Face à la crise en Crimée entre la Russie et l'Ukraine, la Pologne a décidé d'accélérer sa procédure d'appel d'offres pour l'acquisition d'un système de défense antimissile. "Nous allons accélérer le règlement des questions relatives à la défense aérienne de la Pologne", a déclaré jeudi le porte-parole du ministère de la Défense, Jacek Sonta. "La Pologne compte arrêter dans les prochaines semaines son choix sur son système de défense antimissile".
Mi-janvier, la Pologne avait choisi cinq candidats pour négocier avec eux l'achat de systèmes de défense aérienne dont elle veut équiper son armée, avait alors indiqué le ministre polonais de la Défense, Tomasz Siemoniak. Le groupe d'électronique Thales, le consortium germano-italo-américain MEADS, l'américain Raytheon, le gouvernement d'Israël et le missilier européen MBDA associé à la holding polonaise d'armements PHO (Polish Defense Holding (PHO), ex-Bumar), qui est le leader de l'offre, "ont été choisis parmi les fournisseurs potentiels pour poursuivre les négociations", avait-il précisé.
MBDA plus que dans deux offres
Toutefois, le ministère de la Défense a finalement souhaité en février que Thales, qui proposait dans le cadre du GIE Eurosam (MBDA 66 %, Thales 33 %) le système SAMP/T armé de missiles Aster 30 (radar Arabel de Thales), rejoigne l'offre de MBDA et de son partenaire polonais PHO. Ces deux derniers proposaient jusqu'ici quant à eux des missiles Aster 30 dans le cadre d'une coopération et PHO devait fournir le radar. Une négociation est aujourd'hui en cours depuis une quinzaine de jours entre les trois partenaires pour faire une place à Thales (radar, C2 ou commande et contrôle) dans la nouvelle offre tout en tenant compte qu'au moins 50 % de l'exécution du contrat doit revenir à l'industrie polonaise. Une négociation qui s'annonce pour le moins compliquée... et un peu tardive.
Par ailleurs, MBDA (via MBDA Allemagne et MBDA Italie) est également présent dans le consortium international MEADS (Medium Extended Air Defense System), emmené par le groupe américain Lockheed Martin et soutenu par les États-Unis, l'Allemagne et l'Italie. En face de ces deux offres : Raytheon, associé au groupe norvégien Kongsberg (système NASAMS et missiles AMRAAM), et le groupe israélien Rafael (Spyder-MR ADS), soutenu par le gouvernement israélien. Mais les États-Unis, qui profitent de la crise de Crimée, feraient le forcing pour proposer dans le cadre d'une offre non sollicitée à la Pologne le missile Patriot (Raytheon), facilement déployable.
Selon nos informations, la Pologne prévoirait de consacrer un budget de plus de 6 milliards jusqu'à 2022 à l'acquisition de systèmes de missiles de courte et moyenne portée (défense aérienne). Un match qui oppose l'industrie américaine à celle d'Europe. La Pologne devra donc choisir entre un achat sur étagère (États-Unis) et une coopération industrielle poussée avec l'Europe... même si Raytheon propose une coopération industrielle, opérationnelle et gouvernementale avec la Pologne.
Retour des États-Unis dans la région
Les États-Unis, qui avaient commencé à délaisser ces dernières années le continent européen au profit de l'Asie et du Pacifique, se placent en première ligne pour répondre aux inquiétudes exprimées par les pays voisins de la Russie. Washington se voit contraint d'y reprendre pied. Des F-16 américains ont été déployés en Pologne. Le vice-président Joe Biden a effectué une tournée à Varsovie et dans les trois pays baltes (Estonie, Lettonie, Lituanie), tous membres de l'UE et de l'Otan.
La crise déclenchée par le rattachement de la Crimée à la Russie fait renaître la menace et la peur d'une "guerre" en Europe, a jugé jeudi le président du Parlement européen, Martin Schulz. "Quelque chose a changé", avec cette crise, a relevé Martin Schulz dans une conférence de presse au début d'un sommet européen dominé par la crise ukrainienne. "Certains pensaient que la guerre et le risque de guerre n'étaient plus un sujet de discussion" mais "nous sommes en train de parler du risque d'un conflit armé", a-t-il affirmé.
Et la France ?
De son côté, la France est prête à envoyer quatre avions en Lituanie si l'Otan décide de renforcer sa mission de protection aérienne au- dessus des pays baltes, selon Reuters. Le ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian a entrepris vendredi un voyage éclair qui l'emmènera successivement à Tallinn, en Estonie, à Vilnius, en Lituanie et à Varsovie pour rassurer ces pays après les événements en Ukraine et l'annexion de la Crimée par la Russie.
"La France est prête a mettre quatre avions si l'Otan décide d'intensifier sa mission", a-t-on déclaré dans l'entourage du ministre de la Défense. Depuis 2004, les pays de l'Otan fournissent à tour de rôle tous les quatre mois des avions de chasse dans le cadre de la mission de "police du ciel" des pays baltes. Ces avions sont basés à Siauliai, en Lituanie, prêts à décoller en 15 minutes.
Cette mission est actuellement assurée par les États-Unis jusqu'à fin avril. Washington, qui fournit déjà quatre avions, a annoncé récemment mettre à disposition des pays baltes six avions supplémentaires dans le cadre d'une aide bilatérale, hors cadre de l'Otan. La Pologne prend le relais début mai des États-Unis. "Au jour d'aujourd'hui, les Russes n'ont pas manifesté une activité particulière depuis 15 jours" au niveau des pays baltes, indique-t-on dans l'entourage du ministre de la Défense.