Madame la Présidente,
Mesdames et messieurs les élus,
Messieurs les officiers généraux,
Mesdames, messieurs,
Je salue l’initiative de l’armée de terre, et remercie le général Bertrand Ract-Madoux de me donner l’occasion de m’adresser à vous, pour vous donner ma vision des opérations.
La Loi de programmation militaire 2014-2019, dont le projet est en cours d’examen, détermine nos capacités futures dans tous les domaines, en termes de format, d’équipement, de préparation opérationnelle et de soutien. La fonction Intervention est l’une des plus dimensionnantes, et la plus affectée par la révision de nos capacités, avec une évolution sensible du contrat opérationnel. Le retour d’expérience et les conclusions que nous en tirons sont donc indispensables.
Chaque opération est d’ailleurs une épreuve de vérité, qui valide tout ou partie de nos choix, et guide notre adaptation. Discerner une tendance profonde, une mutation durable, un dénominateur commun est cependant difficile, et même risqué. L’examen de nos engagements opérationnels récents augure de la diversité de ceux à venir à l’horizon 2025, celui du Livre blanc. J’ai bien dit « augure » et non pas « préfigure » : c’est leur diversité qui est la caractéristique à retenir.
Par l’étendue des missions couvertes, de l’entrée en premier à la stabilisation, par l’ampleur et la variété des moyens et des modes d’action impliqués, de Serval à la MINUSMA en passant par EUTM, notre engagement au Mali peut néanmoins être considéré comme une référence – une référence parmi d’autres, au même titre que l’Afghanistan, la RCI, ou la Libye.
C’est donc une référence pour l’armée de terre, dont la contribution à cette opération aéroterrestre fut et reste majeure, tout comme sa part au succès de nos armes. Elle y aune fois encore payé le prix du sang ; je voudrais à cet égard saluer respectueusement la mémoire des 8 soldats morts pour la France, dans l’exercice de leur mission.
Plus généralement, les opérations au Mali deviennent une référence pour l’ensemble de nos forces, spéciales et conventionnelles : l’action au sol et près du sol s’inscrit dans un cadre interarmées, et dans le cadre multinational d’une coordination étroite avec nos partenaires africains, nord-américains et européens.
C’est dans cette perspective globale que s’inscrit mon propos. Je m’appuierai sur Serval pour dégager des enseignements de portée plus générale, et vous dire ce que je perçois de la nature et du cadre de nos interventions futures.
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Serval possède 3 caractéristiques majeures, qui sont autant d’éléments favorables.
- 1ère caractéristique : la clarté des objectifs, soutenus par une forte détermination politique, et par l’opinion publique nationale et internationale.
- 2ème caractéristique : le cadre de Serval, opération initialement nationale, déclenchée et commandée par la France, qui a fourni au départ l’essentiel des troupes et, encore maintenant, la quasi-totalité des appuis.
- 3ème caractéristique : une excellente connaissance du milieu, dès avant l’engagement, résultat de notre expérience historique de l’Afrique, de nos pré-positionnements, et d’un renseignement orienté sur la zone depuis plusieurs années.
Pour autant, nos succès militaires au Mali ne relèvent ni de la chance, ni du hasard.
Serval a, une fois encore, démontré la capacité de nos armées à se projeter loin du territoire national, et à entrer en premier sur un théâtre. Je veux parler du coup d’arrêt du 11 janvier, porté par nos forces spéciales et nos forces aériennes. Je veux parler du raid aérien du 13, où 4 Rafale partis de métropole ont atterri au Tchad après avoir détruit 16 objectifs dans le Nord du Mali. Je veux parler de la montée en puissance de la composante terrestre qui, dès le 15 janvier, débutait la reconquête du Nord. Je veux enfin parler des OAP sur Gao et Tombouctou.
Serval a aussi démontré la capacité de nos armées à mener des combats exigeants dans des conditions difficiles : élongations logistiques considérables, infrastructures rudimentaires, températures extrêmes, ennemi déterminé – et même fanatisé.
Serval a enfin démontré la cohérence de nos armées, et l’étendue de leur savoir-faire, gages d’initiative et de liberté d’action pour l’autorité politique comme pour le chef militaire.
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Nos succès au Mali tiennent en fait à la conjonction de facteurs de succès propres aux armées françaises. J’en retiens 6 au niveau stratégique, et 4 au niveau opérationnel.
6 facteurs stratégiques de succès :
- 1er facteur : La réactivité de notre processus de décision. Elle tient au lien opérationnel direct entre le chef des armées et le CEMA, et à l’intégration de tous les volets nécessaires à la préparation et à l’exécution d’une mission : relations internationales, renseignement, planification et conduite. Le 11 janvier, le Président de la République décidait d’intervenir sur la base d’un renseignement aussi exact, précis et complet que possible ; l’action se concrétisait 5 heures plus tard, à 4 000 km de Paris.
- 2ème facteur : Un dispositif pré-positionné au plus près de nos zones probables d’intervention. Le premier jour, nos Mirage 2000 décollaient de N’Djamena. Les marsouins du 21ème RIMA et les légionnaires du REC rejoignaient Bamako le lendemain, eux aussi à partir du Tchad, renforcés par des éléments de Côte d’Ivoire dans la nuit du 14 au 15 janvier. C’est clair, sans ces points d’appui, nous n’aurions pu, dans ces délais, arrêter l’offensive des GAD à Douentza, et les mettre en déroute : nous aurions dû faire différemment, et nous l’aurions fait plus lentement.
- 3ème facteur : La pertinence de nos dispositifs de réaction immédiate, Guépard, Rapace et Tarpon. Pertinence en nature et en volume : j’observe qu’avec 2 300 hommes, la FIRI du Livre blanc représente à peu près l’effectif que nous envisagions de projeter pour le lancement de l’opération.
- 4ème facteur : La qualité de la préparation opérationnelle qui permet d’engager, sans délai ni mise en condition préalable, une force complète, de son état-major au combattant de première ligne, sans oublier tous les acteurs du soutien.
- 5ème facteur : Un modèle d’armée complet. Harmattan était à dominante aéromaritime avec un engagement décisif du groupe aéromobile depuis la mer ; Serval est aéroterrestre. Harmattan était otanienne, Serval est sous commandement national. Nous la conduisons à ce niveau d’exigence et de responsabilité – en tant que nation-cadre – parce que nous avons les capacités pour le faire. Sans cette palette complète de nos capacités militaires, l’autonomie stratégique est une incantation, pas une réalité.
- 6ème facteur : la rapidité de l’action – vous diriez sans doute la « fulgurance » – qui a reposé sur une manœuvre audacieuse combinant simultanéité des actions, opportunité tactique, et prise de risque calculée – avec des intervalles assumés. Cette manœuvre a validé dans les faits la finesse du travail de ciblage, avec une identification précise de l’ensemble des centres de gravité ennemis.
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4 facteurs opérationnels, à présent.
Ils sont tous la conséquence d’une forte culture expéditionnaire, et d’un engagement continu.
- 1er facteur : la faculté d’adaptation du soldat français.
Le soldat français compose avec les populations, coopère avec les forces locales, et s’adapte aux contraintes du terrain. C’est un atout opérationnel de portée stratégique, en termes de crédibilité et de légitimité. C’est un atout reconnu à l’étranger, en Afrique en particulier.
A l’interopérabilité technique s’est ajoutée l’interopérabilité culturelle. L’engagement quotidien de nos DIO au Sénégal et au Gabon a conditionné la qualité de la préparation des contingents africains en amont.
- 2ème facteur : la capacité de conjuguer rusticité et haute technologie.
La rusticité est indispensable : nos soldats l’ont éprouvée, sac au dos sous 60°C avec un soutien logistique au plus juste, durant l’offensive dans le Nord, pendant les combats dans les Adrars.
L’apport de la technologie est évident, pour le renseignement, la protection du combattant, la rapidité et la sûreté des mouvements, la précision des feux. Il donne l’ascendant, y compris face à des ennemis asymétriques. L’engagement des composantes aéromobile et aérienne l’a illustré.
La question n’est pas celle du choix entre rusticité et technologie, mais celle d’un équilibre entre la course permanente au raffinement technique, un raffinement au coût de plus en plus prohibitif, et la juste satisfaction du besoin opérationnel, un besoin adapté aux conditions du combat et soutenable d’un point de vue financier. C’est ce que vise le principe de différenciation, pour l’équipement, la préparation opérationnelle et l’engagement des forces.
- 3ème facteur : la pratique de l’interarmées jusqu’aux niveaux les plus bas.
Forces spéciales et forces conventionnelles, intégration des appuis terrestres et aériens : les exemples sont nombreux. La guerre asymétrique impose d’innover pour surprendre, de surprendre pour déstabiliser, et de conserver l’initiative pour désorganiser en profondeur.
En outre, sur le terrain, l’initiative locale, et donc la décentralisation du commandement sont indispensables. A Pamir, l’engagement terrestre était conduit au niveau du GTIA ; à Serval, au niveau du sous-GTIA, voire de la section renforcée.
- 4ème et dernier facteur : la maîtrise de la force, qui suppose des feux précis mais aussi, en amont : la mise à disposition du renseignement nécessaire ; et un processus décisionnel réactif, qui s’appuie sur une chaîne de responsabilités et des règles d’engagement adaptées au tempo de la manœuvre. Enfin, cette maîtrise repose sur le facteur humain, c’est-à-dire sur les forces morales de ceux qui sont sur le terrain. Aucun dommage collatéral n’est à déplorer depuis le début de l’opération.
Voilà ce que Serval a démontré des atouts de nos armées.
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En contrepartie, des fragilités capacitaires ont été confirmées, d’abord au plan matériel.
Certaines disponibilités techniques ont été critiques, pour le Tigre par exemple.
Nos moyens de transport aérien restent sous-dimensionnés : avions de transport stratégique et tactique, hélicoptères de manœuvre. Conséquence : une liberté d’action contrainte, et l’obligation de faire autrement. 61% de la projection a été assurée par voie aérienne, et 53% du fret transporté l’a été par nos partenaires.
Autre fragilité : le volume de notre flotte de ravitaillement en vol, toujours dimensionnant pour l’action de nos chasseurs. Après les premières semaines, nos alliés ont assuré 70% du besoin.
Dernière fragilité matérielle : l’insuffisance des moyens de renseignement aéroporté. 5 ATL2 et 2 drones MALE ne permettent pas d’assurer une permanence dans la longue durée, ce qui est pourtant essentiel dans ce type de conflit. Ici aussi, les concours de nos alliés américain et britannique ont été bienvenus, et parfois décisifs.
Serval a également souligné nos marges de progrès, dans 2 domaines en particulier.
- L’élaboration du renseignement à fin d’action.
Le terrain a imposé ses contraintes : dilution des moyens, délais de déploiement, difficultés de communication.
Contrairement à l’Afghanistan où nous étions « clients » du renseignement global, Serval, parce que nous sommes en national, nous a montré le caractère stratégique de la boucle « Observation – orientation – décision – action » (OODA), et le chemin à suivre pour la rendre optimale, en fonction du besoin de l’utilisateur. Il s’agit bien de la raccourcir en permanence pour suivre le tempo des opérations, et fournir au bon interlocuteur le bon renseignement, au bon moment.
- Deuxième axe d’effort : accroître notre agilité et notre mobilité sur le terrain, pour ne pas subir le rythme de l’adversaire : il se déplace vite, et léger.
Avec des moyens comptés et la nécessité de couvrir rapidement des élongations importantes, c’est une adaptation nécessaire, dans l’ensemble de la bande sahélo-saharienne.
Le combat engagé au Mali contre le terrorisme est une mission de longue haleine, et à l’échelle de la région. Les maîtres mots sont mobilité et logistique adaptée. Les engagements conduits dans le cadre de l’OTAN ne peuvent servir de référence dans ce cas : les standards des Balkans ont leurs limites en termes de souplesse et de réactivité.
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Les opérations au Mali combinent dans la durée des modes d’action différents et complémentaires, en fonction des phases de l’intervention. Tout ou partie de ces scénarios se reproduiront, c’est une certitude.
Je constate que le Livre blanc exprime un niveau d’ambition élevé, celui d’être en mesure d’intervenir seuls si nécessaire, en coalition de préférence, sur toute la gamme des opérations, de la coercition à la « gestion de crise ».
Je constate également que l’instabilité caractérise nos zones d’intérêt prioritaire : le Machrek, la bande sahélo-saharienne, l’Afrique en général, le Proche et le Moyen Orient, le Golfe.
Le plus dur est peut-être à venir : menace NRBC, menace balistique, déni d’accès aux espaces maritimes, aérien et spatial. La Syrie, où nous étions prêts à intervenir en septembre, concentre toutes ces menaces. Le cyberespace est déjà un champ de bataille.
L’adversaire asymétrique reste le plus probable à court et à moyen termes, sous toutes ses formes, de la plus rudimentaire à la plus complexe : l’hybridation des menaces, cet amalgame dangereux entre insurrection, trafics et terrorisme, est déjà une réalité.
Sauf déclenchement d’une crise internationale majeure en Europe, en Afrique du Nord, au Proche et au Moyen Orient, le déplacement du barycentre des intérêts américains vers l’Asie met les Européens face à leurs responsabilités. Et en Europe, nos capacités militaires nous placent aujourd’hui encore en 1èreposition.
Nous serons donc amenés à commander d’autres interventions de type Serval, exigeant d’entrer en premier et de réduire l’ennemi, avant de passer la main à d’autres.
Dans les opérations de ce type, nous interviendrons en coalition le plus souvent, pour partager l’effort de guerre et pour asseoir leur légitimité. Cette nécessité ne peut que s’amplifier.
Dans certains cas, c’est la coalition qui fera la mission. Mais l’OTAN n’a pas vocation à agir partout, dans tous les volets de la résolution d’une crise, tandis que l’Union européenne peine à prendre toute sa part dans les missions qui relèvent de sa sphère d’intérêt et de ses compétences.
Dans d’autres cas, c’est la mission qui fera la coalition, avec une configuration ad hoc tenant compte de 2 réalités : la réticence croissante de nos partenaires occidentaux à engager la force armée ; l’émergence de nouvelles ambitions internationales.
Dans tous les cas et autant que possible, les coalitions s’appuieront sur les organisations régionales et intègreront les forces armées locales. L’interopérabilité, plus ouverte, plus compliquée, sera un enjeu majeur.
Nos interventions seront toujours interarmées, parce qu’aucune de nos composantes ne dispose en propre de toutes les capacités militaires nécessaires.
L’action au sol restera déterminante, et le rôle de l’armée de terre primordial : demain comme aujourd’hui, c’est au sol que se gagneront les guerres. Serval rappelle qu’il faut être prêt à agir dès le premier jour, et à combattre tout en se déployant. Notre action au sol visera une empreinte optimisée, en volume et dans le temps. La réactivité, la polyvalence, et la mobilité seront les atouts majeurs de nos forces terrestres.
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En conclusion, quels sont nos défis capacitaires ?
Les réorganisations à venir – et les déflations associées – devront préserver, autant que possible, l’outil de combat qui permet à la France de gagner.
Pour nos armées en général, et pour l’armée de terre en particulier, le défi capacitaire est double.
Il s’agit d’abord d’entretenir les synergies interarmées développées en OPEX, et donc de concevoir la mise en condition des forces dans un cadre interarmées.
Il s’agit ensuite, sur les plans matériel et doctrinal comme dans l’esprit, de penser l’organisation, l’emploi et le soutien des capacités pour être en mesure de fournir des capacités de combat et de soutien immédiatement disponibles, y compris sur des théâtres et dans des conditions de mise en œuvre imprévus et inédits.
Je vous remercie.