29.01.2013 par Romain Mielcarek
Elles viennent du Niger, du Nigeria, du Bénin, du Ghana, du Tchad... Il y a celles qui font peur, celles qui n’y connaissent rien, et celles qui sont bien préparées. Cela suffira-t-il pour prendre le relais de la France?
Au Mali, l’arrivée des militaires africains est attendue pour prendre le relais, ou tout du moins pour accompagner les militaires maliens et français sur le terrain. Le déploiement en force des tricolores dans des proportions qui augmentent de semaine en semaine (on parle aujourd’hui de plus de 3.000 hommes avec des matériels aussi lourds que des chars Leclerc) a créé une véritable rupture stratégique dans la situation de ce pays: les combattants islamistes du nord ne peuvent plus envisager de progression vers le sud. Reste que pour les délocaliser de la partie sahélienne du Mali, les Français ne sont pas assez nombreux.
Depuis plusieurs mois, les instances internationales, Union européenne en tête, pressent les Africains de participer à la sécurisation du Mali et à la restauration de son Etat. Dans cette région, c’est la Confédération économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) qui est logiquement responsable. Le volet militaire de l’organisation, baptisé Ecomog, est déjà intervenu au Libéria (1990 et 1996), en Sierra Leone (1998) et en Guinée-Bissau (1997). Elle a depuis été remplacée par un nouveau dispositif initié par l’Union africaine à l’échelle du continent: les Forces africaines en attente (FAA), avec sa composante locale, la Force en attente de la Cédéao (FAC).
Depuis l’éclatement du Mali, les réunions se succèdent jusqu’à l’annonce en novembre dernier de l’envoi par les pays membres de quelques 3.300 hommes. Il faudra attendre la validation de cette mission par les Nations unies, le 20 décembre, puis l’arrivée des Français le 11 janvier pour que les premiers Africains posent le pied sur le sol malien…
Des Africains en quête de financements et de matériels
Les militaires africains envoyés par la Cédéao sont placés sous le mandat de la Misma, la Mission internationale de soutien au Mali. Cette intervention est validée par la résolution 2085 des Nations unies. Elle prévoit avant tout de «reconstituer la capacité de l’armée malienne, en étroite coordination avec les autres partenaires internationaux, en prévision de la reconquête du nord-Mali». Plus globalement, elle doit aussi «aider les autorités maliennes […] à réduire la menace posée par les organisations terroristes» et «aider à la sécurisation des institutions maliennes de transition en vue du rétablissement de l’ordre constitutionnel».
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Au 20 janvier, sur les 4.500 hommes finalement promis, seuls 450 étaient arrivés sur place. Des Béninois, des Burkinabés, des Nigériens, des Nigérians, des Sénégalais et des Togolais. 200 Tchadiens sur les 2.000 que N’Djaména a proposé de son côté à la Misma étaient aussi de la partie. Sur ces troupes, il se pourrait que peu soient opérationnelles. Dans les couloirs, certains militaires français n’hésitent pas à moquer leurs capacités réelles, estimant que certains «viennent avant tout pour s’équiper». La Cédéao espère en effet que les Occidentaux vont financer l’opération. Oswald Padonou, spécialiste des questions sécuritaires de l’ouest africain, s’inquiète de cette approche:
« Il y a eu beaucoup de promesses, mais peu d’arrivées. Les opérations de maintien de la paix sont aussi un moyen pour ces pays d’assurer quelques subsides à leurs soldats. Cela permet de reporter dans le temps les problèmes qui frappent leurs propres armées. Aucune des armées de la sous-région n’est en mesure de répondre à des problématiques de terrorisme. La Misma n’est pas en mesure de remplacer la France.»
Les moyens ne sont en effet pas comparables. Il évoque l’exemple de son pays, le Bénin, qui fournit un contingent principalement composé de policiers. Le Ghana, lui envoie des soldats du génie. Des moyens utiles pour lutter contre les pièges explosifs ou pour assurer la sécurité intérieure de la zone sous contrôle malien. Mais des troupes qui n’ont aucune chance de reconquérir le nord ni de déloger les combattants islamistes mieux armés de la partie sahélienne.
«Je pense qu'il faut prendre ces chiffres avec beaucoup de précautions, remarque de son côté Samuel Benshimon, consultant et directeur de Sahel Intelligence. Au sein de la Misma, il ne faut pas négliger le fait qu'il y a un véritable différentiel entre les contingents, certains étant très bien structurés et ayant une grande expertise et d'autres étant moins bien préparés. Il faut une approche culturelle différenciée, difficile cependant à obtenir sans commandement unifié clair et…légitime. L'enjeu majeur est bien entendu celui de l'inter-opérabilité des différents contingents, qui ont peu d'expérience commune. »
La barrière de la langue, notamment, risque de ne pas faciliter le déploiement des Nigérians ou des Ghanéens.
Les Etats guerriers
Quelques-uns des participants à la Misma se démarquent à l’inverse par de vraies compétences. C’est notamment le cas du Tchad. Idriss Déby semble vouloir s’imposer comme un acteur crucial au Sahel. L’armée tchadienne fait partie des plus rodées: elle partage avec le nord-Mali des conditions désertiques exposées à une forte sécheresse et à des chaleurs extrêmes. Tout l’inverse des territoires plus humides et boisés du Ghana ou du Bénin. Les Tchadiens sont habitués à affronter des milices mobiles dans le Sahel. Ils font partie des combattants les plus professionnalisés et les plus expérimentés.
Leur approche de la guerre inquiète tout de même. Le colonel Michel Goya, directeur de recherche à l’Institut de recherche stratégique de l’Ecole militaire (IRSEM), qui fût parmi les premiers à comparer le théâtre malien à l’expérience franco-tchadienne au cours de l’histoire, confirme le besoin de surveiller l’action des troupes de N’Djaména:
«C’est l’armée qui fait peur. Ses soldats sont recrutés dans les ethnies guerrières du nord. Ils sont très bons dans les zones désertiques du Sahel. S’ils interviennent dans le nord du Mali et au Niger, il faut s’en féliciter. Mais ce ne sont pas des “sucrés”: attention aux risques de violences contre les touaregs…»
Des craintes formulées quand les ONG commencent déjà à pointer du doigt des exactions commises par l’armée malienne. La dureté tchadienne pourrait être tempérée par un travail en totale coopération avec les Nigériens. Les deux pays commenceraient à préparer une intervention plus au nord, directement depuis le territoire nigérien. Ces derniers ont dû attendre l’aval de leur Parlement pour entrer en action et comptent parmi les contingents les plus solides. «Ils sortent d’ailleurs de plusieurs mois de formation menés par les forces spéciales américaines», remarque Emmanuel Dupuy, directeur de l’Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE). Les Nigériens seraient fin prêt à passer à l’action, leurs Etat-major ayant tout juste «rassemblé et pré-positionnés plusieurs milliers de soldats le long de la frontière avec le Mali afin d’empêcher l'évaporation éventuelle des djihadistes maliens vers les pays voisins», complète ce fin connaisseur de la région.
Le Nigéria est enfin le pays sur lequel beaucoup d’attentes reposent. Ses militaires sont eux aussi confrontés à des menaces comparables à celles du nord-Mali. Rodés à la lutte contre le terrorisme, notamment face à Boko Haram, ils devraient être au moins 900 à rejoindre la Misma à terme. C’est aussi eux qui assureront la coordination opérationnelle et tactique, déployant même une poignée d’hélicoptères de combat. Les autorités d’Abuja ont longtemps hésité sur la manière d’appréhender le conflit malien, leurs meilleures troupes étant déjà largement mobilisées par les combats contre les islamistes dans le nord du pays.
Former… et durer
Pour assurer la mission initiale du mandat de la Misma, à savoir «reconstituer la capacité de l’armée malienne», ce sont les Européens qui doivent déployer une mission qui leur est propre. Baptisée EUTM-Mali, elle réunira à terme 450 personnes (la moitié sont français), dont 200 instructeurs. Son patron, le général français François Lecointre est actuellement en train de terminer son audit à Bamako. A Bruxelles, on explique que le diagnostic est réalisé depuis plusieurs mois maintenant, des experts s’étant déjà rendus sur place à plusieurs reprises. Mi-février, les premiers éléments devraient commencer la mission et mettre en œuvre de premiers modules d’instruction.
On insiste encore une fois à Bruxelles sur le fait que cet effort doit permettre à l’armée malienne de reprendre le contrôle du nord du pays. Son mandat est prévu pour durer quinze mois. La guerre au Mali ne devrait donc pas se régler d’ici peu. D’autant qu’il reste encore à coordonner les différents acteurs: en plus des Européens, les Etats-Unis ont envoyé de manière bilatérale une centaine d’instructeurs aux côtés des différents pays de la Cédéao. Les uns et les autres sont donc en étroite relation dans un dispositif qui ne semble pas gagner en clarté: Misma, Tchad, EUTM-Mali, forces armées maliennes, Américains et opération française Serval relèvent tous d’un commandement spécifique et indépendant.
«Beaucoup d’institutions, beaucoup d’administrations, s’inquiète Oswald Padonou. Tous vont engranger beaucoup de sous pour peu de résultats sur le terrain.» L’Europe a débloqué à elle seule 172 millions d’euros pour répondre à l’urgence humanitaire, en plus des 660 qui étaient déjà consacrés à des projets de développement dans la région depuis cinq ans et des 167 consacrés plus spécifiquement aux questions sécuritaires. Sans compter les 50 millions d’euros que l’UE a d’ores et déjà accepté d’ajouter comme participation aux besoins de la Cédéao, évalués à 375 millions… pour l’instant.