L'Aquitaine
crédits : DCNS
30/09/2011 MER et MARINE
Dans le port de Lorient, une centaine de salariés de DCNS et de ses sous-traitants s'active sur l'Aquitaine. Rentrée le week-end dernier de sa dernière campagne d'essais en mer, la tête de série
du programme des frégates multi-missions (FREMM) en impose. Sous les grues du site, le puissant bâtiment arbore ses lignes furtives, résolument modernes. « Elle a de l'allure quant même », lâche
un ouvrier. Dans sa voie, on sent poindre une certaine fierté, manifestement partagée par bon nombre de ses collègues. Il faut dire que, pour l'heure, le prototype de la nouvelle génération de
frégates de la Marine nationale donne toute satisfaction. « De mémoire, on a jamais vu des essais en mer se passer aussi bien », confie un cadre de DCNS. Evidemment, il convient de rester prudent
car un « pépin » peut toujours survenir. Mais, pour l'instant, le programme se déroule dans les temps impartis. « Il y a toujours de petits réglages à faire, c'est normal avec un nouveau navire,
surtout un prototype. Mais dans l'ensemble nous sommes extrêmement satisfaits. Les essais de plateforme ont été menés à bien et nous débutons l'intégration du système de combat », explique-t-on
chez DCNS, où on se montre confiant dans le fait que le bâtiment, qui sera basé à Brest, soit livré comme prévu mi-2012.
L'Aquitaine à Lorient (© : MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Très gros travail en amont pour éviter les problèmes
Au sein des équipes lorientaises de DCNS, l'enthousiasme est perceptible. Et c'est d'autant plus naturel que l'Aquitaine est très loin d'être un simple bateau. Véritable concentré
de technologie, intégrant ce que l'on sait faire de mieux, actuellement, en termes d'électronique et d'armement, la FREMM représente un challenge technologique considérable. « Nous avions un
grand défi sur ce programme en termes d'innovations, d'intégration très poussée des systèmes, d'automatisation et de planning. C'est pourquoi nous avons pris beaucoup de précautions ». Tirant
profit de sa longue expérience dans les projets complexes, DCNS a, très en amont, mis en oeuvre des moyens permettant d'anticiper les problèmes. C'est notamment le cas pour le système de combat.
« Avant de procéder à l'intégration sur le navire, nous passons par une plateforme d'intégration à Toulon, où l'on qualifie les différentes phases de l'intégration des systèmes au CMS (Combat
Management System, ndlr). Aujourd'hui, tout est en ligne et il n'y a pas de problème particulier », relève-t-on à Lorient. Dernièrement, tous les senseurs installés sur l'Aquitaine (radars,
sonars, guerre électronique...) ont été testés indépendamment avant, désormais, de passer à la phase d'intégration, progressive, de tous ces éléments au système de combat, grâce auquel les
équipements vont interagir et permettre, après traitement des données, d'offrir aux marins une parfaite maîtrise de leur environnement en surface, sous la mer et dans les airs.
L'Aquitaine à Lorient (© : MER ET MARINE)
Un Central Opérations futuriste
C'est au Central Opérations (CO), le cerveau du bâtiment, que les informations seront traitées et les décisions prises. Cet espace, fermé et protégé, donne l'impression de se
retrouver sur la passerelle de vaisseau futuriste. Sur un espace surélevé, quatre consoles, dotées chacune de trois écrans, vont servir au chef de quart et aux chefs des différents domaines de
lutte. Cette partie du CO surplombe légèrement 10 autres consoles où prendront place les opérateurs, et fait face à deux grands écrans plats où seront retransmises la situation tactique ou encore
les images du réseau de caméras qui surveille l'ensemble du navire. « Le CO s'appuie sur le système de combat SETIS, qui est le plus intégré que nous ayons développé jusqu'ici. Ce système
contrôle tous les équipements, qu'il s'agisse des senseurs ou des armes, et a impliqué une nouvelle organisation ». Contrairement aux anciens navires, les consoles du CO ne sont pas dédiées à
telle ou telle action. Elles sont toutes multifonctions et reconfigurables, tout en pouvant interagir entre elles. Derrière le CO se trouve le local des communications, qui seront
particulièrement importantes sur les FREMM (liaisons HF, VHF, liaisons de données L16 et L22, deux antennes pour le système de communication par satellite Syracuse III...), ainsi qu'un local
permettant d'installer un petit état-major de force.
Vue du CO (© : DCNS)
Vue du CO (© : DCNS)
Vue du CO (© : DCNS)
Automatisation et équipage réduit
Les FREMM françaises se distinguent également par une réduction significative de l'équipage. Alors que sur les générations précédentes (types F67 et F70), l'équipage comprend 250 à
300 marins, il n'y aura que 108 marins sur l'Aquitaine. « Cette réduction de l'équipage est l'un des grands challenges du programme. Pour y parvenir, nous avons développé au maximum les systèmes
automatisés ». Comme pour le système de combat, une plateforme d'intégration à terre a été installée pour le « ship management system », le système de conduite du navire, sur lequel le premier
équipage de la frégate s'est entrainé afin de se roder à son nouvel outil. « Là encore, les essais en mer ont été plus efficaces car nous avons travaillé en amont plusieurs mois avant le premier
appareillage ». Grâce à l'automatisation, il sera possible de conduire la frégate avec seulement trois personnes en passerelle. Celle-ci se révèle particulièrement vaste et bien conçue. Comme
pour le CO, l'ergonomie de cet espace a, d'ailleurs, été étudiée par les équipes de DCNS et les marins grâce à des salles de réalité virtuelle. Dotée de tous les équipements nécessaires à la
conduite du navire, y compris un contrôle direct de la propulsion, elle comprend aussi une quinzième console multifonctions identique à celles du CO. Cette console, située à côté du fauteuil du «
pacha », permet au commandant de suivre, en direct, la situation tactique et d'accéder à toutes les fonctionnalités.
La passerelle de l'Aquitaine (© : DCNS)
Un navire particulièrement silencieux
Niveau propulsion, l'Aquitaine est dotée d'un système hybride. L'énergie est produite par quatre diesels générateurs MTU (série 8000) répartis en deux compartiment et alimentant,
jusqu'à 15/16 noeuds, des moteurs électriques de propulsion Jeumont. Puis, pour les vitesses élevées, le système bascule sur une turbine à gaz (GE LM2500) qui, avec sa puissance de 32 MW, fait
monter le navire jusqu'à 27 noeuds. Cette configuration permet, pour les petites et moyennes vitesses, de bénéficier des avantages de la propulsion électrique, à savoir des gains en matière de
consommation et une discrétion accrue. Cette dernière caractéristique est particulièrement intéressante pour les FREMM, dont les 9 premières unités auront prioritairement pour mission la lutte
anti-sous-marine. « Dans la lutte ASM, il est essentiel d'être discret », rappelle un ingénieur, précisant que cette discrétion permet non seulement d'être moins détectable mais, aussi,
d'améliorer les capacités de détection du bâtiment. Point crucial pour FREMM, la discrétion acoustique a été testée la semaine dernière à Brest, où se trouve un dispositif permettant de mesurer
la signature des bâtiments. « L'Aquitaine s'est révélée être particulièrement silencieuse et nous pensons que les sous-mariniers en seront les premiers surpris. On peut clairement affirmer que
cette frégate est l'une des plus discrètes du monde et c'est une grande fierté », se félicite-t-on chez DCNS. L'industriel attend également beaucoup du nouveau sonar remorqué CAPTAS (Thales)
installé à l'arrière, dont les essais vont prochainement débuter.
L'Aquitaine à Brest la semaine dernière (© : MICHEL FLOCH)
Au niveau de la propulsion, on notera que les essais mer ont également permis d'atteindre la vitesse maximale, avec dit-on à Lorient une « confortable marge de manoeuvre en termes de puissance».
Le système de propulsion de secours, avec un propulseur rétractable situé sous la coque, a également été testé avec succès. Sans sa propulsion principale, le bâtiment, avec ce seul équipement, a
été capable d'atteindre la vitesse de 7 noeuds. Sur certaines photos, on a pu voir, près de la ligne de flottaison, une fumée blanche. Il s'agit des échappements des diesels-générateurs situés
dans le compartiment avant. D'après les ingénieurs, ces dégagements de fumée ne sont pas problématiques pour la signature infrarouge de la frégate, puisque situés à proximité de l'eau et, en
fait, constitués en grande partie de vapeur. DCNS travaille néanmoins sur des solutions permettant de limiter ces échappements.
FREMM italienne (© : FINCANTIERI)
La coopération franco-italienne très symbolique
Il est intéressant de noter que, politiquement, le programme FREMM, confié à l'OCCAR (Organisation Conjointe de Coopération en matière d'Armement) a été « vendu » par Paris et Rome
comme une grande coopération franco-italienne. Initialement, on pensait donc que les bâtiments français et italiens seraient identiques, à l'instar des précédentes frégates Horizon. En réalité,
il n'en est rien puisque qu'en dehors de quelques gros équipements achetés en commun (comme les turbines à gaz et les lanceurs de missiles), les FREMM françaises et italiennes n'ont, en fait, pas
grand-chose à voir. Les bâtiments italiens réutilisent le système de combat et une version améliorée du radar EMPAR des Horizon, alors que les Français ont décidé de passer à une nouvelle
génération de système de combat, le SETIS, et d'adopter le radar multifonctions Herakles de Thales. Côté propulsion, DCNS a préféré les diesels-générateurs MTU aux Isotta Fraschini des FREMM
italiennes, sans oublier que l'Aquitaine mettra en oeuvre, en plus des missiles surface-air Aster 15, des missiles de croisière Scalp Naval. Côté artillerie, les Italiens ont opté pour un canon
de 76mm ou 127mm à l'avant et un canon de 76mm à l'arrière. Les bâtiments de la Marine nationale embarqueront, quant à eux, une tourelle de 76mm (l'option 127 est toujours ouverte) à la proue et,
sur l'arrière, deux canons télé-opérés de 20mm situés de chaque côté du hangar. Des négociations sont actuellement en cours avec Nexter en vue d'acquérir des systèmes Narwhal.
On le voit donc, les FREMM construites de part et d'autres des Alpes sont, contrairement aux Horizon, très loin d'être des sisterships et présentent d'ailleurs un design très différent. Longtemps
rallié au discours politique porté sur l'image de la coopération européenne, DCNS commence d'ailleurs à changer de discours, afin que les clients potentiels comprennent bien que les deux navires
sont différents et n'offrent pas les mêmes capacités.
L'Aquitaine (© : DCNS)
Perspectives à l'export et grand potentiel évolutif
Car, sur le marché international, Français et Italien sont en concurrence pour vendre leurs modèles de FREMM. Chez DCNS, on mise beaucoup sur la livraison, l'an prochain, de
l'Aquitaine, afin que le navire démontre, aux mains des marins français, l'étendue de ses performances. Au sein de l'industriel français, on est convaincu de disposer, avec ce navire, d'un
potentiel commercial considérable. « C'est un navire très performant et compétitif, qui sera appelé à devenir le modèle de référence pour ce type de frégates », assure-t-on chez DCNS, où l'on
fonde de grands espoirs à l'export. « C'est une frégate très polyvalente, conçue dans une perspective de réduction des coûts d'exploitation et qui dispose d'un fort potentiel d'évolution.
Contrairement aux anciens navires, qui étaient pour la plupart limités dès le neuvage, nous avons, dès le début, pris en compte les possibilités d'évolutions futures ou l'intégration de demandes
supplémentaires provenant de clients à l'export. On pourra, par exemple, mettre un canon de 127mm à la place du 76mm, loger deux hélicoptères dans le hangar où, à la place du sonar remorqué,
installer un dispositif de mise à l'eau pour embarcations. Le design actuel peut accepter de nombreuses évolutions et nous avons de la marge au niveau de la puissance des moteurs, ce qui
permettra notamment à la Marine nationale de gérer avec plus de souplesse l'évolution de ses navires sur toute leur durée de vie ».
L'Aquitaine à Lorient (© : MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Pour l'heure, la France a commandé 11 frégates, soit 9 du type Aquitaine, ainsi que deux autres en version antiaérienne. Baptisées FREDA, ces navires ne disposeront pas de sonar remorqué et, côté
missiles, les Scalp Naval seront remplacés par des Aster, ce qui donnera une capacité d'emport de 32 Aster 15 et Aster 30. Une douzième frégate, sistership de l'Aquitaine (sans Scalp Naval et
avec des communications adaptées) est en cours d'achèvement à Lorient. Commandé par le Maroc, le Mohammed VI doit débuter ses essais en mer mi-2012 pour une livraison l'année suivante. Du côté du
programme français, la FREMM 2, future Normandie, est en cours d'assemblage dans la forme de construction, en vue d'une livraison en 2014. L'usinage de la FREMM 3 (Provence) se poursuit, alors
que la quatrième frégate française, la Languedoc, verra sa construction débuter d'ici la fin de l'année.
L'Aquitaine (© : DCNS)