Cinquième et dernier épisode du reportage de Caroline Britz avec 80 marins, issus d'une vingtaine de spécialités différentes et de 42 unités de la Marine nationale, sélectionnés pour le stage
destiné à former les équipes de protection embarquées déployées à bord des thoniers français aux Seychelles. 80 hommes, de la petite vingtaine à la quarantaine passée, du matelot au major, qui,
pendant quinze jours, vont suivre un rythme intensif de formation, encadrés par des instructeurs issus du commando de Penfentenyo.
Petit matin sur le port de Brest. Sur un quai de la base navale, pas mal d'agitation autour des bâtiments écoles de la Marine nationale, la fameuse Ménagerie comme on l'appelle en raison des noms
d'animaux que portent ces navires. Quatre d'entre eux se préparent à appareiller pour deux jours d'exercice avec, à leur bord, les stagiaires des futures équipes de protection embarquée (EPE) et
leurs instructeurs commandos. « Ca fait du bien de retrouver la mer », murmure en souriant un jeune matelot stagiaire. Après une semaine de formation sur la base lorientaise des
fusiliers-commandos, les stagiaires vont désormais pouvoir mettre en pratique les différentes instructions qu'ils ont reçues.
Appareillage du bâtiment-école pour deux jours d'exercice(© : MER ET MARINE - CAROLINE BRITZ)
« On n'y va pas la fleur au fusil »
Et pour certain, comme Loïc, c'est l'occasion de franchir une échelle de coupée, ce qui ne lui arrive pas si souvent dans son métier. « Forcément, je suis dans les avions, moi ! » Le jeune homme
est mécanicien aéronautique, actuellement affecté sur une base aéronavale. Il parle avec passion de ses avions, mais il insiste sur le fait qu'il est avant tout marin. « Nos possibilités
d'embarquement sont réduites par rapport à nos autres collègues marins. Nous allons en mer uniquement lorsque nous avons une affectation avec le groupe aérien embarqué sur le porte-avions
Charles-de-Gaulle. Alors pour moi, faire partie d'une EPE, c'est aussi pouvoir partir en mer et en opération extérieure ». Loïc aime découvrir cet autre aspect de la marine. « J'apprécie d'être
dans un cadre militaire pur et dur, c'est une ambiance très différente ce que je connais. Ce qu'on apprend ici nous rappelle aussi à une certaine réalité de notre métier et de nos missions. On
connaît les risques, on n'y va pas la fleur au fusil, on est volontaire ».
Appareillage et houle d'ouest
A bord du bâtiment école Tigre, « Piazou », l'officier commando responsable de la formation EPE, fait le point avec les chefs de quart et le commandant du bâtiment. La journée sera consacrée à un
exercice de mise en situation d'attaque pirate. Les instructeurs commando ont déterminé une route que les bâtiments écoles devront suivre. Sur cette route, ils ont placé des pastilles, des zones
où les simulations d'attaques seront effectuées. Et pour jouer les pirates, les commandos ont réquisitionné des EDOP (embarcation de drôme opérationnelle de protection), des semi-rigides très
rapides utilisés par les fusiliers pour la protection des bâtiments et des bases. À leur bord, un pilote et un stagiaire pilote qui simuleront des tirs.
(© : MER ET MARINE - CAROLINE BRITZ)
Appareillage, sortie du goulet, la houle d'ouest commence à bien secouer le bâtiment école. Piazou sourit. « Bon, là, on a une vraie mise en situation. Il ne faut pas croire que la mer aux
Seychelles est un lac bleu outremer. Cela ressemble plutôt à ça, en fait ». Les stagiaires s'amarinent, les équipes se regroupent autour de leur chef, certains font le tour du pont pour se
familiariser avec le bâtiment. Le repas est vite avalé, la première équipe est dans les starting-blocks. Piazou est à la passerelle, les instructeurs commandos sur le pont, le chef de quart, qui
joue aussi le rôle du capitaine du thonier, est en liaison avec les EDOP « pirates ».
Rappel au poste de combat
Coup de sirène, rappel au poste de combat. Les hommes s'équipent rapidement. Le chef d'équipe arrive à la passerelle, rapide coup d'oeil au radar, son adjoint place les hommes avec des jumelles
sur les ailerons. La cible est en visuel, elle arrive à vive allure sur bâbord. Le chef de quart « capitaine » demande au chef d'équipe ses intentions et la route qu'il doit adopter. Un peu en
retrait, les instructeurs commandos sont attentifs. « Le nombre d'information que doit gérer le chef d'équipe en ce moment est très important, explique l'un d'entre eux, il doit jauger
l'intensité et l'imminence de la menace, répartir ses hommes, donner ses instructions à l'équipage du thonier, et finalement rapidement donner ses ordres sur la réponse à apporter, c'est un
moment de tension extrême où il sait qu'il doit rester parfaitement lucide ». Le chef d'équipe est en liaison radio avec son adjoint. L'équipe est en position de tir. Appel à la VHF, pas de
réponse, le chef de quart pointe son doigt sur l'écho radar : « Il se rapproche très vite, là ». Le chef d'équipe ordonne d'effectuer les tirs de semonce. « Il applique parfaitement les règles
d'engagement. C'est aussi ce qu'on attend de lui, évidemment », constate, satisfait, Piazou.
(© : MER ET MARINE - CAROLINE BRITZ)
(© : MER ET MARINE - CAROLINE BRITZ)
La pression monte
Une alarme retentit à la passerelle, tout le monde se retourne un peu surpris. « Je crois qu'on a une avarie de barre », constate le chef de quart, avant de diffuser une annonce « pour exercice
». Piazou sourit, « ils ont décidé de rajouter un peu de piment, c'est très bien, sur un bateau, ce genre d'aléa doit être pris en compte ». Les hommes du bord reprennent la barre en manuel, les
possibilités de manoeuvre sont réduites. Le chef d'équipe transpire, mais tient bon. Il fait le tour de ses hommes, les replace, regarde l'embarcation qui continue à se rapprocher malgré les tirs
de semonce. Tout le monde est prêt, attend le top. Sur l'embarcation pirate des tirs en direction du « thonier » sont effectués. « Tir au but ! », ordonne le chef d'équipe. L'embarcation
s'éloigne, le chef d'équipe ne relâche pas la pression, « suivez les avec les jumelles, tenez vous prêt à tirer à nouveau, ils peuvent revenir très vite ». La passerelle annonce que l'avarie de
barre est réparée, le « thonier » reprend sa route. L'embarcation pirate s'est éloignée pour de bon.
(© : MER ET MARINE - CAROLINE BRITZ)
(© : MER ET MARINE - CAROLINE BRITZ)
(© : MER ET MARINE - CAROLINE BRITZ)
Les instructeurs entourent l'équipe. Leur petit carnet à la main, ils refont le film de l'action, qui aura duré une quinzaine de minutes, en détail. Piazou a relevé des points à retravailler,
mais est globalement satisfait du comportement de l'équipe. « J'ai surtout observé le chef, mes adjoints se sont plus intéressés à des points techniques comme la position de tir et les
déplacements sur le bateau. Ce chef d'équipe a réussi à créer une bonne cohésion dans son équipe, a agi pragmatiquement et calmement. Ses hommes lui font confiance, il n'a pas eu besoin d'élever
la voix, c'est pas mal du tout ».
Exécuter un ordre de tir
La deuxième pastille est en vue, l'équipe suivante est prête. La houle secoue toujours le Tigre, mais les exercices vont se poursuivre sans relâche jusqu'au soir. Les jeunes stagiaires sont
vannés mais satisfaits. « On sait bien que ce n'est qu'une simulation, mais c'est très impressionnant de devoir exécuter un ordre de tir. C'est une sensation que j'ai découverte aujourd'hui. Et
maintenant, je sais que je serai capable de le faire si cela est nécessaire », explique un jeune quartier-maître.
Les nerfs de Frédéric, futur chef d'équipe, ont été mis à rude épreuve aujourd'hui. Il a le sourire fatigué mais heureux, il aime l'action et, cet après-midi, il a été en plein dedans. Comme tous
les futurs chefs d'équipe, il est de spécialité fusilier, breveté commando. « Je suis entré dans la marine il y a 26 ans, à l'école des mousses, puis j'ai suivi le parcours classique, école des
fusiliers, stage commando, brevet supérieur ». Il est actuellement affecté à la protection des bases au sein de la CIFUSIL (compagnie de fusiliers marins). « J'ai postulé au stage EPE, parce que
j'avais envie de bouger à nouveau et de découvrir une nouvelle mission ». Frédéric sait aussi que son rôle de chef d'équipe va faire appel à son expérience passée. « J'ai déjà eu l'occasion de
diriger des équipes, et je sais que cela fait appel à des qualités supplémentaires par rapport aux instructions de mission que l'on apprend ici. Il faut savoir s'adapter, gérer l'aspect humain
sur la durée, bien doser entre la diplomatie et la rigueur. Sur la mission EPE s'ajoute la relation avec l'équipage du thonier que je découvre et qui m'intéresse beaucoup ». Le chef d'équipe a
beaucoup de poids sur ses épaules, « mais nous avons également un adjoint, qui a tout à fait conscience qu'il pourra éventuellement être amené à nous remplacer ».
Cap sur les Seychelles
Durant toute la semaine, Piazou a reçu tous les futurs chefs d'équipe en entretien individuel. « Ce sont des gars d'expérience, mais il nous faut quand même nous assurer qu'ils ont l'attitude
appropriée pour pouvoir effectuer cette mission. J'ai besoin de pouvoir leur faire une entière confiance ».
La nuit tombe sur le Tigre. Les instructions à la mer vont se poursuivre durant la semaine. À la fin du stage, la sélection tombe. Sur les 80 stagiaires, 74 sont retenus. « C'est un bon cru. Ils
sont motivés et prêts à partir. On se reverra là-bas ». Piazou est satisfait. Dans quelques semaines, il rejoindra lui aussi les Seychelles. Et, face aux pirates, il saura qu'il peut compter sur
« ses » gars à bord des thoniers.