vue aérienne de la station radar américaine du réseau DEW à Point Lay en Alaska. (Photo: Sergent Donald L. Wetterman, US Air Force)
5 juin 2015 par Bastien Duhamel – 45eNord.ca
Alors que l’attention internationale se porte sur les points chauds du monde au Moyen-Orient et ailleurs, le continent le plus hostile de la planète est en passe de devenir un nouveau centre névralgique de l’espionnage international sur fond de revendications territoriales.
Si aucunes menaces militaires sérieuses ne pèsent actuellement sur le contient glacé et que le Conseil de l’Arctique incite les nations du Grand Nord à coopérer, dans le même temps, celles-ci se livrent pourtant bel et bien à une compétition pour repousser leurs frontières territoriales toujours plus prêt du pôle.
Dans cette course pour légitimer leurs revendications territoriales dans la région, les nations arctiques font de plus en plus appel à leurs services de renseignement au point de faire du continent arctique un nouveau carrefour de l’espionnage international.
La fonte des glaces se poursuit … et réveille des appétits confrontés au droit international
Selon une étude effectuée par le US. Géological Survey, les glaces arctiques renferment encore 13% du pétrole mondial et 30% du gaz non découvert ce qui représenterait une valeur approximative de 17.2 billions de dollars.
Un montant que ne manque pas d’aiguiser l’appétit des cinq nations riveraines de l’Arctique que sont le Canada, la Russie, la Norvège, les États-Unis par l’Alaska et le Danemark via ses possessions au Groenland.
La fonte des glaces s’accentuant, chacune de ces puissances entendent bien mettre la main sur ces énergies fossiles qui ne sont pas encore toute légalement attribuées. De plus, sur le long terme le contrôle d’une éventuelle voie maritime à travers le pôle arctique pourrait s’avérer très riche de retombées économiques.
Toutefois, le droit international a déjà posé des bases juridiques régissant le partage de ce trésor glacé. En vertu de la convention sur le droit de la mer de 1982, chaque nation doit venir prouver devant la Commission de délimitation de plateau continental des Nations Unies que ses revendications territoriales en arctique sont légitimes.
Sur les scènes domestiques respectives, cette lutte pour le contrôle des glaces arctiques encore libres de droit permet aussi d’expliquer la multiplication des discours nationaliste, voire populistes autour du thème la défense des souverainetés en Arctique. Une rhétorique que l’on voit fleurir aussi bien au Canada, qu’en Russie ou encore en Norvège.
Quand la bataille pour les ressources arctiques incite à l’espionnage.
Dans cette bataille juridique acharnée, tous les moyens sont bons pour venir gonfler les arguments de son plaidoyer devant les instances internationales. Cela peut passer par le lancement d’expéditions scientifiques (cartographie, prélèvements d’échantillons…) ou encore par la mise en avant d’une légitimité historique à l’image de Vladimir Poutine qui faisait valoir en 2013 «plusieurs siècles de souveraineté russe en Arctique».
Néanmoins, les procédures de requêtes devant les Nations Unies sont longues de plusieurs années de même que les explorations scientifiques sont compliquée à organiser et lourdes de préparatifs. Or, les grandes puissances qui bordent l’Arctique peinent de plus en plus à contenir leur avidité.
Dès lors, en marge des voies légales, les nations nordiques ont plus en plus recours à d’autres moyens pour prendre l’ascendant stratégique sur leurs voisins arctiques; le premier d’entre eux étant l’espionnage.
En effet, au cours de ces dernières années, les nations arctiques ont développé de véritables arsenaux de renseignement orientés vers le Grand Nord. Un moyen d’assurer la surveillance de leurs côtes septentrionales, mais également d’intercepter les communications étrangères et d’analyser les mouvements militaires et civils des autres nations dans la région.
Quand l’espionnage rencontre la technologie de pointe, l’espace arctique devient un véritable carrefour de l’espionnage international.
Imagerie satellite, drones de reconnaissance, centre d’interception des communications et autres sous-marins furtifs sont abondamment mis à contribution dans cette course aux renseignements au beau milieu de ces eaux glacées inhospitalières.
Symptôme d’une méconnaissance et d’une paranoïa réciproque, Russes et Occidentaux s’insurgent tours à tour contre cette hyperactivité de leurs services de renseignements respectifs dans la région arctique.
En décembre dernier lors d’une conférence de presse à Moscou, le général Viktor Bondarev, chef de l’armée de l’air russe annonçait avoir enregistré plus de 140 vols de reconnaissance «hostiles» dans la partie nord de la Russie en 2014 contre seulement 22 l’année précédente. Même son de cloche du côté de l’OTAN qui s’indignait d’avoir intercepté plus de 100 appareils russes, soit trois fois plus qu’en 2013.
Si le constat général est bien celui d’un accroissement significatif des activités de renseignement, il ne faut pas tomber dans une perception manichéenne de la rivalité russo-occidentale en Arctique; une erreur trop souvent rependue dans les médias et autres discours politiques.
En d’autre termes, comme l’explique James Bamford de Foreign policy dans un article intitulé «Frozen assets», en matière d’espionnage en Arctique, «Moscou ne fait rien que Washington ne fait pas lui-même. »
Une véritable course aux capacités de renseignement
Dans ce même article, James Bamford avance l’idée que de la même façon que Vienne était le carrefour de l’espionnage humain durant la guerre froide, il est juste de dire que l’Arctique est aujourd’hui devenu le carrefour de l’espionnage moderne.
En effet, nombreux sont les éléments qui semblent accréditer la thèse qu’un nouveau centre névralgique des activités de renseignement se noue dans l’espace arctique.
Toujours prompt à ressortir les bons vieux réflexes d’espionnage de la guerre froide majorés des capacités technologiques actuelles, Washington et le Kremlin se livrent à une surenchère de capacités de renseignement.
En mars dernier, le Kremlin avait effectué une véritable démonstration de forces en menant un exercice militaire de 5 jours d’une envergure sans précédent en Arctique impliquant 38.000 soldats, 50 vaisseaux et pas moins de 110 appareils aériens. Quelques mois auparavant, le chef du Centre national de la Défense russe, Mikhaïl Mizintsev, annonçait la construction de 10 centres radars à la frontière nord de la Sibérie.
Autre sujet d’inquiétude pour les chefs du NORAD, la Russie s’apprête à construite une base de drones située à seulement un peu plus de 600 kilomètres des côtes d’Alaska. Une fois achevée, cette base fera du Kremlin la seule puissance à pourvoir déployer une telle technologie de drones de surveillance dans les cieux arctiques.
Impliqués dans les questions arctiques via l’Alaska, les Etats-Unis fondent quant à eux l’essentiel de leur stratégie de renseignement sur les observations et analyses satellites. En effet, les satellites américains effectueraient plus de 17.000 passages au-dessus de la circonférence arctique chaque année.
En la matière, les renseignements américains peuvent compter sur leur base de Thulé au Groenland de laquelle ne répondent pas moins de 149 satellites fournissant une précision d’imagerie considérable.
Avantage comparatif dans cet arsenal arctique, Washington dépasse Moscou en capacités sous-marine avec 72 sous-marins contre une soixantaine pour le Kremlin.
Néanmoins, il semble que la Russie soit en passe de rattraper son retard technologique en la matière grâce aux nouveaux sous-marin de classe «Yasen» d’une furtivité inégalée et équipé de torpilles dont la vitesse peut excéder 200 nœuds.
Dans cette surenchère d’espionnage au Grand Nord, le Canada dispose lui aussi d’un atout de poids: une station d’écoute située dans les iles Ellesmere en Nunavut. Géographiquement plus proche de de Moscow que d’Ottawa, il s’agit de l’endroit habité en permanence le plus au nord de la planète.
Une position stratégique qui lui permet d’intercepter des communications et signaux des mouvements militaires russes en Arctique. En allié loyal, le Canada transmet bon nombre de ses données aux analystes de la NSA de son voisin continental.
Rappelons également que les Forces armées canadiennes tiennent chaque année depuis 2007 un exercice de souveraineté du territoire arctique canadien, l’Opération NANOOK. A cette occasion, les FAC y déploient également une équipe de contre-espionnage chargée de «détecter, identifier et réduire les menaces d’espionnage, de terrorisme, de sabotage » contre l’armée canadienne et ses infrastructures.
Par ailleurs, la grand projet de construction de 5 navires de patrouilles arctiques initiés par le gouvernement Harper n’est bien sûr pas innocent dans ce contexte et devrait venir compléter l’arsenal nord-américain en Arctique.
Alors que tous ses voisins revoient à la hausse leurs équipements de renseignement dans le Grand Nord, la Norvège entend, elle aussi ne pas être le parent pauvre de l’intelligence dans la région. Pour cela, elle a opté pour envoyer directement ses espions en mer.
En effet, en décembre 2014, la première ministre Erna Solberg a annoncé la mise en service en 2016 d’un vaisseau d’une valeur de 250 millions conçu dans le but de servir l’agence de renseignement norvégienne.
Il s’agit là du navire de patrouille arctique le plus techniquement élaboré au monde constituant «une pièce importante dans la poursuite des missions assignées aux services des renseignements» explique Kjell GrandHagen chef de l’intelligence norvégienne. Le «Marjata» sera capable de cartographier n’importe quelle activité militaire ou civile dans les zones arctiques proches de la Norvège.
À la lumière de ces observations, le constat global est donc bien celui d’une course aux capacités de renseignement en Arctique.
Tout semble indiquer que les moyens technologiques actuels ont non seulement changé les règles de l’espionnage tel qu’il pouvait être durant la guerre froide, mais ont permis de faire de du Grand Nord un nouveau carrefour mondial des activités de renseignement.
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